Pas évident de trouver par quel bout prendre cet Avowed, qui fait tout ce qu'il peut pour se soustraire à la grille d'analyse classique d'un RPG. D'un côté, c'est un jeu se basant sur l'univers et le lore de Pillars of Eternity, la licence de CRPG "à l'ancienne" la plus populaire après Baldur's Gate 3, qui aurait tendance à annoncer par sa seule existence une expérience réservée aux puristes du genre. De l'autre, c'est un jeu qui repose sur un gameplay fortement écrémé dans sa dimension JDR, non seulement par rapport aux PoE, mais aussi par rapport aux autres productions Obsidian en vue à la première personne, comme Fallout New Vegas ou The Outer Worlds. On a beau être habitué au fait que le développeur californien propose à chaque jeu ou presque une variation unique et personnelle du genre RPG, Avowed est vraiment un titre à part dans sa ludographie, pour le meilleur comme pour le pire, qui demande de faire abstraction d'un certain nombre de choses pour être apprécié à sa juste valeur.


La première déconvenue pour un joueur aguerri entrant dans Avowed sera de constater la dégradation, que dis-je ; le massacre des acquis d'Obsidian en termes de mécaniques rôlistes, que l'on parle de l'univers de Pillars of Eternity spécifiquement (dont les règles inspirées de l'infinity engine sont balancées à la poubelle sans ménagement) ou, de manière plus générale, des réalisations récentes de ce studio, quel que soit leur degré d'affinité avec le genre. Prenons The Outer Worlds, avec lequel Avowed partage en surface plusieurs caractéristiques : la perspective, le monde semi-ouvert, et le gameplay plutôt orienté action. Malgré ses défauts qui furent abondamment notés par la presse spécialisée, The Outer Worlds avait profondément travaillé ses aspects liés aux choix : d'approche, d'exploration, d'allégeance, de décision, de moralité... faisant de sa dimension RPG une réussite notable, particulièrement en termes de potentiel de rejouabilité (c'est là où je redis que j'ai fini ce jeu 4 fois de fond en comble, toujours avec le même appétit, pour en débusquer les innombrables chemins alternatifs). C'est cette dimension de choix qu'Avowed choisit consciemment d'escamoter, pour ne proposer qu'un récit sur rails, sans donner de réelle marge de manœuvre au joueur : ni dans sa façon de s'exprimer à travers les dialogues, ni dans la résolution des quêtes qu'on lui attribue, ni même dans le positionnement moral de son personnage au sein du monde qui l'entoure, pourtant complexe d'un point de vue politique.


Oh, bien sûr, les développeurs ont quand même fait le boulot de base : on retrouve des choix de réponse (qui mèneront toutes à la même conclusion), des quêtes proposant ponctuellement de prendre parti pour ou l'autre camp (sans que l'on s'en sente particulièrement ému ou tiraillé). Mais ces options ne sont la plupart du temps que cosmétiques, ou privées de conséquences à long terme, en plus de souvent verser dans une forme de manichéisme qui ne cadre ni avec la complexité géopolitique du monde d'Eora qui a déjà eu 2 jeux pour s'épanouir, ni avec les autres réussites passées d'Obsidian. Avec Avowed, le développeur semble ainsi avoir fait un choix audacieux : partir en quête d'un nouveau public, qui n'a pas envie de se prendre la tête et vient avant tout pour trouer du xaurip à coups de lance ou de fusil. Difficile de dire si c'est une décision pleinement assumée, ou induite par le statut d'Avowed de "jeu Game Pass", autrement dit de jeu apéro, qui serait conçu pour séduire immédiatement à la façon d'un programme SVOD. On devra quand même admettre que cette simplification n'est pas complètement nouvelle dans l'histoire d'Obsidian, Avowed rappelant, dans son approche volage des codes du genre, un certain Dungeon Siege III sorti il y a une quinzaine d'années ; mais voilà, la chair rôliste est quand même un peu triste.


