Il n'y a pas si longtemps je finissais Bloodborne, perplexe.
Dans ma critique dédiée au jeu j'avais émis l'hypothèse que s'il m'a si peu parlé, c'était en majeure partie dû au fait qu'avant ce titre j'étais déjà passé par la trilogie Dark Souls, dont le premier et le troisième opus sont des pierres angulaires de mon référentiel vidéoludique, et que si ces jeux m'ont fait autant d'effets c'était car ils ont su poser des bases fondamentales pour le joueur que je suis, qui compensaient largement les légers défauts que je pouvais leur adresser, là où j'étais beaucoup plus à l'affut de la petite bête dans Bloodborne jusqu'à complètement en sortir. Ainsi je me suis demandé si les défauts que je trouve à ce jeu ne seraient pas les mêmes présents dans les Souls, seulement dans un contexte de découverte je n'ai pas su - ou voulu - les voir.
Dès lors une question est née dans mon esprit : est-ce qu'à force de toujours tirer sur la même corde, FromSoftware ne serait pas que le studio d'un unique émerveillement du bizutage avant de s'enliser dans la sempiternelle redondance ?
Donc j'ai fini par me lancer dans Sekiro. et le moins que l'on puisse dire c'est qu'en ce qui concerne la question, ce jeu m'a apporté un semblant de réponse très enthousiaste, voire salvateur.
Pourtant de loin rien ne semble fondamentalement le différencier des précédents cauchemars lovecraftiens du studio, à l'exception de la délocalisation au Japon féodal. La promesse reste la même : se faire martyriser par des ennemis et des boss surpuissants au sein d'un univers sombre et sans aucune pitié. Mais déjà sur ce point-là le jeu rompt déjà avec une névrose habituelle du studio : en effet il n'y a pas de grands monstres de 8 mètres de haut (à un serpent près) ou de squelettes qui lancent des boules de feu. Les ennemis sont semblables au personnage que l'on incarne, l'univers est construit à hauteur d'homme, et même les boss n'ont pas cette dimension grandiloquente comme on a pu en avoir dans les autres FromSoft'.
Non pas qu'on se soit débarrassés de certains éléments fantastiques, comme l'immortalité, la spiritualité, des mondes oniriques avec leur bestiaire adapté et malédictions en tout genre. Mais déjà Sekiro s'inscrit dans une logique de rupture en reposant un peu les pieds sur terre.
L'air de rien c'est plutôt osé, et admirablement bien adapté au gameplay qui lui se base toujours sur les fondations du studio (quoique pas tout à fait, on y reviendra).
Ça nous replace dans un rapport d'égalité avec le monde et les ennemis qu'on rencontre. Les boss aussi dépassent rarement notre taille, et donc notre manière de les approcher changent du tout au tout.
Première idée de génie du jeu : affirmer un état d'esprit proche des jeux d'infiltration.
Car foncer dans le tas n'est jamais une bonne idée, le jeu a mis à notre disposition cette dimension infiltration pour nous pousser à approcher les zones différemment.
On peut maintenant se coller aux murs, espionner les ennemis, les approcher discrètement par derrière pour les buter d'un bon coup de katana dans le dos, même certains boss on peut juste les contourner et s'approcher d'eux pour leur mettre un coup mortel et torcher instantanément la moitié du travail !
Alors ça ne rend pas la mission plus facile pour autant car mettre un coup mortel signifie faire du bruit et alerter les autres ennemis autour, mais ça apporte déjà une toute nouvelle manière d'approcher un combat, en faisant sien l'infrastructure de chaque zone pour s'en servir au mieux, soit pour se faire discret, soit pour contourner certaines attaques tout en faisant en sortes de rester proche de sa cible pour la toucher le plus tôt possible.
Car dans ce jeu il ne faut surtout pas penser en termes de dégonflement ! Ça ne sert à rien de mettre un coup à un ennemi, reculer, tourner un peu autour pour trouver un nouvel angle, lui remettre un coup et caetera. Le jeu nous pousse constamment à être extrêmement agressif car son deuxième très gros point fort est son système de combat.
Pour les non-initiés, il ne s'agit plus de foutre 150 coups de sabre à un boss pour lui faire tomber sa barre de vie, là le challenge est tout autre. Et en cela le système de barre de posture est juste brillant.
