Lectures ´21
58 livres
créée il y a presque 4 ans · modifiée il y a plus d’un anDona Flor et ses deux maris (1966)
Dona Flor e seus dois maridos
Sortie : 1972 (France). Roman
livre de Jorge Amado
bilouaustria a mis 5/10.
Annotation :
Amado s'étale sur près de 800 pages pour une opposition simpliste entre un mari joueur, gouailleur, beau comme un diable, menteur, irrésistible (et bien sûr sympathique au lecteur) et un pharmacien propre sur lui, économe, fidèle, catholique, un peu ennuyeux, et possiblement pas très bon au lit. Ce sont les deux maris de Dona Flor. La Dona en question n'étant que la faire-valoir des personnages masculins puisqu'elle se résume à son corps désirable et sa cuisine. Pire, elle a toujours un coup de retard sur ce vaurien de Vadinho et ne comprend pas ce qui lui arrive (Amado ne la fait pas penser mais uniquement réagir, les hommes mènent le bal). Elle ne sait même pas ce qu'elle désire. Roman exotique, avec des personnages hauts-en-couleur comme on en fait dans les mauvais livres de Garcia Marquez, long au possible, et vaguement misogyne, "Dona Flor et ses deux maris" nous fait patienter près de 600 pages avant qu'une histoire de fantôme ne resserre l'intrigue sur ce qui intéresse Amado, les coucheries, les tromperies. Mauvaise littérature ou bon roman de gare, comme vous voudrez.
Mémoires secrètes d'une poupée (1987)
Y así sucesivamente
Sortie : février 1993 (France). Recueil de nouvelles
livre de Silvina Ocampo
bilouaustria a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Silvina Ocampo convoque dans ses petites nouvelles parfaites le rêve, une angoisse sourde, des scènes violentes et sèches, les objets bougent et parlent, l'étrange est partout et le réel est comme possédé. Une femme disparaît, on suppose qu'elle s'est transformée en voiture ; une statue se venge en tombant et tuant un passant ; un couple construit une maison de glace aux murs transparents avec reflets et déformations de la lumière: Ocampo écrit plus souvent la peur de la douleur que la douleur elle-même, il y a beaucoup d'introspection, de conjonctures, de regards dans le miroir (la première longue nouvelle en est l'exemple). Son atmosphère fait penser à Poe passé à la moulinette argentine. Ocampo est l'épouse d'Adolfo Bioy Casares, elle est une proche de Borges, elle baigne dans une certaine littérature mais contrairement aux autres elle ne cherche pas une idée brillante mais s'accomplit pleinement dans l'écriture poétique qui transforme les histoires les plus simples en cauchemar. Certains textes sont tellement radicaux qu'ils sont presque trop fragiles, incompréhensibles, enveloppés de mystère. Quand l'équilibre tient, c'est grandiose.
Le Musée des Rêves (2014)
El museo de los sueños
Sortie : 2017 (France). Roman
livre de Miguel A. Semán
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Il y a plusieurs matières qui viennent se mélanger les unes aux autres dans ce premier roman. Le réel puisque la dictature militaire (et ses disparus), la répression violente d'une manifestation CGT le 30 mars 1982 à Buenos Aires, et bien d'autres épisodes du livres sont avérés. Le polar ensuite puisque le livre est plus ou moins construit comme une enquête, il y a un mystère et des cadavres sur la route vers une révélation. Le rêve enfin qui agit comme agent révélateur, les rêves qu'on se permet, les rêves qu'on ne peut avoir, les rêves que l'on vend puisque c'est le coeur du roman ici. L'ambition de Semán serait donc de combiner en quelques sortes ces différents aspects pour créer un magma complexe et bouillonnant de politique, de sang et d'inconscient. Il brouille tôt les pistes, les scènes du quotidien paraissent trop folles pour ne pas être rêvées. La menace est partout mais le héros plein d'insouciance. L'écriture est tenue et joue habilement entre ces frontières : quand sommes-nous dans une fiction ? et quand sommes-nous dans l'Argentine de 1981 ? Et puis le grand soir arrive, les Malouines éclatent et tous les enjeux paraissent absurdes et n'avoir de valeur que comme une gigantesque métaphore (la dictature nous prive de nos rêves, nos rêves sont des armes qui valent celles de la dictature). J'ai senti une vraie attente monter et je me sens un peu comme floué à l'heure de la résolution. Un peu opaque et vain, le Musées des rêves dégage néanmoins une force qui vient de son atmosphère et de son amour des livres.