Un autre problème majeur d'Avowed réside dans la gestion de la difficulté, pétée à un degré que les plus hardis pourront qualifier d'intolérable. Ce souci était déjà présent dans The Outer Worlds, mais était compensé par la complexité orgasmique du quest design, véritable masterclass étant allée jusqu'à faire la leçon au pourtant déjà très respectable Fallout New Vegas (c'est une opinion peu populaire, mais que j'assume pleinement). Là, on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent pour pardonner un niveau de défi de la même insolente faiblesse, clairement déterminé à n'opposer aucune résistance au joueur qui croule rapidement sans arrêt sous les armes cheatées, bonus de dégâts débiles et autres points de compétences distribués à la douzaine face à une IA ennemie bourrine, aveugle et totalement dans les choux, qui ne sait guère comment s'y prendre face à la toute-puissance absurde de notre cortège. Ainsi, tout comme le seul moyen de profiter d'un niveau de défi un minimum stimulant dans The Outer Worlds était de jouer dans son mode de difficulté maximal pompeusement nommé "Supernova", l'unique moyen de ne pas s'endormir sur sa manette dans Avowed est de lancer la partie directement en mode "Voie des damnés", dont le descriptif faussement intimidant n'est même pas fidèle à l'expérience plutôt pépère qu'il déroule concrètement. C'est d'autant plus regrettable que ce nom très badass est directement importé des Pillars of Eternity, qui y déployait une difficulté réellement homérique que bien peu ont réussi à surmonter.


Ce n'est pourtant pas faute de la part d'Obsidian de proposer des choix de game design intéressants, qui demandent d'apprivoiser une nouvelle façon de progresser. Le plus neuf d'entre eux réside dans un système central d'améliorations d'armes sur plusieurs niveaux, qui demande de glaner des matériaux de craft en explorant minutieusement le monde en-dehors du cheminement des quêtes : indépendamment de leurs dégâts bruts, ces grades de qualité que l'on fait gagner à notre équipement au fur et à mesure agissent comme des coefficients multiplicateurs qui sont parfois nécessaires pour avancer sans encombre. Cela fait concrètement qu'il faut bien avoir exploré une région avant d'accomplir certaines quêtes, au risque de tomber sur des ennemis résistants à des armes d'un grade de qualité inférieur. Par ce système ingénieux, Obsidian réinvente ce que l'on nommerait ailleurs "level scaling", en lui donnant un sens plus profond que le simple gonflement artificiel des forces ennemies en fonction de notre propre montée en puissance. C'est aussi une façon plutôt astucieuse de freiner une progression trop rapide, tout autant que d'encourager à l'exploration d'un monde bien construit, densément rempli, bourré de secrets à aller chercher à l'écart des chemins, sous des cascades ou dans des cavernes dissimulées à l'abri des regards.


C'est à partir de là que l'on peut alors parler des qualités concrètes d'Avowed, qui sont bien réelles, et parfois particulièrement méritantes. Un gros, gros coup de cœur ira donc d'abord à son world design, qui réussit à conjuguer grandeur, ouverture et densité. C'est définitivement un domaine dans lequel le studio a su capitaliser sur ses acquis, pour proposer une succession de régions ouvertes particulièrement bien construites, qui développement, et maintiennent, un plaisir d'exploration diffus. La première d'entre elles, la ville côtière de Paradis et ses environs sauvages aux accents de piraterie tropicale, envoie une claque phénoménale qui pose le niveau : le parcours vallonné des chemins abîmés par le passage du temps, l'alternance entre zones naturelles ou civilisées, les falaises à escalader, les toits sur lesquels se livrer à du parkour light mais plaisant, les entrées de cavernes dissimulées, les secrets disséminés partout invitent à explorer toujours plus avant des zones dont la finesse de conception laisse pantois. En termes de qualité de level design, Avowed se mesure sans peine aux précédents jeux en 3D d'Obsidian et évoquera même ponctuellement, dans l'organisation savante de ses chemins multiples et interconnectés, des références du first person immersive comme les Deus Ex ou Dishonored. A l'échelle de régions ouvertes d'une taille tout à fait respectable, l'exploit est assez faramineux et reste le principal responsable de l'addiction bien réelle que dispense Avowed : les Terres Vivantes donnent envie d'être explorées dans leurs moindres recoins.


