Vice raconte la vie de Dick Cheney, le vice-président de George W. Bush. Mais Vice est tout sauf un biopic classique : c’est une “fiction biographique” en forme de procès, un réquisitoire impitoyable contre le bureaucrate de la Maison blanche, interprété avec brio par Christian Bale.
Dès le texte d’ouverture, le réalisateur, Adam McKay, prévient qu’en raison du caractère très secret de M. Cheney, certains moments de sa vie seront laissés à la libre interprétation du cinéaste. Inutile donc de reprocher au film d’être partial et à charge : à aucun moment McKay ne prétend le contraire. Et de conclure son introduction d’un surprenant « Mais putain, on a bossé », assumant pleinement son ton satirique.
Certaines scènes sont de véritables coup de génie narratifs. Après la victoire de Bill Clinton à la présidentielle de 1991, Dick Cheney se retrouve au placard. Le réalisateur imagine alors avec ironie une fin de conte de fée, où M. Cheney se consacre à sa famille et à ses chiens. Le générique de fin commence à défiler, jusqu’à ce qu’un bruit se fasse de plus en plus insistant : celui du téléphone familial des Cheney. Au bout du fil ? Georges W. Bush, qui prépare sa campagne...
La scène de l’adoption du Patriot Act est quant à elle d’un rare cynisme. Au lieu de représenter des bureaucrates assis autour d’une table et débattant froidement de tel ou tel article de loi, Adam McKay met en scène Dick Cheney au restaurant avec sa garde rapprochée. Le serveur propose un menu composé de surveillance de masse, de torture et de prison cubaine. La réponse du vice-président ? « On prend tout », accompagnée d’un sourire carnassier. Brillant et effrayant.
Autre scène à forte valeur symbolique : l’opération du cœur de Dick Cheney, qui souffre de problèmes cardiaques. La caméra nous offre un gros plan peu appétissant sur l’organe vital du vice-président, pourri et abandonné dans un coin de la salle d’opération. Dick Cheney est donc littéralement un homme au cœur de pierre qui se transforme en un homme sans cœur. Autrement dit, exactement ce que le film nous montre depuis sa scène d’ouverture.
Après deux heures de réquisitoire intense, le réalisateur a l’intelligence d’anticiper les inévitables critiques lui reprochant son absence d’impartialité et laisse la parole à la défense. La plaidoirie est assurée par un Christian Bale saisissant qui, face caméra, défend son action politique et diplomatique.
Place ensuite à la délibération du jury. De vrais faux spectateurs donnent leur avis sur le film. Mauvaise nouvelle : il y a dans la salle un Démocrate et un Républicain... Le débat se transforme en pugilat, soulignant la fracture politique américaine actuelle.
Détournant son attention de ce spectacle désolant, une jeune spectatrice conclut le film par cette phrase désabusée : « J’ai hâte de voir le prochain Fast and Furious, il a l’air dingue ». Un bilan affligé et lapidaire de la société actuelle, qui préfère se vautrer dans le divertissement inepte et abrutissant plutôt que de se confronter à la réalité souvent peu reluisante du monde.
Brillant sur la forme, terrifiant sur le fond, Vice est une magistrale leçon de cinéma, de narration et de politique.
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