Déraison (2004)
Insensatez
Sortie : mai 2006 (France). Roman
livre de Horacio Castellanos Moya
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
On sait que Castellanos Moya est un admirateur de Thomas Bernhard, il ne s'en cache pas, il lui a même consacré un livre. Mais en ouvrant ce court roman, on ressent cette influence stylistique immédiatement. Déjà on commence par la voir puisque le roman se compose d'immenses blocs de texte, sans paragraphes, avec rarement plus de trois phrases par page. Donc on se retrouve par la force des choses dans le rythme, la musique de Bernhard. En revanche, Castellanos Moya crée ici des personnages bien à lui, des environnements bien différent des romans de l'autrichien. Dans "Déraison" on suit un journaliste hautement paranoïaque qui doit relire un rapport épouvantable traitant du génocide d'indiens au Guatemala. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre, le livre est hilarant, plein de détails grotesques, le personnage principale est une catastrophe ambulante, et Castellanos Moya parvient à nous faire rire, en relatant pourtant en toile de fond les massacres des indigènes (et par quelques phrases il nous fait sentir l'insoutenable, il marque le lecteur au fer rouge très brièvement, sans insister), et en gardant cette musicalité Bernhardienne d'une phrase qui semble rebondir sur elle-même. Ce mélange est très dynamique et "Déraison" particulièrement vivant, grave à ce savant dosage littéraire. Petit coup de coeur pour cet auteur.
La Vitesse des choses (1998)
La velocidad de las cosas
Sortie : septembre 2008 (France). Roman
livre de Rodrigo Fresán
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Il y ces auteurs qui peinent à créer, tirent au maximum sur une pauvre histoire pour en faire un roman, attendent cinq ans pour trouver la prochaine inspiration. Et puis il y a Rodrigo Fresán qui rassemble dans un livre l'équivalent de huit romans. Il y a tellement de créativité, de mondes parallèles, de petites digressions qui deviennent de fascinantes histoires, que "La vitesse des choses" écoeure la concurrence et paraît trop riche, trop généreux pour être réel. Le plus fort, c'est que Fresán dans son élan emporte tout mais garde l'intime, il part même de là, l'intime et la littérature sont toujours ses boussoles. Une règle primordiale : ne jamais emprunter de voies traditionnelles pour raconter mais travailler, réinventer, trouver des chemins de traverses pour ne pas ronronner. Si toutes les histoires ont déjà été racontées, c'est bien que la forme est plus essentielle que jamais. Alors Fresán écrit une gigantesque autobiographie littéraire qui ressemble à des nouvelles emboitées les unes dans les autres comme des poupées russes, l'universel emboîte le personnel, l'art le trivial, tout est un, comme dans Mantra, un magma de mots. D'une partie du "roman" à l'autre, on assiste à des jeux de ricochets, des rappels, des contrepoints. On mentirait en disant que tout ça est extrêmement complexe parce que Fresán n'est jamais excluant, on dirait que le livre s'écrit devant nous, le plus simplement du monde. On réalise à peine le travail derrière l'évidence de son écriture. C'est très fort et on prend un grand plaisir parfois à se perdre dans son labyrinthe ludique. Grâce à lui, l'Argentine sort enfin de l'ombre de Borges après lequel semble-t-il on ne pouvait plus écrire "librement".
La Preuve (1992)
La prueba
Sortie : 2008 (France). Roman
livre de César Aira
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Un roman très court qui se lit en une journée (ou peut-être en une fois avec un peu de bonne volonté), très directe, engageant, mais aussi radicale et quelque peu mystérieux. La jeune Marcia rencontre deux filles qui l'aborde - c'est la première phase du livre : "tu baises ?" - deux jeunes punk qui semblent à fois intelligentes et provocatrices. De quoi fasciner Marcia qui, passé le premier frisson, se laisse entraîner dans une longue conversation sur le désir, la société, les apparences, dans des jeux de pouvoir qui mèneront les trois filles à un final renversant... La preuve, mais la preuve de quoi, vraiment ? Le petit texte de César Aira est absolument captivant mais je ne sais pas tout à fait, deux semaines plus tard, ce que j'ai lu. Il ne semble pas que ce soit un roman à thèse mais il est si dérangeant et original qu'on ne peut qu'y revenir régulièrement. J'aurais vraiment aimé que le roman soit accompagné de documents, une préface de l'auteur, une post-face du traducteur éclairant les motifs d'Aira, que sais-je ? Quoi qu'il en soit, nous avons la preuve (mais elle n'était pas nécessaire) qu'Aira est un écrivain important.
L'Invention de Morel (1940)
La invención de Morel
Sortie : 1952 (France). Roman
livre de Adolfo Bioy Casares
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Relu.
Même en revisitant ce texte environ dix ans après, je ne comprends pas sa réputation de chef d'oeuvre adoubé et préfacé par Borges. Un homme sur une île observe des gens qui se révèleront n'être que des images, une illusion d'optique en forme d'hologrammes sophistiqués. Et alors ? Je crois que derrière cette nouvelle se cache une immense et compliquée métaphore qui me dépasse. Il paraît que tout ça est vertigineux. J'apprécie la construction méticuleuse, la relation amoureuse avec cette femme qui n'est jamais ce qu'elle semble. Mais je ne vois moi non plus, comme le personnage, pas au-delà. Est-ce la solitude au milieu des autres qui rend fou ? Est-on finalement toujours isolé, même quand on est entouré ? Merci de m'éclairer...