L'excellence du level design est à adosser à la grandeur des parties artistique et technique, pas moins méritantes. D'un point de vue technique, en tous cas sur PC, le jeu est visuellement très abouti, en reprenant le moteur et les shaders de The Outer Worlds pour proposer ce rendu d'image très particulier bien connu des baroudeurs d'Halcyon, qui donne une couleur (ou plutôt, une palette de couleurs) à la fois réaliste et fantastique au monde, lequel devient dès lors d'autant plus tangible. La finesse des textures du moindre élément (les feuillages, herbes et murs sont spectaculairement détaillés), la puissance d'évocation d'éclairages aux couleurs chaudes et envoûtantes tissent des ambiances d'une rare puissance. D'ailleurs, d'un point de vue artistique, on se situe à un niveau de maîtrise que je ne me gênerai pas pour qualifier d'exceptionnel : outre la qualité épatante de la transposition en 3D du style insulaire à l'isométrique de Pillars of Eternity II, il reste à saluer la façon dont chaque mètre carré est rempli de petits objets, le halo de lumière appétissant et tamisé que projettent des collectibles toujours savamment placés, l'histoire muette mais riche que raconte chaque cabane abandonnée, les lueurs émises par ces champignons étranges poussant un peu partout, la poésie brute d'un cycle jour-nuit donnant à voir les couchers et levers de soleil parmi les plus beaux jamais observés dans un jeu vidéo. Pour faire simple, Avowed est d'une splendeur visuelle à s'en rendre gaga et, particulièrement sur PC en réglages "Epique" (et même sans activer le ray-tracing), constitue probablement ce qui est le plus beau jeu à thématique fantasy existant sur le marché. Penser, en gros, à un Skyrim moddé jusqu'au trognon pour des machines de l'an 3000, mais dans un univers de piraterie à la Risen particulièrement fignolé et séduisant, même si le renouvellement régulier des ambiances pourra aussi évoquer la séduisante dualité forêt/désert de l'artistiquement pas dégueu Dragon's Dogma 2.


Vous le voyez venir, c'est là que ça devient dur de ne pas aimer Avowed : le jeu a beau se trimballer d'invraisemblables paresses de conception ou de narration, sa plastique très aboutie et son level design incroyablement affûté commencent malgré tout à le rendre sérieusement attrayant. On s'emmerde un peu sur l'histoire, on écoute distraitement des dialogues pompeux qui tombent dans les travers du MJ ascendant poète, mais ce n'est pas si grave, car on sait qu'après ces séquences sans grande inspiration s'offriront à nous des régions passionnantes à explorer, qui demandent pas mal de temps pour être parcourues dans leurs grandes largeurs. Chaque entrée dans l'un des nouveaux mondes (qui se découvrent l'un après l'autre en progressant dans la quête principale) est un moment de recueillement puissant, où l'on contemple, ébahi, l'immensité des reliefs d'un biome unique et superbement maîtrisé (côtier, forestier, désertique...) en se susurrant à soi-même les aventures qu'on y vivra. On a beau savoir que l'histoire n'y sera pas palpitante, que la difficulté y sera molle du genou, qu'on y sera plutôt du genre tout-puissant et qu'à peu près tout le monde nous lèchera les bottes où qu'on aille, Avowed réussit brillamment dans sa mission de nous faire aimer le voyage, davantage à la façon d'un jeu d'action/aventure plus traditionnel. La décharge d'adrénaline mâtinée d'émerveillement que procure la découverte d'un panorama donnant sur une région inexplorée vaut à elle seule bien des sacrifices, auxquels j'ai été heureux de consentir.


