Alors que la NES étant encore en quête de grands titres pour asseoir son autorité sur la 3ème génération de console et démocratiser de nouveaux standards vidéoludiques, ce n’est pas moins qu’une légende qui apparaît en 1986 : la légende de Zelda. Avec sa cartouche dorée et son nom mythique, The Legend of Zelda se présente comme un titre singulier de la ludothèque de la NES et à raison puisqu’il est le commencement d’une des sagas les plus emblématiques du jeu vidéo sur laquelle Nintendo aura toujours pu se reposer même s’il est de façon incroyable l’épisode le mieux vendu de la franchise jusqu’en 2014. Mais était-ce si bien que cela dès ce premier épisode ou est-ce que ce n’est que plus tard que ses véritables lettres de noblesse sont apparues ? Je vous propose de découvrir ce que j’en pense en écoutant ce remix orchestral du thème principal de cet épisode.
GAMEPLAY / CONTENU : 8 / 10
Lâche dans un monde ouvert, la liberté est telle que l’on peut atteindre le boss final du jeu sans même ramasser l’épée, l’arme de base du jeu. On peut débloquer les items, tenter et peut-être même réussir les donjons... dans l’ordre que l’on veut, même si en fait il faut parfois impérativement tel item pour passer tel endroit, mais c’est très libre dans l’ensemble. C’était une proposition originale pour l’époque blindée de jeux des plus linéaires et c’est aussi assez bien maîtrisé avec une carte d’assez grande taille qui se prête très bien à l’exploration avec ses raccourcis, secrets... Le jeu était même fourni avec une carte physique pour mieux s’y retrouver en y indiquant uniquement la première moitié des donjons pour guider sans assister, une excellente idée.
C’était un risque pour l’époque, Shigeru Miyamoto, co-game director sur le titre, le dit lui-même :
Nous étions très nerveux à l’idée de forcer le joueur à imaginer ce qu’il devrait faire pour progresser. Nous ne l’avions encore jamais fait et il aurait pu ne pas adhérer et trouver ce nouveau concept ennuyeux ou stressant.
On retrouve cette même volonté d’allier liberté de parcourir et plaisir de jeu dans les donjons en eux-mêmes où l’on débloque la map et la boussole pour être récompensé d’un premier effort d’exploration, avant d’être un peu plus guidé pour plus de confort. Par contre, on peut se retrouver bloqué un peu trop bêtement à cause de ce système très ambitieux. Par exemple, on peut finir un donjon sans en trouver l’objet et du coup poursuivre son aventure avec un objet important manquant qu’on ne pensera pas nécessairement à aller chercher dans un donjon qu’on a déjà parcouru. S’il peut y avoir des liens logiques entre les indices, les obstacles et les nouveaux objets et techniques à acquérir dans un même lieu, ce n’est pas non plus le cas sur tout le jeu.
Il y a aussi des secrets qui peuvent être assez illogiques à trouver, par exemple 16 arbres longent une route, rien ne les distingue, ils sont côte à côte et de même apparence, l’un de ces 16 arbres et uniquement lui peut être cramé et on y trouvera alors un réceptacle de cœur, pas un fragment mais bien un réceptacle complet, c’est un peu stupide. Il y a quelques astuces à connaître qui limitent le problème, comme le fait qu’il n’y ait jamais plus d’un secret par écran, mais ce n’est pas ça qui est le plus important pour que ce problème ne soit pas si conséquent. Le problème que peut induire un tel système est largement compensé par la grande force et singularité de The Legend of Zelda, c’est la présence d’un système de sauvegarde, ce qui sera une norme plus tard mais qui ne l’était pas du tout à l’époque, grâce à une puce spéciale présente dans la cartouche.
En effet, lorsque l’on meurt, on recommence au début du monde ou du donjon que l’on parcourt, on doit tuer de nouveau les ennemis sur la route (sauf les plus retords en certaines circonstances)... mais tout ce que l’on a en notre possession, argent, objets, améliorations permanentes... est encore en mémoire, et c’est tout simplement génial. La permadeath n’aurait pas du tout eu sa place dans un jeu aussi long et comprenant des moments où l’on est juste perdu, avec tant de collectibles à trouver... et qu’ils aient été jusqu’à modifier leur méthode de développement traditionnel pour s’adapter à cette contrainte, c’est assez admirable.