Les Impatientes (2020)
Sortie : 4 septembre 2020. Roman
livre de Djaili Amadou Amal
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Le Goncourt des lycéens a le mérite de montrer ce qui se passe dans l'intimité de familles camerounaises, musulmanes et où la polygamie est ordinaire et même un signe de pouvoir. Donc on imagine vite que les femmes, à qui l'on répète constamment d'être patientes (comme si cela règlerait quoi que ce soit) sont maltraitées, périssables, interchangeables. Il suffit d'en prendre une plus jeune quand bon semble et sans lui demander son avis, d'en renier une autre en quelques mots, de taper sur celle qui ne se pliera pas aux moindres exigences de son mari tout puissant. C'est terrible et accablant mais littérairement il ne se dégage pas grand chose de ce texte un peu poussif, cataloguant sans grande imagination les injustices dont sont victimes ces "impatientes". Je suis de tout coeur avec ces femmes mais qu'on me permette de trouver ce roman un peu insuffisant. Quelques détails vécus de première main sauvent toutefois le livre de l'anecdotique.
Le Grand Cercle (1933)
Great circle
Sortie : 2017 (France). Roman
livre de Conrad Aiken
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Je ne crois pas que c'est exagérer de faire d'Aiken le Joyce américain. Son livre explose les catégories littéraires, il creuse avec la langue dans l'inconscient, et, après avoir parfois malmené son lecteur le plus patient, laisse un souvenir durable. Il y a du stream of consciousness dans les premières pages, éblouissant flot de mots dans un train en mouvement, des impressions, pensée, vue, tout dialogue, sans rien "raconter" mais en imprimant des images fortes. C'est un paradoxe qui ne s'explique pas mais se ressent : ceux qui racontent une histoire sans que les images ne restent ; Aiken qui ne raconte rien mais imprime tout au fer rouge (ce n'est pas par hasard si Malcolm Lowry ne jurait que par Conrad Aiken, il y a une comme une filiation littéraire). Le livre se découpe en quatre épisodes de la vie d'un anti-héros que l'on imagine volontiers ressemblant à l'auteur. La seconde partie est un retour en enfance, un souvenir sur 60 pages de quelques jours en été - on dirait le Nabokov d'Ada - c'est merveilleux. Il y a aussi une longue et confuse conversation avec un psy qui part dans toutes les directions, Aiken est toujours au bord de la sortie de route, on ne comprend pas tous les apartés, les sauts de l'esprit, on continue à lire, perdus, parce qu'on sent qu'autre chose est entrain de se jouer. On y parle latin, de Moby Dick, des cercles de l'enfer... Aiken est de ces très rares écrivains qui produisent de la matière littéraire, qui ont une forme inimitable, qui peuvent se lancer des pages et des pages sans sujet, dans un délire irrésistible, proche de la folie, drôle, pathétique. Un grand bravo à Joëlle Naïm pour sa traduction et sa postface. Quel travail !
Ce que je ne veux pas savoir (2014)
Une réponse au "Pourquoi j'écris" de George Orwell (1946)
Things I Don't Want to Know
Sortie : août 2020 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Deborah Levy
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Le problème qui se pose ici est davantage d'ordre éditorial. Pourquoi publier un aussi court épisode autobiographique ? Dans un autre livre (une autre vie), ce serait à peine un chapitre, ou peut-être la première partie de quelque chose mais comme un tout, c'est peu. Bien sûr les épisodes suivants de la vie de Deborah Levy sortent au compte-goutte. Il faudrait les rassembler à la fin et voir à quoi ressemble ce livre-là, cette somme autobiographique. Pour le moment, on a ce texte habilement structuré, plutôt bien écrit, qui revient sur sa jeunesse, ses années d'enfance en Afrique du Sud sous l'apartheid et quelques impressions de son adolescence en Angleterre. On commence à se sentir bien, à rentrer dans le livre que voilà, c'était tout. Levy combine des qualités d'écrivains : qualité d'observation associée au désir de faire passer beaucoup de choses en en écrivant peu. C'est peut-être son style après tout qui est la raison de ce petit livre : écrit-elle doucement et précieusement ? Si elle a mis 2 ans à écrire ces quelques 150 pages, ceci expliquerait cela. Son premier volume est réussi mais une fois encore trop court pour qu'on puisse juger de ce qu'elle veut et peut faire.
Je suis un monstre qui vous parle
Rapport pour une académie de psychanalystes
Sortie : 2020 (France). Essai
livre de Paul B. Preciado
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Paul B. Preciado fait réfléchir. Son parcours, sa parole. Je ne connaissais pas ses chroniques mais je l'ai entendu à la radio, je l'ai découvert par sa voix. Il y a quelque chose qui se passe en l'entendant, entre la fragilité de son timbre, son accent, et en même temps sa pensée bien campée, toujours très structurée. Ce petit livre "scandaleux" concentre cette pensée qui veut opposer une résistance au patriarcat et au capitalisme. La psychanalyse en prend pour son grade... Oui, il existe de nouveaux corps et il ne faut plus penser selon les anciens modèles de référence qui sont aujourd'hui obsolètes. Preciado est depuis toujours son propre sujet d'étude et un expert sur son cas (la transition, les hormones etc). Il connait ses arguments et ceux qu'on risque de lui opposer, la machine est parfaitement huilée. Mais on sent derrière ses dehors policés une grande colère. Un discours important. Peut-être le début de quelque chose.
