Une Étoile est née première du nom travaille au corps la notion même d’Âge d’Or hollywoodien en en constituant à la fois l’émanation directe et le reflet altéré, terni par la portée sur le devant de la scène d’une réalité qui était jusque-là écartée : les paillettes ont un prix, le prix du succès, telle est la leçon prononcée par la grand-mère, figure d’expérience qui intervient en début et fin de long métrage. Pour réaliser son rêve, il faut « faire un marché » avec soi-même et convenir que les intérêts d’un nom et sa renommée doivent prévaloir sur le reste, que le bonheur est une notion relative qui ne doit jamais influencer les choix professionnels. Un tel discours atteste le divorce entre les apparences du monde du studio et la vie en tant que réalité économique et intime, alors que les médias s’efforcent d’unifier les deux sous le signe du lustre et de l’artifice. Aussi la veuve ne peut-elle pas pleurer son défunt mari en paix, il faut qu’elle subisse les assauts répétés des journalistes et des fans éplorés. Jouer, toujours jouer, tant qu’on a le vent en poupe.


Ce que met en scène Une Étoile est née, c’est le douloureux chassé-croisé de deux acteurs, l’un étant une étoile montante – comme l’indique le titre –, l’autre une étoile déclinante dont les derniers feux se chargent d’une mélancolie profonde. Le livreur ne reconnaît pas le comédien autrefois célèbre, il l’appelle par le nom de madame. Preuve que la gloire est éphémère, cruelle, injuste, et que le Hollywood à la virilité triomphante où l’on vous accueille à coups de sourires constitue une machine à exploiter les talents qu’elle révèle, jusqu’à l’épuisement. L’homme devient un personnage énigmatique et bêtement viril, ce que cesse d’être Norman Maine à mesure qu’il sombre dans l’alcool et le désespoir, à mesure qu’il s’adonne à la passion amoureuse ; la femme, quant à elle, est ce « petit objet joli » qui fait craquer le public et que les maquilleurs pomponnent excessivement. Le cinéma est une usine à clichés, du moins le cinéma représenté ici.


Car ce que révèle Une Étoile est née, c’est la détresse, c’est l’incertitude d’un couple qui n’a pas le temps de se construire et de panser les blessures creusées par les ans, un couple qui doit paraître à tout prix. S’afficher en modèle. Si Esther et Norman sont « les amants de rêve de l’Amérique », ils sont également les amants du rêve américain, incarnation de la réussite individuelle à partir d’efforts et de sacrifices. Du charme au drame, de l’ambition à la résilience, le film dédouble ses personnages et leurs états d’âme, invite le spectateur à passer dans les coulisses, derrière la grande scène sur laquelle se joue un spectacle romanesque qui n’est que le reflet idéalisé d’une réalité beaucoup plus âpre, contre laquelle on bute comme Esther manque de tomber en heurtant les empreintes laissées par les chaussures de son mari dans la dalle de ciment ornant le Walk of Fame. Une œuvre de très grande qualité, sublimée par le Technicolor.

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le 1 avr. 2020

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