Oh D.H. !
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Joseph Conrad ...
22 livres
créée il y a plus de 6 ans · modifiée il y a environ 4 ansLady Chatterley et l'homme des bois (1927)
2e version de l'Amant de Lady Chatterley
John Thomas and Lady Jane
Sortie : 1977 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 10/10 et a écrit une critique.
Annotation :
CRITIQUE INSIDE ↓
Jack dans la brousse (1924)
The Boy in the Bush
Sortie : 1938 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 10/10.
Annotation :
Par un hasard objectif bienvenu, mon voyage à travers les romans de Lawrence se termine donc par où il avait commencé (avec Kangourou) : en Australie, après une longue boucle vagabonde qui aura serpenté aux quatre coins du monde. Ça me fait un peu bizarre de me dire que la coupe est vide. Le bilan est un peu identique au bout de 14 livres qu’après un seul : Lawrence fait partie des dix, des cinq plus grands écrivains de l’avant-guerre, au même titre que Joyce ou que Proust, et le fait qu’il soit tombé dans l’oubli le plus total prouve bien que tous ces classements et ces avis n’ont aucun intérêt. Tant qu’il reste des exemplaires, même pour cent ou mille lecteurs, la petite flamme continue. En aucun cas la chaleur ne saurait être qu'une question d'intensité.
Oublié parmi les oubliés est cet hallucinant « Boy in the bush », où le romancier – reprenant une ébauche de Mollie Skinner, son hotesse à Dalington – s’engage sur des routes qu’il n’avait jamais explorées jusque là (encore une fois !). En changeant d’hémisphère, il change aussi de style : sous la lumière australe, crue et transparente, sa voix se fait plus claire, sa touche plus directe, ses personnages plus extrêmes. Comme adieu, aux allures de feu d’artifice, on ne pouvait mieux rêver.
« Ce matin-là, avant le lever du soleil, sentant le cheval roux frémir d’enthousiasme entre ses genoux, son âme, dans un soudain éclair de lucidité, se détourna de ses semblables. Il n’avait pas besoin de ses semblables. Il ne voulait pas de ces relations aimables et superficielles, qui absorbaient une si grande partie de sa vie. C’était une habitude et une tromperie de sa part. Mais cela faisait également partie de sa nature. Une certaine amabilité, une bienveillance naturelle envers ses semblables luttaient en lui avec un rejet de toute la vie moderne, une tendance émotive, spirituelle, éthique et intellectuelle. Tout au fond de lui-même il combattait comme un chat sauvage contre cet ensemble de choses. Néanmoins parce qu’il avait une disposition naturellement aimable et une nature bienveillante, il accueillait chaleureusement tout être rencontré par hasard et le traitait en ami intime. Jusqu’au jour, inévitable, où la personne en question se révélait partie intégrante de la tendance humaine universelle et Jack de nouveau en proie à la colère et à la répulsion, battait en retraite. »
La Fille perdue (1920)
The lost girl
Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Reprenant un schéma plus classique que d'habitude - une jeune fille essayant de trouver sa voie dans une petite ville de province - Lawrence creuse comme toujours le même thème : l'être humain enfermé dans un carcan social étouffant qui l'empêche d'être en accord avec la nature de son moi profond. On gagne en romanesque, en humour, en pittoresque. Tissant les destins d'une dizaine de personnages merveilleusement croqués, autour de la fière Alvina qui refuse malgré ses atermoiements de s'avouer vaincue par la vie, D.H. avance patiemment vers un dénouement bouleversant, âpre et cosmique. Encore un grand livre oublié, y'a des destins comme ça.
