Je dois être l'un des rares à avoir été généreux avec Justice League lors de sa sortie au cinéma.
Car j'avais aimé. Mais modérément. Mais au point de mettre 7 quand même, en gardant à l'esprit les tares bien visibles de l'entreprise et sa production houleuse.
Zack Snyder's Justice League aura au moins un mérite : celui de rappeler finalement que le truc honni par beaucoup en 2017 était quand même bien un film de son réalisateur initial. Raccourci, avec des greffes d'humour tardives et un reshoot du final, mais un film de Zack Snyder quand même.
Pour les plus méchants, Zack Snyder's Justice League sera aussi l'occasion, à l'heure où on vomit à l'envi sur le fric marvelien, de se rendre compte que Warner inaugure sans doute un nouveau genre : celui de la cinématographie mortuaire. C'est à dire à faire rentrer de l'argent sur un cadavre de leur box office.
La scène de résurrection de Superman en acquerrait presque un sous-texte...
C'est qu'ils ont bien joué sur ce coup là, les filous : il fallait simplement laisser la geekosphere se monter le bourrichon durant trois ans sur un cut caché et démentiel (qui était censé n'avoir jamais existé au départ, rappelons-le), lâcher une enveloppe de 80 millions de brouzoufs et hop ! Une catastrophe industrielle décrétée métamorphosée en première tentpole de l'année cinéma confinée 2021.
Manquerait plus, dans cette histoire pleine de mauvaise foi, qu'une baguette magique et des oreilles de Mickey. D'autant qu'on nous en aura vendu, du rêve, sur ce film maudit.
Sauf que je vais sans doute en choquer plus d'un ici en affirmant... Que j'ai pris un plaisir identique à celui procuré par la version ciné, c'est à dire modéré. Et devant un film presque identique au final.
Tout ça pour ça ?
Alors même que la première heure de ce cut frôle la perfection, tant il est équilibré, juste, fluide et enrichit ce qui avait été rushé sur grand écran. Le tout dans un feeling dépressif conférant une épaisseur supplémentaire à l'ensemble. Justice League gagne même en spectacle, non pas par une surabondance d'action supplémentaire, mais en insufflant simplement du caractère, comme par exemple sur Themyscira, où les amazones n'auront jamais autant fait penser aux Spartiates de 300.
Cette même première heure donne aussi un supplément de charisme à Steppenwolf et à Aquaman, débarrassé de ses punchlines humoristiques les plus lourdes pour exister vraiment en tant que héros.
L'impatient spectateur sera donc immédiatement conquis, avant que la deuxième, puis la troisième heure, viennent doucher son enthousiasme. Car si on se retrouve avec le coeur du cut étendu, on se retrouve aussi... Avec rien de moins que le film cinéma, avec tout ce qu'il comportait de facilités scénaristiques, de grosses ficelles et de scènes de dialogues parfois tout simplement stériles. d'autant plus que ces deux heures sont complétées par ce qui avait subi le plus de coupes au montage : le traitement de Cyborg.
Manque de bol, c'est là qu'est l'os : car si ce personnage est bien plus développé que dans la version cinéma, il ne restera finalement qu'un super héros défini comme un Iron Man du pauvre dans la découverte de ses pouvoirs "physiques", avant de se voir affublé d'un trauma des plus tartignoles et enfantins qui ferait presque pleurer de rage. Pas étonnant que sa participation ait été sabrée, pour tout vous dire, même si Snyder lui réserve, dans un éclair fugace, une scène digne de son Dr Manhattan de Watchmen.
Ces deux heures confirmeront aussi que Flash était considéré dès le départ comme le comic relief de service, pas forcément pertinent dans le cadre de la Justice League.
Heureusement, la dernière heure redresse la barre avec son final originellement envisagé, plus violent, plus nerveux et plus sec, délesté de son ciel rouge et de sa hâte d'en finir... Avant un épilogue qui, lui, se prend littéralement les pieds dans le tapis en annulant sa promesse galactique pour mieux la noyer sous des pistes de suite déjà vues, ou encore certaines élucubrations lorgnant sur un futur dystopique aux allures ... de
Injustice !
Justice League reste ainsi une oeuvre mutante, coincée entre la castration de son studio en forme d'aveu d'échec et la générosité mal maîtrisée de son réalisateur. Tout en demeurant un objet fascinant dans ce qu'il dit de son industrie, plus que jamais dans la tourmente aujourd'hui, de ses contraintes, des attentes démesurées du public et de ses aspirations artistiques. Un film tiraillé qui a essayé d'exister avant de sombrer.
Et même si le plaisir modéré de découvrir une vision qui n'est pas entravée est bien là, il est évident que ce Zack Snyder's Justice League se présente plus comme un énorme fourre-tout, rempli de bonnes, de mauvaises idées, de maladresses et de fulgurances. La durée de l'entreprise aurait dû alerter sur l'identité de la chose. Car avec plus de quatre heures au compteur, pour un film de super héros, cette nouvelle version de Justice League ne pouvait se présenter que comme un premier montage devant être réfléchi, travaillé, peaufiné, purgé de ses longueurs et de certains de ses personnages très dispensables comme Martha Kent ou le Commissaire Gordon.
Il est de la même manière évident que ce cut est pollué par l'attente qu'il a créé, versant dans le fan service servile pour quelques secondes d'apparition à l'écran très dispensables, ou encore en essayant de coller aux attentes ou de repêcher d'autres figures honnies de l'univers DC sur grand écran.
La version rêvée par Zack Snyder en 2017 ne trouvera donc forcément qu'à s'incarner de manière partielle, déformée en 2021, tout heureux qu'il est de déjà bénéficier d'un rattrapage, fut-il envisagé pas uniquement par bonté d'âme par son studio.
Oui, si une version alternative de Justice League existe désormais, elle ne fera jamais oublier celle, fantasmatique, et qui ne verra jamais le jour, elle, que George Miller avait en tête.
A moins que la geekosphere ne s'excite à nouveau ?
Behind_the_Mask, en pleine profanation de sépulture.