Alerte : Cette article ne traitera pas des mécaniques de SF4 mais de son parti pris et de son impacte.
Introduction :
J'avais écrit un sketch sur SF4 pour chercher à communiquer le caractère à la fois absurde (sur le plan ludique) et intelligent (sur le plan sociologique) de cette oeuvre qui a ramené le genre baston sur le devant de la scène. Je me rend compte avec le recul et l'expérience qu'il serait plus pertinent d'écrire un article de fond traitant de "l'effet SF4" tout en laissant l'explication des mécaniques de jeu de côté. Vous comprendrez pourquoi en lisant l'article.
Histoire :
Capcom créé Street Fighter II en 1991 sur un format économique arcade. Si tu perds, tu mets ta pièce, si tu gagnes tu continues à jouer gratuitement. Ce format économique était populaire et accepté au Japon, mais pas dans dans notre pays où le genre "jeu de combat" est principalement joué sur console de salon (Super Nes, Mega Drive voir Neo Geo). Un format économique qui correspond à ceci : "si tu perds, tu ne payes pas, et si tu gagnes tu ne payes pas non plus". Le problème sous-jaçent de ce changement de format économique, c'est que nombre de joueurs et de critiques professionnels ne vont pas comprendre le jeu/genre. Non seulement, toute sa métagame est basée la dessus, mais toute sa pédagogie aussi (point majeur de l'article) ! Un exemple compréhensible par tous est le poker.
Je suis capable de jouer au Poker sans argent, car je suis capable de me conditionner mentalement pour matérialiser le "faux argent" en "vrai perte", et malgré cela, mon inconscient me dit que "je n'ai rien à perdre". Le Poker ne se joue pas sans argent car tout son game design est pensé autour de son format économique apprentissage inclus. Quand je joue à un BTU sur émulateur, je me remet dans les conditions de l'arcade. Je me dis "j'ai de quoi acheter 3 crédits, donc je n'ai pas le droit à plus de 3 crédits pour finir le jeu". C'est ainsi que je comprend un BTU et c'est la seule manière de comprendre la plupart des BTU arcade.
On se retrouve donc au début du XXIème siècle avec un gouffre monumentale en terme de compréhension du BTU et du jeu de combat pour une grande partie du publique, critique de presse spécialisée inclus. Vous pourrez trouver un dossier sur "l'histoire du jeu de combat" hébergé par un grand site et rédigé par un professionnel (google is your friend) qui tiens à peu près ce discours.
"D'abord il y a eu SF2. Ensuite il y a eu ses fils ou ses clones. A la fin du XXème siècle le jeu de combat 2D devient élitiste."
Voilà la conséquence catastrophique du changement de format économique. On a un journaliste qui "connaît" le genre et qui oublie "le darwinisme", au coeur du game design. Pour comprendre le jeu de combat avant SF4, il faut aller dans les salles et perdre des sous, ou aller en tournoi, sinon c'est comme si tu jouais au poker sans argent : "tu comprends rien au jeu".
Elitisme ?
Le jeu de combat n'est pas devenu élitiste, du moins pas plus que le RTS.
Mon premier RTS, c'est Dune 2 (Westwood 1992), mon deuxième c'est Warcraft, mon troisième c'est Warcraft II et mon dernier c'est Warcraft III (Blizzard 2003). Si j'avais rien bité à Dune 2, à Warcraft, à Warcraft II et que j'enquille sur Warcraft III, y a un moment je vais pondre un dossier de "presse spéciailisée qui connaît bien le genre" qui va ressembler à ça.
"D'abord y a eu Dune II. Ensuite y a ses fils et ses clones. Au début du XXIème siècle, le RTS devient élististe".
Ce genre de discours vous ne le verrez heureusement nul part pour le RTS. Un format de jeu qui n'a jamais été détaché de son format économique. Ca a commencé avec Les LAN PC entre potes (souvenir souvenir), ça a continué avec Internet et les cyber cafés, et ça a fini en gros évènements médiatisés.
Capcom a réiniventé le BTU 2D avec Final Fight, cristalisé le genre baston avec SF2, conceptualisé le BTA 3D avec les devil may cry, un studio qui pourrait avoir "la tête dans le guidon". Malgré tout ça, ils ont le recul pour comprendre que 95% de la population de joueurs de jeu vidéo (presse inclus) ne comprend rien à leur jeu.