Sortie parc, gare d'Ueno
Sortie : 4 novembre 2015 (France). Roman
livre de Yu Miri
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Yu Miri porte son regard sur les clochards qui vivent dans le parc d'Ueno (un quartier de Tokyo et un parc immense qui comprend notamment le zoo) et introduit par des flash-backs un certain nombre de souvenirs émouvants qui vont venir progressivement colorer le roman. Dit comme ça ce n'est pas révolutionnaire mais c'est parfait, on apprend à connaître le personnage principal qui est un sexagénaire à la rue, tout en observant les aléas dans le parc et en revenant sur l'histoire du Japon dans l'après-guerre et certaines difficultés économiques. Pour traiter tous ces thèmes en peu de pages avec autant de précision, il faut trouver un équilibre subtil, passer d'une phrase d'un lieu à un autre, sauter dans le temps, et Yu Miri est très habile : les transitions sont délicates, la crise personnelle de notre héros particulièrement touchante. Sans tomber dans les clichés, il y a une belle économie de moyen aussi dans cette écriture un peu flottante, qui englobe beaucoup d'émotions et de récits en parallèle. Et il y a une pudeur remarquable qui élève le texte vers quelque chose de pur.
L'Opoponax (1964)
Sortie : 1964 (France). Roman
livre de Monique Wittig
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Duras en parle comme d'une oeuvre majeure dans sa post-face, et on comprend pourquoi elle en particulier peut-être sensible à l'écriture de Monique Wittig. Ici, jamais de psychologie, on est dans le présent, les personnages se définissent uniquement par leurs actions. C'est l'immédiateté de l'enfance, celle de Bresson dans "Au hasard Balthazar" ou "Mouchette", très sèche, sans afféterie. Le style est à l'avenant, austère, purement descriptif. On frôle le génie et l'ennui, selon les passages, mais il y a indiscutablement une force radicale dans cette écriture. On sent bien entre les phrases, la violence que charrie l'enfance, sa soif de désobéissance, de rébellion, d'aventure, et on imagine que certains épisodes très précis sont directement tirés d'épisodes autobiographiques. Ça reste quand même un roman pour lequel j'ai de l'admiration et du respect mais que je me suis plutôt ennuyé à lire... Pourquoi des phrases aussi courtes et simples demandent une telle concentration ? C'est le paradoxe de l'Opoponax.
Éloge de la politique (2017)
Sortie : 18 octobre 2017. Essai, Philosophie
livre de Alain Badiou et Aude Lancelin
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Grande sympathie pour Alain Badiou, on a immédiatement envie de le suivre, ses idées sont belles et généreuses. Aude Lancelin lui relance parfaitement la balle et c'est aussi le point fort de ce type de livres, quand l'interlocuteur fait bien son travail, quand elle n'hésite pas à gentiment mettre en difficulté l'intellectuel. Mais, il y a un mais, malgré toute ma bonne volonté et mon attirance pour ce projet alternatif au capitalisme, je peine à adhérer à ce communisme 2.0 qui parait encore et toujours un peu flou et idéaliste (et très théorique). Badiou semble balayer les millions de morts chinois du revers de la main : il y a eu de belles idées en Chine, et puis les statistiques de la débâcle maoïste sont de la propagande capitaliste etc. Oui bon... J'aime le lire mais il y a un côté toujours "le verre à moitié plein" qui me laisse un peu sceptique. Ce qu'il dénonce en revanche est bien sûr très pertinent. Et puis sa pensée est très claire et exprimée toujours de manière simple et lisible, ce qui est capitale quand on veut transmettre ce type d'idées. Le problème est peut-être effectivement le manque de "vrais" intellectuels aujourd'hui en France (pas les BHL, Finkelkraut et compagnie).
Yoga (2020)
Sortie : 10 septembre 2020 (France). Roman
livre de Emmanuel Carrère
bilouaustria a mis 5/10.
Annotation :
Petite catastrophe. Carrère revient dans la dernière partie du livre sur la mort de son éditeur de toujours Paul Otchakovsky-Laurens et "Yoga" semble souffrir de l'absence d'un regard bienveillant et d'un regard critique. On sait que Carrère est un écrivain déséquilibré qui tient sur ses pieds parce que ses livres font contre-poids avec sa personnalité égocentrique et sa fierté mal placée, il sait en jouer, il est son personnage préféré mais il se met en scène pour parler d'autre chose... Cette fois malheureusement ses défauts dévorent tout. Et je dis ça en ayant lu et aimé la plupart de ses romans. Yoga manque totalement de structure, c'est bâclé, ses petits chapitres ressemblent à autant de béquilles. Son ego devient embarrassant. Il frime au moment des électrochocs à Saint-Anne. Il écrit sur sa "souffrance au-dessus de la moyenne" avant de passer le reste du livre sur une île grecque à draguer. Plus dérangeant encore pour un auteur qui revendique haut et fort son ambition de toujours s'approcher de la vérité dans ses livres, même quand celle-ci ne le met pas en valeur (quelque chose comme : mes livres sont au-dessus de tout, je dois la vérité à mes lecteurs), il se permet ici et là quelques ellipses bienvenues (notamment au moment de sa rupture). Il chercherait maintenant à protéger certaines personnes - on retient son rire. "Yoga" est souvent anecdotique, sans imagination, on sent le petit écrivaillon se débattre de toutes ses forces pour produire un texte poussif qui parfois consterne. C'est le livre de trop. Le livre où son côté antipathique saute vraiment aux yeux. On dirait un roman rendu pour payer des dettes ou remplir un contrat. Triste.