"Alvina dut commencer la représentation en jouant une ouverture intitulée Bienvenue à tous !, un morceau ridicule. Elle était énervée et malheureuse. Le lundi matin, il y eut une répétition sous la houlette de Mr May. Elle joua Bienvenue à tous ! , puis prit la partition écornée que Miss Traherne transportait avec elle. Miss Poppy se montra assez exigeante. En faisant tourbillonner ses jupes, elle dit : "Un peu plus vite s'il vous plaît" - "Un peu plus lentement", d'une voix hautaine, cérémonieuse, un peu étouffée par le flot de ses jupons. "Pouvez-vous y mettre de l'expression ?" s'écria-t-elle d'un ton avoisinant l'extase lorsque l'arum se déploya complètement. Mais pourquoi s'exclama-t-elle : "Plus fort ! Plus fort !" lorsqu'elle se transforma en tasse et en soucoupe ? Cela resta un mystère pour Alvina, à moins que Miss Poppy ne se prît pour du thé bien infusé."
L'Amant de Lady Chatterley (1928)
(Traduction Frédéric Roger-Cornaz)
Lady Chatterley's Lover
Sortie : 1931 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
– Après tout, Hilda, dit-elle, l'amour peut être merveilleux. Quand on sent qu'on vit, qu'on est au centre de la création.
Elle avait l'air de se vanter.
– Je pense que chaque moustique en pense autant, dit Hilda
– Tu crois ? Tant mieux pour lui !
Mr. Noon (1984)
Sortie : 1985 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Cruelle ironie du sort, ou hésitation procrastinatrice ? Toujours est-il que Lawrence laissa son roman inachevé et ne chercha jamais à le publier, et c’est assez amusant de se dire que cette attente de 50 ans (le temps qu’on retrouve un manuscrit par hasard), aura laissé dans l’ombre une des multiples facettes de DH, et pas la moindre : son humour ! Il n’y a que dans La Jeune Fille, écrit d’ailleurs dans les mêmes années, qu’un semblant de légèreté affleure, sinon, quelque large que soit la palette de Lawrence, c’est très rare que le rire entre en ligne de compte. Or ici, c’est le vecteur qu’il choisit pour varier le thème qu’il remet une nouvelle fois sur le tapis, et qui était déjà l’œuvre dans tout ses romans précédents : la lente appropriation de soi, le travail douloureux de libération des chaines sociales et psychologiques.
Cette fois donc moins d’introspection angoissée, moins de sentiments océaniques, mais à la place une lâcher-prise et une liberté de ton absolument jubilatoire : Lawrence s’adresse à ses lecteurs (en fait à ses lectrices comme il le précise très vite), les prend à témoin, établit une complicité ludique et décomplexée. Il se moque, revient sur les critiques qu’on a pu lui faire, prend de la distance, fait des clins d’oeil : cette fois sa façon d’exister ne réside pas tant dans ce qu’il raconte que dans la façon de souligner les voies pour le raconter. Et tout est alors affaire d’équilibre : ne pas en faire trop non plus, savoir intervenir quand il le faut, et parvenir à ne pas convoquer les événements juste pour les commenter. C’est là qu’on perçoit toute la richesse de la démarche lawrencienne : savoir tendre un fil toujours différent sur des abîmes inquiétants pour s’adonner au sport le plus risqué et le plus exaltant : apprivoiser le vertige d’être humain.
« Ayant ainsi excusé nos personnages et démontré qu’ils étaient doués d’un solide sens commun ; ayant révélé qu’ils savaient que les pétales de roses donnent mal au ventre, que les choux-fleurs sont délicieux et que le diner du dimanche constitue la clef de voute de l’arche domestique - arches répétées sur lesquelles la société repose ; ayant prouvé que les Bostock ont du cran et un solide jugement britannique, nous pouvons poursuivre notre récit en faisant montre d’une plus grande autosatisfaction »
L'Arc-en-ciel (1915)
(traduction Jacqueline Gouirand-Rousselon)
The Rainbow
Sortie : 2002 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Avec The Rainbow, publié en 1915 et immédiatement interdit par la censure britannique, s’ouvre une seconde période pour l’écrivain, marquée par la rencontre avec Frieda von Richthofen, épouse de l’un de ses professeurs et de six ans son ainée. Le jeune homme de trente ans s’appuie sur ce qu’il a pu expérimenter à travers ses trois premiers romans pour l’approfondir, le purifier et l’amplifier : la vie d’une famille de province comme dans Le Paon blanc, le couple en crise comme dans la Mort de Siegmund et la difficile lutte de l’homme dans la société du XXe siècle naissant comme dans Amant et Fils.