La faute au game designers ?
Vous pourrez entendre des gens dire "oui mais les game designers, ils font pas d'effort pour expliquer les règles de leur jeu devenues cryptiques". D'abord cet arguement n'est que partiellement vrai. SoulCalibur III (2006) a un excellent tutorial qui explique tous les basiques de la baston 3D, seulement comme le jeu est détaché du format économique arcade, soit le joueur ne va pas le lire/faire, soit le joueur va le faire et oublier d'appliquer ce qu'il a appris (aucune raison "importante"). Le seul gars qui va l'appliquer, c'est le compétiteur qui lui sera sanctionné en tournoi s'il ne comprend pas les basiques du jeu. C'est factuel hélas.
Mon deuxième contre-argument à ce discours est le suivant. Ca va faire des années que je consacre ma vie à étudier les BTU/Jeu de combat, et que je galère comme c'est pas permis à tenter de donner une lecture lisible du genre (notamment sur sens critique). J'aime autant vous dire que les game designers ils ont autre chose à foutre (concevoir des jeux pour des joueurs par exemple...) que chercher à expliquer 20 ans d'histoire de combat vidéoludique pour expliquer où en sont rendus leur jeu. Ce serait trop compliqué. Ils font des efforts à la hauteur de leur possibilité (les combo challenges, les tuto vidéos par exemple). Je ne les vois pas dire "alors au début y avait Renegade, Double Dragon et puis Final Fight ensuite..." pour introduire les concepts "d'avantages et de spacing" (si tu sais pas ce que c'est, bien c'est que tu ne comprends pas le combat vidéoludique, et je ne te méprise point, j'écrits pour toi camarade !)
Pour revenir au RTS, les mecs de chez Blizzard, ils ne font pas trop d'efforts non plus pédagogiquement parlant, et personne trouve ça bizarre, parce que leur jeu n'a jamais été détaché de leur format économique et qu'il a été assimilé par la majorité des gens qui jouent au RTS (presse inclus qui peut faire son travail de vulgarisation et ses critiques intelligement).
Concept:
SF4, c'est SSFIIX (version finale de SFII de 1994) avec deux ou trois mécaniques issues de l'histoire du combat vidéoludique (Les coup EX, les come back méchanics par exemple), et deux ou trois archétypes modernes (Viper, Abel par exemple) mais surtout avec "une salle d'arcade".
Le Xbox Live - PSN. Une salle d'arcade qui lag, mais une salle d'arcade quand même. Une salle d'arcade qui sanctionne violemment le gars qui perd. Quand vous voyez un gars déconnecté et rage quit, c'est qu'il perd "des points" et que ces points lui sont "chers". (Sinon il ne rage quiterai pas). Capcom réunis les deux conditions siné quanon pour comprendre le jeu de combat.
a)Une salle d'arcade. (xbox live)
b) Un SFII. (premier jeu du genre)
Impact :
Du jour au lendemain, Ken Bogard faisait de la hype avec des "Dragon FADC ptit Tatsu Shoryudragon". Je ne savais pas si cet homme cherchait à faire du show avec des mots que personne ne comprend, ou avec des phases de jeu issu d'une méta d'un autre temps. (Point de pédanterie là-dedans, seulement une opinion sincère). SF4 (notamment Vanilla) c'est tout sauf spectaculaire si on a connu "des jeux modernes".
Du jour au lendemain, la presse s'est extasiée sur "Wow c'est ouf le jeu de combat" (oui enfin, c'est SFII mec, t'emballes pas, ça a plus de 15 ans !), du jour au lendemain, les gens ont commencé à comprendre tous les basiques de SFII, un jeu de 1991 nécessaire à la compréhension de tout le reste (SoulCalibur, KoF, Tekken, Virtua Fighter, Dead or Alive, BlazBlue, Guilty Gear) qui n'a rien d'élitiste une fois qu'on a compris ce jeu majeur, ce jeu fondateur. Marvel vs Capcom est l'exception à la règle. (Jouer à SF2/4 n'apporte pas grand chose pour ce format de jeu qui réinvente le controle de l'espace.)