Pour pouvoir mettre un coup mortel, et donc tuer un ennemi ou faire perdre un point à un boss qui peut en contenir jusqu'à trois. Et donc pour ce faire il faut soit vider la barre de vie, ce qui est long et parfois très fastidieux, ou lui briser temporairement sa posture, soit en le rouant de coups qu'il va essayer de parer, soit en parant avec le bon timing ses coups. Donc trop s'éloigner revient à lui donner du temps pour récupérer sa posture donc il faut en permanence être à l'assaut, et à l'affut car nous sommes loin d'être costauds.
Se soigner revient à perdre du temps car l'ennemi peut recharger sa posture, soit nous mettre un coup surpuissant qui peut parfois nous faire mourir instantanément. Ainsi lorsque la barre de posture est sur le point d'être brisée et que notre santé est basse, est-ce que ça vaut le coup de se soigner et refaire une bonne partie du chemin ou risquer de perdre ses derniers points de vie pour faire tomber sa posture et lui infliger un coup mortel ?
La bonne réponse est que ça change à presque chaque combat. Certains boss régénèrent très lentement leur posture et d'autres exagérément rapidement, et il faut adapter sa stratégie en fonction.
En cela pour moi Sekiro accomplit ce que Bloodborne a essayé, bravement mais pas parfaitement, de mettre en place : pousser le joueur au risque, et donc le forcer à devenir meilleur quoi qu'il arrive.
Dans Bloodborne les combats de boss ressemblent beaucoup plus à un Dark Souls traditionnel, à savoir lentement faire tomber la barre de vie du boss tout en esquivant ses attaques. Cependant à chaque coup pris notre barre de vie affiche une barre orange temporaire qu'on peut restaurer en santé en contre-attaquant, comme si on vampirisait l'ennemi. C'était une super idée mais pas mal gâchée par la difficulté parfois stupide qui fait que prendre un risque nous conduit presque systématiquement à notre mort.
Dans Sekiro, fuir c'est perdre du temps, taper ce n'est pas toujours faire baisser la santé, la seule solution à chaque fois c'est savoir jongler très rapidement entre trouver les bonnes fenêtres d'esquive, taper autant qu'on peut et assimiler les patterns des ennemis pour pouvoir contrer leurs coups.
Rajouté à cela que certains coups ne sont pas possibles à contrer et qu'à moins d'avoir débloqué certaines compétences on ne peut qu'esquiver, ça rend chaque combat difficile mais nerveux et épique.
Le gameplay a d'ailleurs été sensiblement amélioré par rapport aux Soulsborne puisqu'un seul bouton est nécessaire pour parer, et on peut attaquer bien plus rapidement, on peut sauter avec un seul bouton alors qu'avant il fallait se mettre à courir PUIS rappuyer sur le bouton de course pour sauter pas très haut et pas très loin.
Ça rend les déplacements et les attaques beaucoup moins rigides, beaucoup plus nerveux, et donc plus plaisants.
Surtout que le jeu sait comment s'y prendre pour nous forcer à devenir meilleur avec ce système : on n'aura le choix que d'une seule arme dans tout le jeu, le fameux katana.
À mon sens ça fait un peu perdre de ce que je trouvais génial dans les précédents FromSoft', à savoir s'attacher à un équipement qu'on a trouvé et récupéré soi-même pour se faire chacun une image différente du jeu. Ici on n'a qu'une arme et pas d'armure. Mais au moins on est clairement à l'alerte que si on ne fait pas l'effort de maîtriser le katana, on est foutus.
Et surtout, pour le rendre plus puissant, il n'y a plus le même système d'amélioration. Ce n'est plus récupérer des âmes ou échos du sang sur chaque petit ennemi tué, se rendre à un point de sauvegarde et blinder une statistique en dépensant nos âmes ou échos du sang.
Pour augmenter sa vie, sa posture et sa force, il faut battre des boss.
J'avoue qu'au début ça m'a un peu déçu de savoir qu'on ne peut pas souvent s'améliorer dans le jeu. Mais plus j'avançais, plus je trouvais que c'était juste une idée de génie.
Le deal, c'est que dans Sekiro il existe les boss importants et les boss secondaires.
