Cinq ans après avoir vainement essayé de ne pas abandonner devant l'intransigeance psycho-rigide de Demon's Souls, je suis (enfin) venu au bout de (l'enfer) Bloodborne, qui a pourtant fait tout ce qu'il pouvait pour me décourager pendant une bonne grosse quarantaine d'heures étalées sur 6 mois. Je ne sais pas si mon état d'esprit a vraiment changé entretemps. D'ailleurs je ne suis pas certain de vouloir replonger, pour un NG+, une probable suite ou pour l'inévitable DLC qui devrait arriver d'ici la fin de l'année, de m'infliger une nouvelle fois cette torture, une telle dose de stress, après une interminable journée de travail et une heure à transpirer sur un vélo elliptique en respirant bien malgré moi les effluves masculines des usagers du Club Med Gym.
Je ne vais pas mentir, si je suis parvenu à dompter Bloodborne alors que Demon's Souls m'a épuisé après une seule et unique session de jeu, c'est surtout parce que je suis une pute à graphismes : cette direction artistique démente qui mélange esthétique victorienne et horreurs lovecraftiennes est tout simplement incroyable, dantesque, d'une beauté renversante. Dans une moindre mesure je dois avouer que je trouve le système de combat à base de galipettes, d'esquives, de roulés-boulés et de contres improbables à base d'arme à feu, beaucoup plus cool et dynamique que celui des Souls.
Or, il fallait AU MOINS ça pour accepter de se laisser humilier par les mécaniques implacables et élitistes de Bloodborne : mobs puissants (surtout en meute), boss ultra-agressifs, perte définitive des points d'expérience après deux décès consécutifs, checkpoints relativement éloignés. Même si, au final, le jeu fonctionne un peu comme une université dont les premières années préparatoires serviraient à éliminer le grand nombre possible d'étudiants parmi les plus faibles en se reposant sur une quasi absence de pédagogie et une sévérité vexatoire, avant de s'adoucir progressivement jusqu'à la remise des diplômes : on souffre SURTOUT au début. Non seulement parce que le jeu ne nous offre quasiment aucune information sur son gameplay (et son scénario), mais aussi parce qu'il garde en réserve une partie non négligeable de ses mécaniques les plus friendly et ne les débloque qu'au fur et à mesure de notre progression. Attendez-vous à passer des heures entières dans les deux premières ruelles de la très british ville de Yarnham... Mais pas de panique, comme dirait l'autre, « it gets better » — ou plutôt, « YOU get better ». Chaque échec nous fait progresser à petite dose : on exploite les faiblesses des mobs, on maîtrise peu à peu le système de combat, on assimile les subtilités du level design.
D'abord mesquin — il faut être franchement vicieux pour n'offrir la possibilité au joueur de passer de niveau qu'après la rencontre, inévitablement fatale, avec le premier boss —, Bloodborne finit peu à peu par mettre de l'eau dans son vinaigre : le système d'entraide en ligne à base de messages laissés par d'autres joueurs, les raccourcis trop malins qui compensent tant bien que mal la rareté des checkpoints. Et puis bien sûr un mode coopératif qui fonctionne sur deux axes. Le premier permet d'appeler quelques collègues à la rescousse lorsqu'on bute de manière répétée contre un passage du jeu trop retors ou un boss récalcitrant. Le deuxième nous offre la possibilité d'aider les autres joueurs en détresse, un bon moyen de grinder peperlito, puisqu'ici on ne perd plus ses points d'expérience lorsque l'on passe de vie à trépas.
Pour autant, Bloodborne ne se transforme jamais en promenade de santé. Ne serait-ce que parce qu'il n'est pas toujours très aisé de savoir quels sont nos objectifs et où ils se trouvent dans cet immense labyrinthe dans lequel il n'est pas vraiment très agréable de se perdre. Le jeu reste toujours très avare en informations et ne dévoile son background scénaristique, à la fois convenu et assez complexe, qu'au compte-gouttes. Certains concepts purement géniaux, comme le système de "lucidité", ne peuvent être assimilés qu'avec le temps et une compréhension aigüe du système de gameplay. C'est peut-être encore plus frustrant que la difficulté globale du jeu.
Soyons honnêtes, Bloodborne faiblit un peu dans son dernier tiers, le jeu perd un peu de sa ténébreuse beauté après les niveaux somptueux de Yarnham, d'Hemwick et des Bois Maudits, ses boss manquent un peu de diversité, et les ficelles de son level-design à la Castlevania finissent par être un peu grosses. Pourtant je ne regrette pas l'expérience même si elle a monopolisé le peu de temps que consacre désormais aux jeux vidéo pendant 6 mois.