Aujourd'hui, Ken Bogard effectue un travail remarquable de pédagogie (je tiens à le préciser, j'ai beaucoup de respect pour cet homme) mais j'ai trouvé sa première démarche absurde et contre-productive.
Résultante :
SF4 est le jeu de combat le plus joué en France compétivitement, mais c'est aussi le jeu le moins compris par rapport à ce qu'il est joué. Si vous prenez le deuxième jeu le plus joué en tournoi en France (SoulCalibur) la communauté de joueur est assez grande et le degré de connaissances de jeu par joueur est plus haut car les joueurs qui chapotent la communauté (Malek, Hazu, Arhimans entre autres) sont des joueurs qui ne sont pas issus de "la génération SF4" et ont une lecture du genre plus avancée . SF4 attire donc un publique plus large pour n raisons (hype, money prize etc) ce qui montre que la route est encore longue...
Alors bien sur SF4, comme SFII, reprend son format économique dans son intégralité. Le jeu va subir patch sur patch, upgrade sur upgrade car il est nécessaire de corriger le jeu, de l'améliorer, de supprimer ses bugs, de l'équilibrer, et pourquoi pas, de le moderniser un peu (la démarche d'Ultra SF4 est de moderniser ce jeu "poussiéreux" soit dit en passant).
On commence à voir la presse "comprendre" que cette démarche n'est pas de l'exploitation mercantile, mais qu'elle est nécessaire pour faire vivre le jeu, au même titre que StarCraft II qui est upgradé régulièrement et qui n'a jamais choqué personne. A l'époque, on voyait presque ça comme une honte le fait que "Capcom ressorte le même jeu avec un perso en plus". Preuve de l'incompréhension qui règnait sur le genre dans nos contrées. En arcarde, quand SSFIIX sort, tu mettais ta pièce dans une autre machine, et t'avais moins de bug. Basta. Le port console, bah c'est le port console (tu payes pas quand tu perds, mais tu payes l'upgrade, et basta).
Aujourd'hui, les joueurs de Tekken Tag 2 français paieraient pour avoir une campagne de DLC et d'upgrade pour ce jeu complètement déglingué dont Bandai Namco n'a juste rien à foutre... TTT2 a été compétitivement de plus en plus déserté par cet absence de suivit. Ca n'a rien d'engageant pour Tekken 7 quand DoA5 lui se stabilise et grandit grâce à ses patchs, ses dlc de meufs à poil (oui ça fait vendre plus, c'est sale) qui financent ses upgrades.
Conclusion :
SF2 est le jeu le plus important de l'histoire du combat vidéoludique arcade, et à ce titre SF4 est une régression ludique majeure mais à vertue pédagogique indispensable. C'est pourquoi je lui met une bonne note, c'est un jeu qui a une démarche sociologique magnifique derrière ses gros sabots mercantiles et sa métagame de la préhistoire du jeu vidéo. Si je dois noter par affinité ou au plaisir, ce jeu m'a rendu con, donc je devrais pas lui mettre beaucoup (je n'étais pas la cible cela dit, et ce jeu m'a appris plein de trucs malgré tout !)
Le BTU serait temps qu'il fasse ce genre de "back 2 basics" mais il ne le fera jamais (un petit check à SoRRv5 quand même !). Le jeu de baston a de beaux jours devant lui (dans le monde entier) grâce à SF4, mais le BTU n'arrive à avancer concrètement qu'en Corée, un des rares pays qui a la culture nécessaire (les BTU ne se sont jamais arrêtés chez eux, culture arcade, puis culture PC) et qui n'a donc pas de besoins majeurs de pédagogie pour s'épanouir. La formule "occidentale" reste celle "mi god of, war mi DMC, mi BTU" depuis plus de 10 ans.
Il sort un nombre de MMO BTU online absolument impressionant en Corée avec des battle system moins foisonnant, plus lisible, très avancée, avec de la coop, et qui sortent du schéma incompris actuel qui se cachent sous des cutscenes qui servent d'emaballages pour cacher le gameplay qui est devenu illisible. Ces jeux coréens n'arrivent hélas pas chez nous pour des raisons évidentes et ne sont couvert par aucune presse française pour les mêmes raisons ! J'ignorais même leur existance pendant des années, alors que je suis passioné du genre, c'est pour vous dire...