Lumière d'août (1932)
Light in August
Sortie : 1935 (France). Roman
livre de William Faulkner
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
(anglais)
On lit, on lit, et on a souvent l'impression qu'il n'y a qu'une manière de raconter une histoire et puis on lit Faulkner et on tombe de haut ! Pas de linéarité paresseuse chez lui, on expérimente, on s'offre un flash-back qui fait la moitié du roman, un personnage clé qui apparait à deux chapitres de la fin, des sauts dans le temps, des digressions, trois intrigues parallèles, ahhh William ! Ta linéarité tu la gardais pour Hollywood, pour les choses pas très sérieuses... Dans "Lumière d'août" comme dans "L'intrus" ou "Sanctuaire", Faulkner suggère davantage qu'il n'écrit les scènes clés, celles de bascule qui sont synonyme de violence. Comme s'il laissait un trou béant dans le texte, faisait sentir quelque chose sans tout à fait le montrer. Parfois se laissant le soin de revenir sur des détails cent pages plus tard. Je trouve qu'il y a un art du "hors-champ" si l'on peut imaginer ce qu'un hors-champ littéraire serait. Et puis il y a ce sud, poussiéreux, brutal, plein d'églises et de racisme, toujours entre hauteur et bassesse. Il y a une grandeur biblique dans le style même, les personnages tous autant qu'ils sont traversent des épreuves terribles qui leur révéleront leur nature profonde. C'est d'une noirceur éprouvante et pourtant il y a une lumière d'août, oui, quelque lueur d'espoir dans ce marasme, si on veut bien la discerner au milieu des horreurs humaines.
The Silence (2020)
Sortie : 17 octobre 2020 (États-Unis). Roman, Version originale
livre de Don DeLillo
bilouaustria a mis 5/10.
Annotation :
(anglais)
Bien sûr Don DeLillo est un très grand écrivain, un visionnaire qui souvent a senti les choses avant qu'elles n'arrivent un peu comme Ballard. Mais je dois aussi reconnaître que depuis "Body Art" (2001) c'est-à-dire déjà vingt ans, il m'indiffère gentiment et j'ai le sentiment, peut-être à tort, que ses grands livres sont derrière lui (Libra, Underworld etc). "The Silence" est un texte très très court qui se lit en une fois et annonce une forme d'apocalypse qui n'a rien à voir avec le virus mais une extinction de toutes les technologies modernes, ordinateurs, téléviseurs, écrans de contrôle, un soir, au moment où le Superbowl s'apprête à débuter, tout s'éteint brutalement. La suite c'est le silence, la peur, le grand vide (la vie sans smart phone !), et un rapport changé aux autres, un retour à une forme de communication plus traditionnelle. En réalité j'extrapole un peu, je suis plutôt généreux : le roman se contente d'un écran noir, le match de football américain interrompu, et de quelques personnes dans un salon comme figés devant l'écran noir, de dialogues vides et absurdes qui tournent en boucle. Davantage une grosse métaphore qu'un roman de chair. Comme on pouvait s'y attendre avec l'ami DeLillo, une certaine idée de la fin du monde, mais pas de personnages, pas de compassion, pas vraiment d'émotion ou la naissance d'une émotion en sourdine. Un peu court et froid pour vraiment frapper fort.
La Filière
The Ratline - Love, Lies and Justice on the Trail of a Nazi Fugitive
Sortie : 30 septembre 2020 (France). Histoire, Récit
livre de Philippe Sands
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
(anglais)
Un livre extraordinaire qui est un livre d'histoire, un livre d'archives mais qui se lit comme un roman d'espionnage. Philippe Sands, historien britannique et juif cherche à retrouver la trace de celui qui a envoyé son grand-père à Auschwitz. Il connait son nom depuis un moment mais au début de ce livre il entreprend de rencontrer son fils et de reconstituer à l'aide de documents (photos, journal intime, lettres...) le parcours de ce dignitaire nazi, disparu à la fin de la guerre malgré son rôle majeur (gouverneur de la région de Cracovie, de la ville et de son ghetto). Cet homme c'est Otto von Wächter, un nom moins connu que les Himmler ou Ribbentrop mais un homme qui est responsable de la mort de près de 400 000 personnes dans la région et qui a échappé aux procès de Nuremberg. Le suivre, c'est comprendre sa trajectoire, en fuite, son passage à Rome, l'aide que lui apporte secrètement le Vatican vers une éventuelle exfiltration (elle n'aura pas lieu, il meurt brutalement en 1949). L'enquête se porte ensuite sur un éventuel assassinat et les enjeux derrière le rôle d'agents russes et américains à la veille de la guerre froide. C'est un livre passionnant, qui nous apprend beaucoup de choses avec une grande clarté. Philippe Sands écrit aussi le work in progress de son livre. Un documentaire est présenté dans un festival, un article apparait dans la presse, on passe du passé au présent sans perdre le fil et l'intérêt de cette investigation particulière. C'est un grand livre qui rend l'histoire directement accessible en étant très précis et documenté sans être exhaustif ou faire des kilomètres de notes de bas de pages. On apprend enfin comment Barbie a pu filer en Argentine ou Mengele passer en Syrie...