Reste enfin le dernier morceau d'Avowed : ses combats. Le jeu propose de multiples styles, au corps-à-corps ou à distance, avec des arcs, des pistolets, des fusils, des petites ou grosses épées, des dagues ou des marteaux de guerre, des compagnons à améliorer et tutti quanti, qui en font l'expérience la plus complète du genre en termes de castagne. Si le jeu échoue à en faire un réel atout à cause de sa faible difficulté et de ses IA ennemies erratiques, il n'en reste pas moins qu'on se marre plutôt pas mal à taper sur les méchants, grâce à des sensations d'impact franchement plaisantes et à un côté un peu bordélique mais dans le bon sens du terme, qui nous ramène, pour le citer de nouveau, à Dragon's Dogma 2 avec qui Avowed partage un feeling de "brawler fantasy" relativement proche. Les animations très réussies, l'intensité des effets pyrotechniques et la lisibilité de l'action font des instants de baston des moments toujours agréablement distrayants malgré leur répétitivité, et marquent un net progrès d'Obsidian en la matière depuis The Outer Worlds.


Alors quoi ? Faut-il huer Avowed pour sa régression difficile à avaler en termes pûrement rôlistes, ou au contraire le défendre pour sa proposition stimulante en matière de level design et d'exploration ? Facile de comprendre pourquoi les avis sur ce jeu sont aussi polarisés, et difficile de donner entièrement tort, ou entièrement raison, à l'un des camps. Pour ma part, j'ai choisi de voir en Avowed une expérimentation intéressante, une nouvelle tentative de variation personnelle sur le RPG comme ont pu l'être, dans des écoles différentes, The Outer Worlds, Alpha Protocol ou même Pentiment. Une nouvelle fois, Obsidian tente des choses, essaie de subvertir le genre d'une façon encore jamais essayée dans son histoire. Comme souvent, il ne réussit pas tout ; mais il réussit l'essentiel, c'est-à-dire insuffler de la personnalité là où il y en avait le plus besoin, concentrer ses efforts sur un domaine particulier qui permet à l'ensemble de tenir debout malgré des fondations parfois très fragiles. A ce compte-là, on finit même par tolérer l'aspect verbeux et compartimenté des dialogues, qui pourront se révéler étonnamment nombreux et fouillés en termes de lore, notamment pour qui voudra faire l'effort de s'intéresser à ses compagnons et à un grand nombre d'à-côtés narratifs qui finissent par acquérir un certain charme. Ceux qui connaissent Obsidian, qui aiment ce studio pour son entêtement à toujours proposer quelque chose de neuf autour du RPG au sens large en s'écartant des sentiers battus, trouveront en Avowed une proposition digne d'intérêt, dont les nombreuses qualités compensent les tout aussi nombreux défauts. Ceux qui, en revanche, ne jurent que par la complexité proverbiale de l'univers de Pillars of Eternity (dont ce jeu est littéralement un produit dérivé), et préfèrent leurs RPG complexes et stratégiquement stimulants, seront vite lassés par la simplicité du gameplay, autant que par la linéarité narrative d'un jeu loin, très loin de répondre aux standards d'une authentique expérience de jeu de rôles. Appartenant simultanément aux deux publics, au fil de ma cinquantaine d'heures de pérégrinations, Avowed m'a fait basculer de façon quasi-métronomique entre pur émerveillement et molle satisfaction. Malgré des moments d'ennui profond, j'en retiendrai pourtant sans doute sa maestria technique et artistique qui m'a fait voyager comme peu d'autres y sont parvenus avant lui. Rien que pour ça, le jeu en vaut bien la chandelle.

boulingrin87
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Seb C.

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