Le maniement lui-même, vue de dessus, est également une belle réussite. Le recul lorsque l’on provoque ou l’on encaisse des coups, la localisation des dégâts selon s’ils arrivent en face ou sur les côté ou encore par derrière, les types de dégâts dû aux armes utilisées plus ou moins efficaces selon les circonstances... constituent un gameplay dynamique et technique. Le masque de collision est assez permissif et on arrive assez bien à toucher les ennemis, un petit aspect addictif à la progression se fait aussi sentir avec les différentes améliorations permanentes que l’on peut acquérir, les ennemis ne respawn pas à chaque changement d’écran... autant d’écueils récurrents de sa génération que The Legend of Zelda avait pourtant réussi à éviter dès ses débuts.
La durée de vie du titre est vraiment très bonne avec une bonne dizaine d’heures pour en voir le bout, et même si ça comprend pas mal d’allers-retours, j’avoue être mort presque 100 fois avant de finir mon premier run, ou encore des situations de jeu recyclées à l’identique, c’est tout de même un monde ouvert offrant l’accès à 9 donjons qui s’offre à nous, le tout en 2 versions différentes. Plutôt que de simplement rééquilibrer le jeu pour que l’on meurt plus vite et les ennemis plus lentement, le mode difficile qui s’enclenche tel un New Game + répartit différemment ennemis et secrets, attribue de nouvelles attaques à nos opposants... pour offrir un véritable potentiel de rejouabilité, à un titre qui n’en avait pas spécialement besoin qui plus est. Si cette générosité et qualité ludique constituent pour moi le plus grand tour de force, réalisation et esthétisme ne sont pas sans restes non plus.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : 7 / 10
Si la NES est d’une puissance assez importante pour son époque, elle est encore à ses débuts en 1986 et pourtant The Legend of Zelda parvient avec astuce à s’illustrer d’un monde varié et cohérent visuellement. Les couleurs dominantes permettent d’assez bien identifier dans quel type d’environnement on se trouve et beaucoup des éléments de ces décors, en plus d’être cohérents avec leur thématique environnementale, sont repris différemment pour que l’on est pas le sentiment d’être sans arrêt sur le même type d’écran à s’y méprendre, sauf quand c’est bien évidemment l’effet recherché.
Une autre grande qualité visuelle c’est que l’interface est très bien pensée avec les changements d’écran qui se font avec un défilé d’image plutôt qu’un fondu peu agréable et désorientant, la partie supérieure de l’écran en devenant la partie inférieure quand on passe dans le menu avec un affichage de la map, de l’inventaire... parfaitement ergonomique. Ce sont autant d’éléments auxquels on ne fait pas nécessairement attention en jeu, qui peuvent même nous paraître bénins quand on les cite en points forts, mais qui au final contribuent au plaisir de jeu, ne se retrouvaient pas toujours dans des jeux des années 1980 et prouvent une fois de plus le talent et l’ingéniosité des développeurs qui ont su innover avec intelligence.
Ils ont peut-être été moins innovants dans le bestiaire qui va piocher allégrement dans des grand classiques de la Fantasy avec des gobelins, des fantômes ou des squelettes comme ennemis (même s’ils ne sont pas nommés ainsi) et des fées pour nous soigner, des vieux sages pour nous conseiller... Il y a bien une petite touche d’humour sur certains ennemis particulièrement ridicules, comme ces petits lapins qui résistent bien trop à nos coups d’épée, qui trahissent déjà l’envie de dépeindre une caricature sur un ton léger de ce type d’univers, auquel je n’adhère pas tout à fait pour être honnête. Si les sprites des boss peuvent être assez impressionnants à l’occasion, avec des dragons à plusieurs têtes par exemple, ils ne sont globalement pas très grands et parfois même un peu ridicules, y compris Ganondorf.
La place étant limitée sur la cartouche, tous les donjons ont été créés de façon à s’imbriquer les uns dans les autres comme s’ils avaient tous lieu dans le même espace et malgré cette énorme contrainte, chaque donjon représente une forme bien particulière de par la disposition de ses pièces, ce qui est bien sympathique et illustre un vrai soin du détail. Malheureusement, ses formes ne font pas non plus sens de façon surprenante avec une volonté de level-design ou de scénario, c’est peut-être un peu trop en demander, mais ça a le mérite d’être là et de contribuer à l’identité de ces donjons qui constituent un point majeur de l’expérience de jeu.