La vengeance m'appartient (2021)
Sortie : 7 janvier 2021. Roman
livre de Marie Ndiaye
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
On pénètre dès la première page dans l'univers immédiatement identifiable de Marie Ndiaye. Le malaise est poussé ici si loin, le mystère est si prégnant, à la frontière entre le fantastique et le cauchemar, qu'on parlerait de film de genre si elle faisait du cinéma. Sa littérature n'a jamais été aussi proche de l'horreur. Mais on ne sait pas si le danger est réel ou si notre étrange héroïne le crée de toute pièce, enfermée dans ses propres délires (ou plus simplement dans sa perception des choses). Rien n'est évident, chaque phrase contribue à la grande ambiguïté qu'Ndiaye tisse patiemment et sans apporter jamais de réponse claire. Et si elle était, sans le vouloir, pleine de bonnes intentions, une certaine incarnation du mal, après tout ? Il y a beaucoup à picorer ici ou là, le texte dégage une certaine force, mais je pense que "La vengeance m'appartient" reste un roman moins abouti que "Rosa Carpe", "Trois femmes puissantes" ou "Ladivine" qui trouve presque un équilibre idéal.
Warlock
Sortie : 1958 (France). Roman
livre de Oakley Hall
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Warlock, le western ultime et un grand roman. Si le genre se prête bien au cinéma (et "Warlock" connaîtra immédiatement après sa sortie une adaptation pour le grand écran avec casting de choix etc.), on ne connaît pas ou peu le western littéraire. Or pourquoi le roman serait-il désavantagé ou inférieur ? Cet univers très codé de lois à faire respecter, de violence, d'alcool, de prostituées au grand coeur, de coups de feu dans le dos, et de shérifs seuls face à eux-mêmes, le roman peut les traiter aussi bien sinon mieux, surtout quand il prend 700 pages et développe une toile complexe et travaille ses personnages jusque dans leurs plus profonds cas de conscience. C'est Pynchon qui a permis de dépoussiérer ce roman un peu oublié : dans sa préface il en fait un "grand roman américain". Qui est Oakley Hall ? Un auteur plutôt secondaire de polar (sous pseudo) qui mérite pourtant toute notre attention. "Warlock" est haletant, riche en personnages secondaires, avec sous les règlements de compte et les cadavres qui s'empilent, un fil rouge politique passionnant. Ici les cowboys ont de vraies émotions, des états d'âme (qu'ils cachent la plupart du temps), et derrière les clichés de celluloïd nous découvrons des hommes qui ont leurs raisons. Oakley Hall donne une chance à tous ses personnages, même les plus crapuleux : voilà un signe de grande intelligence.
L'Inconnu de la poste (2021)
Sortie : 11 février 2021 (France). Récit, Policier
livre de Florence Aubenas
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Florence Aubenas est avec "L'inconnu de la poste" à la frontière entre plusieurs genres, dans un exercice qui me plaît. Journalisme d'investigation, roman policier, psychologie, peu importe, c'est très bien écrit. Pendant plus de huit ans, elle suit donc de près ce fait divers morbide et essaye de le "déplier", étudiant tous les angles, rencontrant tous les témoins, observant les méthodes de la police, mais le but est de transformer ce récit en quelque chose de plus, comme ont pu le faire Capote avec "De sang-froid", Cercas, ou plus récemment Jablonka avec "Laëtitia" qui était un peu un portrait de la France sous Sarkozy. Je ne sais si elle parvient tout à fait là où elle veut sur cette grande échelle mais ses portraits d'une jeunesse désoeuvrée entre drogue et vie à la marge sont assez frappants. Et puis l'intrigue est très haletante, avec un rebondissement incroyable. Aubenas a le bon goût de ne jamais rien simplifier, de ne pas prendre position, elle donne une chance à chacun. Son travail est un peu unique dans notre paysage littéraire actuel.