Ça ne veut pas dire que tous les boss importants sont obligatoires et tous les boss secondaires sont optionnels, mais il y a une différence nette entre ces deux catégories.
Tuer un boss important revient à débloquer le souvenir de notre combat avec lui, ce qui nous permet d'améliorer considérablement notre puissance d'attaque. Donc pour faciliter nos prochaines rencontres il faut chasser du boss important, peu nombreux mais très difficiles à battre, mais la récompense vaut le coup.
Pour les boss secondaires, en tuer un revient à obtenir une perle de chapelet, et lorsqu'on en possède quatre on peut fabriquer un collier de perles qui augmente notre vitalité et notre posture. Et comme au début notre barre de vie est ridiculement petite, il faut se mettre à chasser. Et pour chasser il faut trouver. Et pour trouver il faut explorer.
Ainsi Sekiro venait de me pousser, sans me guider, à retourner sa carte et ses lieux. Il m'a poussé à affronter tout un tas de boss parfois très difficiles pour faire évoluer les statistiques de mon personnage, alors que la plupart de ses boss sont optionnels ! Parfois même de sacrément durs hein ! Je me souviens très bien avoir affronté le Démon de la haine, boss incroyablement dur mais totalement optionnel, en sachant que je pouvais juste faire demi-tour, mais juste pour pouvoir augmenter mon attaque !
Et parfois il faut vraiment chercher la petite bête ! Un boss secondaire peut se planquer n'importe où donc il faut explorer.
Et comme se déplacer est très plaisant, combattre est jouissif et que la direction artistique est SU-BLIME, je ne me suis jamais vraiment lassé de cette chasse aux boss.
Si on galère trop à un endroit obligatoire, il y a toujours au moins 4 boss secondaires qui traînent quelque part, donc ça vaut le coup de s'y coller pour augmenter sa posture et sa vie.
Au final j'ai beaucoup tourné en rond dans ma partie, mais j'ai adoré ça.
Déjà car les environnements se renouvellent à mesure qu'on avance dans l'intrigue, ce qui ne les rendent jamais lassants, mais aussi car les petits chemins qu'on n'a jamais vu avant alors que ça fait 30 fois qu'on passe devant sont légions, et qu'en découvrir un fait toujours ce petit effet "wow".
Moi en tout cas c'est ce souffle et cet appel à l'exploration que je retiens le plus dans ce jeu. C'est subtil, jamais mis sous notre nez et pourtant indispensable que j'ai été grisé pendant toute ma partie.
C'est là la véritable rupture avec l'esprit des précédents FromSoftware, car là où j'avais pris l'habitude de retourner en boucle la même zone pour augmenter mes statistiques, là je n'avais pas d'autre choix que de tout explorer.
Finalement, même si l'intrigue est plutôt linéaire - très sympa ! Mais linéaire - l'expérience de jeu offre tout de même une grande liberté au joueur.
En cela, oui je considère Sekiro comme un incroyable tour de force de la part de FromSoftware, tellement le jeu a su implanter la philosophie si chère au studio dans un contexte totalement différent pour au final proposer tout autre chose.
L'espace d'une partie, j'ai eu la sensation de revivre un émerveillement que je n'avais senti alors que dans Dark Souls. Un nouveau bizutage. Et un nouveau plaisir masochiste à cela. ;)
De toute manière c'était ça ou juste de rehausser encore de quelques crans la difficulté déjà assez absurde des Soulsborne, ce à quoi Sekiro aura quand même cédé sur certains combats vraiment très fastidieux (le boss final en 4 phases, une véritable plaie... Mais aussi un des plus beaux combats que je n'ai jamais mené manette en main).
Mais au final le plus important est que j'en tire une expérience extrêmement riche et pertinente, et par dessus tout audacieuse même pour un jeu FromSoftware. Et ça, c'est la marque des chefs-d'œuvre, des titres majeurs dans l'histoire de leur média, et pour moi avec Sekiro, on est en plein dedans.
Donc oui au final on a là un très grand jeu, riche, original, pertinent, incroyablement bien pensé et par dessus tout dense et consistant.
Ainsi je m'incline, une fois encore.
Bravo monsieur Hidetaka Miyazaki pour m'avoir donné tort sur mes appréhensions. Nulle sensation n'est plus salvatrice.
Et hâte d'en découdre avec vos prochaines folies.