Un défaut plus notable ça serait quelques ralentissements occasionnels mais assez prononcés sur les écrans les plus chargés en ennemis et attaques, les moments où l’on a le plus besoin que ce soit fluide pour ne pas se faire avoir par une trajectoire adverse qui d’un coup se met à accélérer par exemple. Néanmoins, dans l’ensemble ça se tient et le jeu est stable. Enfin, musicalement Koji Kondo réalise quelques musiques qui deviendront mythiques par la suite à force de reprises officielles comme amateures mais l’OST se compose de musiques de qualité très souvent répétées, qui honnêtement ont fini par me saouler vers la fin de mon run tant je les ai entendu encore et encore en jeu. Terminons cette critique par le point sans doute le moins important de ce jeu : le scénario.
SCENARIO / NARRATION : 7 / 10
La quête de la Triforce est bien évidemment le cœur de l’intrigue : un être maléfique du nom de Ganondorf intéressé par le pouvoir est en quête de puissance qu’importe les dégâts qu’il occasionnera, une princesse du nom de Zelda l’empêche intelligemment d’arriver à ses fins en dispersant une partie de ce pouvoir aux 4 coins du royaume pour qu’un jeune garçon du nom de Link n’écoutant que son courage remporte la victoire sur les forces du mal, ou n’importe quelle formule typique du genre. Ça sonne aussi classique qu’efficace puisque l’on retrouve la quête héroïque d’un aventurier que l’on veut incarner face à un antagonisme d’une grande puissance que l’on veut voir vaincu afin de rétablir la paix et de sauver une princesse en détresse.
C’est une histoire qui peut se réinterpréter de bien des manières, ce qui sera plus ou moins le cas par la suite dans la saga, mais qui a de solides fondations sur lesquelles on peut se reposer sans problème pour renforcer le sentiment de vivre une grande aventure chevaleresque. C’était un très bon choix pour établir une nouvelle licence, d’autant qu’étant assez simpliste, la narration l’est tout autant en présentant très rapidement tout ça sur le menu et en imposant aucun dialogue en jeu. C’est donc un choix parfaitement assumé de par des développeurs qui n’avaient pas l’intention d’écrire un scénario exceptionnel et de le raconter de façon particulièrement pertinente, mais ils n’ont pas fait n’importe quoi à la place, ils ont fait quelque-chose de simple qui n’entrave en rien le plaisir de jeu.
Ils ont seulement oublié leur prologue, c’est la notice qui explique comment Link s’est vu doter de la triforce du courage en sauvant Impa, nourrice de Zelda ayant fui en ayant connaissance de toute l’histoire pour confier cette quête à qui saurait la relever à sa place. Ils auraient pu au moins le dire dans l’intro à défaut de ne nous le faire jouer. C’est clairement la partie manquante pour que le scénario soit pleinement cohérent, autrement on ne sait absolument pas comment on s’est retrouvé mêlé à tout ça, qu’est-ce qui ferait de nous, petit elfe chétif de 10 ans, le protagoniste du jeu là où n’importe qui d’autre aurait pu faire l’affaire.
Enfin, autre petit défaut mais largement plus anecdotique, les phrases prononcées par les quelques PNJ que l’on pourra rencontrer ne seront pas toujours bien écrites. Je ne sais pas ce que donne la version japonaise, n’ayant pas une profonde connaissance de cette langue pour ne rien vous cacher, mais la version anglaise est souvent composée de phrases descriptives très courtes qui n’emballent même pas très bien le peu de choses qui peut s’y dire. Il n’y a qu’à voir le fameux « It’s Dangerous to go alone, take this ! » qui ouvre l’aventure d’une certaine manière en confiant une arme emblématique. Mais ce n’est pas bien grave tant ces phrases sont peu importantes.
CONCLUSION : 7 / 10
Dès ce premier épisode, Zelda mérite sa légende en proposant une expérience vidéoludique innovante, efficace et audacieuse avec son monde ouvert offrant une exploration des plus agréables. Le sentiment de vivre une grande aventure se fait déjà ressentir grâce à ce maniement technique et dynamique, à la générosité de son contenu, à la diversité environnementale qu’il présente, à l’interface intelligemment pensée pour une excellente ergonomie, à ses quelques musiques devenues cultes... Cela reste limité par certaines carences techniques dues au début de vie de la console, à des choix esthétiques ou scénaristiques que je trouve perfectibles... mais c’est une belle expérience intemporelle et un excellent début pour cette saga.