Ma vie de cafard (2019)
My Life as a Rat
Sortie : 17 septembre 2020 (France). Roman
livre de Joyce Carol Oates
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
(anglais)
C'est probablement parce que j'étais convaincu d'avance que le livre me plairait que j'ai été si déçu... Pas de doute, c'est bien un roman de JCO, avec sa violence masculine, son patriarcat, son héroïne isolée, mais on frôle la caricature - ce qui est parfois bon signe, aller au bout de ses idées, oui, parfois on tombe de l'autre côté, les équilibres sont fragiles. Le pitch est excellent et m'a attiré vers "My Life as a Rat", prêt à me passionner pour des questions d'honneur, de moral, mais vraiment on passe là-dessus plutôt rapidement. Ce qui intéresse JCO c'est la trajectoire "envers et contre tous" d'une jeune femme qui subira tout et plus encore, de la part des hommes, tous les hommes sans exception. Donc c'est un parcours du combattant, dès la cellule familiale, le père alcoolique, les frères viriles un peu arriérés, le prof psychopathe, le beau-père pervers, l'employeur dangereux, la petite est violentée, violée, systématiquement (c'est la force et la limite du livre, clairement, tout y est systématique, pas d'éclairci, pas de chance pour les personnages). Un nouvel homme apparait. Il s'apprête à lui faire du mal, reste à savoir comment. Le jusqu'au-boutisme m'a usé. J'ai trouvé un temps que JCO dégageait une certaine force, dans son propos et sa manière, puis, lassé, j'ai eu l'impression que l'auteure (plus de 80 ans...) réglait des comptes à n'en plus finir. J'ai beaucoup aimé ses romans jusque là. Je me demande si ce n'est pas un peu le texte de trop.
Un voleur de Bagdad (2011)
Ein weisses Land
Sortie : 18 septembre 2014 (France). Roman
livre de Sherko Fatah
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Sherko Fatah est un auteur irakien qui écrit en allemand. Ici il revient sur un contexte historique vraiment intrigant. Au début de la deuxième guerre mondiale, une poussée antisémite en Irak combinée à une antipathie forte contre les britanniques présents militairement dans la région provoquent la montée logique d'un mouvement dit des "chemises noires" à Bagdad. Et de là : comment un irakien se retrouve à se battre en ukraine dans une sorte de légion étrangère de l'armée nazie ? Voilà pour le pitch qui sort de l'ordinaire. J'ai toutefois peiné à m'intéresser et encore moins à m'identifier au parcours du personnage principal. Fatah y greffe une pseudo intrigue amoureuse qui tombe un peu à plat. Les scènes de guerre sont les plus réussies, brutales, terriblement réalistes et détaillées.
No home (2016)
Homegoing
Sortie : 4 janvier 2017 (France). Roman
livre de Yaa Gyasi
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
C'est un peu un livre-dispositif mais Yaa Gyasi parvient à dépasser le simple concept par son écriture et en donnant de la vie et de l'épaisseur à ses personnages. Le principe de "Homegoing" c'est donc deux filles africaines au 17ème siècle sur lesquelles le roman s'ouvre et leur destins : une devient esclave, l'autre épouse un marchand d'esclave. Ensuite, on suit les trajectoires de ces familles et à chaque chapitre, on saute une génération. Les enfants de cette esclave se retrouvent aux États-Unis, puis gagnent leur indépendance avant de s'installer à Harlem. De l'autre côté on a une famille bien plus prospère mais qui reste en Afrique et va devoir payer le prix de son "business". Une fois encore, je défends volontiers ce très bon premier roman qui ne se limite pas à son idée de départ, aussi séduisante soit-elle. Chapeau donc à Yaa Gyasi pour avoir écrit, à 25 ans, un livre personnel, universel et aussi ambitieux !
La Bouche pleine de terre (1972)
Usta puna zemlje
Sortie : janvier 2008 (France). Roman
livre de Branimir Šćepanović
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
"La bouche pleine de terre" et "La mort de M. Golouja" sont deux longues nouvelles similaires, toutes deux très réussies, et cousines autour de suicides plus ou moins ratés, de malentendus plus ou moins hilarants, jumelles dans leur humour noir et une sorte d'escalade dans l'absurdité. Il y a un brin de folie qui n'est pas tout à fait Ionesco ou Beckett mais qui reste dans cette famille où le langage et un rythme étrange semblent prendre le contrôle du texte et le mener par le bout du nez, un coup ici un coup là. Sur cette folie, Šćepanović colle une logique implacable qui donne tout le sel à ces textes. Et derrière la bizarrerie des situations, il examine la nature humaine avec une grande intelligence. Les éditions Tusitala, avec leur nouvelle trad et les illustrations + postface ont fait du beau travail.
