Deuxième collaboration du réalisateur Jacques Tourneur et du producteur Val Lewton, I walked with a zombie s’inscrit, dans le sillage de Cat People, dans un nouvel âge d’or du cinéma fantastique aux États-Unis dans les années 1940, qui se veut plus intimiste que le précédent. Effectivement, Val Lewton n’apprécie guère l’esthétique de monstration des films fantastiques de la Universal et voudrait s’en éloigner. L’imagination stimulée par leur manque de moyens, les deux collaborateurs vont faire des films (trois, pour être exact) dans un style inhabituel et marquant où fusionnent l’esthétique du film noir et une atmosphère fantastique.
L’action se déroule aux Antilles, archipel a priori paradisiaque, où Betsy, une jeune infirmière, est envoyée pour s’occuper de la femme de son nouvel employé, Paul Holland, atteinte d’un mal mystérieux. Descendant d’une grande famille de colonisateurs et d’esclavagistes, Paul met en garde Betsy sur l’apparente beauté de ces îles qui semble l’émerveiller : tout, jusqu’aux étoiles, n’y serait que souffrance et mort. C’est sur cet antagonisme étrange que se construit le film.
D’abord, il y a la demeure des Holland, Fort-Holland, qui représente le monde des colonisateurs où siège, en son patio central, l’étrange figure de proue criblée de flèches d’un ancien navire du commerce triangulaire. Ensuite, il y a Humfort, où les « indigènes » communiquent avec leurs dieux par l’intermédiaire de chants incantatoires et de tams-tams. Plus qu’une opposition entre colonisateurs et esclaves, c’est une confrontation entre la rationalité de la science (incarnée par le docteur, Paul…) et l’irrationalité de la culture vaudou – qui confère au film son atmosphère fantastique. De plus, Fort-Holland de nuit est « le monde inversé » de Fort-Holland de jour : la mise en scène de Tourneur et le soin qu’il apporte à la lumière transforment la belle villa en prison, en jungle labyrinthique.
Outre ce thème du zombie – qui n’est que suggéré tout au long du film, grâce à la mise en scène, mais jamais dévoilé – I walked with a zombie est avant tout un film sur l’Autre et sur les différences culturelles. Ouverts et respectueux envers les autres cultures – peut-être parce qu’ils sont, tous deux, issus de l'immigration –, Tourneur et Lewton dépeignent le vaudouisme dans son authenticité (ce qui n'était pas nécessairement le cas des autres films de zombie à cette époque), faisant appel, pour les chants incantatoires, à de vrais musiciens vaudous.
Dans cet univers où l’on rit du malheur (le docteur dit de Jessica Holland qu’elle est un zombie magnifique), où l’on pleure lors des événements heureux et où les personnages – des deux mondes – souffrent au "paradis", seule la figure de proue, paradoxalement, semble s’exprimer de manière « rationnelle ». Un des personnages dit d’ailleurs d’elle qu’est est « vivante », et des pleurs qui seraient ceux des esclaves semblent même en émaner. Tourneur rappelle ainsi à l’Amérique qu’elle s’est construite sur un crime : l’esclavagisme.
Une esthétique poétique et soignée par une mise en scène intelligente, où sont superbement utilisés hors-champ et sons, mais qu’entache légèrement un scénario où les personnages tombent amoureux à la vitesse de la lumière, transformant en carré un triangle amoureux déjà fragilisé.