Une histoire populaire des États-Unis (1980)
A People's History of the United States
Sortie : 10 avril 2003 (France). Essai, Histoire
livre de Howard Zinn
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Une histoire populaire, une grande histoire de gauche des délaissés par l'Amérique cynique et capitaliste. Les indiens, les esclaves, les noirs, les femmes, les pauvres, tout le monde finalement à part l'homme blanc. Une histoire américaine devient vite une histoire synonyme d'appât du gain, de mensonges, de magouilles. Howard Zinn qui est historien et a enseigné à la Boston University revient méthodiquement sur les épisodes importants de cette histoire qu'on a souvent embellie ou raconté comme un récit sans accroc ou presque. Or elle est le contraire d'une success story. Je trouve rafraîchissant qu'un historien et intellectuel américain se lance dans une grande histoire subjective sans complexe. Oui il est parti pris mais sa lecture "marxiste" des événements rend oh combien justice à des millions et des millions d'hommes et de femmes maltraités mais cette course au dollar, depuis Colomb, Lincoln et Kennedy jusqu'à nos jours, pas de héros mais des personnalités complexes qui savent simplement jongler habilement et défendre leurs intérêts avant tout - jamais d'altruisme ou de bienveillance en politique. On apprend beaucoup de choses dans ce livre, sur les arrangements qui sont conclus derrière les discours officiels. Les guerres et les violences qui disparaissent des médias. Les conflits d'intérêts ou les mensonges purs et simples des gouvernants. Il y a aussi des pages qui se lisent comme un roman - je ne connaissais pas vraiment les mouvements "communistes" aux États-Unis au début du siècle. Passionnant de bout en bout, aussi sur les chapitres les plus connus pour nous (Vietnam, Watergate, affaire Lewinsky etc).
Trois femmes (2019)
Three Women
Sortie : 2 septembre 2020 (France). Récit
livre de Lisa Taddeo
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
(anglais)
"Three Women" est un texte de non-fiction de la journaliste américaine d'origine italienne Lisa Taddeo qui a passé près de 8 ans auprès de trois jeunes femmes dont elle a écouté les confessions. Elle a suivi au jour le jour comment leurs vies ont été détruite par un homme, que ce soit un professeur de lycée dans un récit, un homme marié dans un autre, ou un viol. En parlant, vivant avec ces femmes, Taddeo accède aux secrets, aux détails, à une intimité assez incroyable mais elle tente de restituer les événements de façon neutre, sans toujours prendre systématiquement le parti de ses protégées. Elle réussit en fait à montrer les choses dans toute leur complexité, se permettant d'établir par moments un certain trouble sur la culpabilité de ses femmes loin d'être parfaites. Complexe et implacable à la fois, Taddeo écrit un livre étrange qu'elle "élève" dans un épilogue lucide. Si le livre peut se classer sous l'étiquette féministe, il le fait d'une manière atypique.
Madame Jenny Treibel (1893)
Sortie : 1943 (France). Roman
livre de Theodor Fontane
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Pas beaucoup d'atomes crochus avec Fontane, du moins sur ce texte. Le pitch pourtant me plaît : un projet de mariage contrarié ; les jeunes sont persuadés que l'amour emportera tout, leurs parents savent que les contraintes sociales sont plus fortes. Mais ce que certains auteurs du 19ème siècle plus piquants, mordants, auraient fait de cette idée, Fontane la traite tout en lenteur. Il pose ses pions, avance sans pitié sur ces jeunes gens et les écrase inéluctablement, comme la société de l'époque. J'aurais aimé des dialogues plus vivants, des personnages plus charismatiques... Il y a comme une modestie, jamais une pointe d'exaltation. Il parait que tout ça correspond tout à fait au caractère de Fontane, journaliste qui est venu très tard au roman et connu un succès populaire assez retentissant. Discrètement il place ici et là quelques attaques sur les nouveaux riches de l'époque mais Jenny Treibel n'a pas laissé de trace durable chez moi.
Ellis Island (1995)
Sortie : 1995 (France). Essai
livre de Georges Perec
bilouaustria a mis 6/10.
Annotation :
Texte minuscule destiné à un reportage télévisé. Peut-être réservé aux inconditionnels de Perec dont je suis bien sûr. Dans ces quelques pages, il semble qu'il se révèle plus que dans la plupart de ses autres livres, et parle pudiquement du fait d'être juif. Il reprend aussi bien entendu sa méthode exhaustive pour évoquer Ellis Island et ses migrants. Chiffres, anecdotes, listes. C'est du Perec en miniature. J'aime l'homme, j'aime le sujet, mais enfin ce texte est davantage une curiosité qu'un livre essentiel.
Le Docteur Jivago (1957)
Доктор Живаго
Sortie : 1958 (France). Roman
livre de Boris Pasternak
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Sans avoir vu le film de David Lean, j'avais pourtant en tête une immense fresque romantique dans des paysages enneigés avec des personnages bigger than life. "Le docteur Jivago" de Pasternak est presque le contraire, un texte long et plutôt âpre, une histoire réaliste et concrète, qui s'attache à des aspects moins reluisants de la grande histoire et a valu bien sûr à Pasternak quelques ennemis. Et moi qui pensais que ce serait le genre de texte qui se "lit tout seul", j'ai dû un peu m'accrocher pour garder l'envie de rester avec ses anti-héros qui tiennent bon malgré le froid et la faim. Dans la misère et la déception. Pas très sexy donc mais un roman fort sur une partie de l'histoire russe qu'on a volontiers romantisée à outrance. Ici on voit la triste réalité dans toute sa crudité. Il y a une grande force dans la confiance et la patience avec laquelle Pasternak progresse et je suis vraiment rentré dans le livre sur le tard. Un classique qui mérite sans doute sa réputation mais pas un livre que l'on revisite volontiers...