Le premier grand changement tient à l’ampleur de la narration, qui s’étend sur trois générations et plus de cinquante ans. Les relations familiales s’en trouvent complexifiées, les effets de rimes et les antagonismes tout autant. Quant à la purification, elle touche surtout à l’éviction toujours plus forte de l’intrigue romanesque : à travers les successions de génération, ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui intéressent Lawrence, mais les confrontations de caractères. Entre parents et enfants, entre amants et amantes.
Le style cherche un effet d’a-plat étonnant : tout est traité par grand bloc d’émotions, de sensations, de sentiments, où l’analyse psychologique ne repose pas tant sur les événements traversés que sur un continuum de pensée qui agit de façon quasi hypnotique sur le lecteur. La volonté de scruter l’empêchement de chacun de ses personnages est l’unique point focal du romancier, obsession qui agit comme une loupe au soleil, fondant tout en une matière épaisse et brûlante. Lydia, Tom, Anna, Will, Ursula sont pris comme autant d’entités qu’on peut scruter mais pas véritablement comprendre, des entités obstinées qui malgré leur évolution et leurs révoltes se retrouvent tous entravés dans leurs rapport à autrui. Et le roman en acquière une force insolite et brutale, celle de ce mystère opaque, mais d’une énergie dévastatrice, qui a toujours fasciné ce romancier hors normes : la vie de l’âme.
Femmes amoureuses (1920)
Women in love
Sortie : 1932 (France).
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 9/10.
L'Homme et la poupée (1923)
The Captain's Doll
Recueil de nouvelles
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Sept nouvelles, de longueurs et de tons très différents. Mais démontrant à chaque fois l'étonnante originalité de Lawrence quelque page, quelque phrase qu'il écrive. Un mélange de lucidité, de légère ironie, de compassion, de tragédie, qu'il parvient à fondre grâce à un regard très personnel sur les passions humaines. La première, qui donne son nom au recueil, est pour cela particulièrement frappante. En 150 pages, Lawrence y fait le portrait kaléidoscopique d'un homme étrange, qui traverse la vie en somnambule, obnubilé par la poupée qu'un jour une comtesse déchue a fait d'après son modèle. Mais pour moi la plus folle, la plus brutale, la plus incompréhensible et la plus belle reste "le fragment de vitrail", morceau arraché en haletant à la nuit et à la folie.
Le Paon blanc (1911)
The White Peacock
Sortie : 1911 (Royaume-Uni). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Le Paon blanc est le premier roman de Lawrence, publié en 1911 mais remanié depuis 1906 (le jeune homme a a lors 25 ans), avant la rencontre avec Frieda, avant la vie errante. Il se déroule dans le Nottinghamshire, la région natale de Lawrence, et son narrateur s’appelle Beardsall, le nom même de la mère du romancier. Autant dire que tout l’ouvrage est pétri de son expérience dans cette campagne du Midwest, au contact de la nature et des fermiers, au fil de longues journées à ne rien faire que contempler les arbres, le ciel et ses voisins. Un ton très différent de son oeuvre à venir, même si on peut ici ou là sentir des esquisses qu’il approfondira (les personnages par exemple de Georges et de Annable une fois mêlés donneront le garde chasse de l’Amant de Lady Chatterley) : pour l’instant l’apprenti écrivain fait ses gammes, notamment en expérimentant un récit à la première personne émanant d’un personnage très en retrait, simple observateur d’une comédie sociale qui tourne au drame, sur une quinzaine d’année. C’est d’ailleurs un peu comme s’il s’amusait à reprendre la situation de départ de « Sous la verte feuillée » de Thomas Hardy, mais en la réécrivant selon le style tardif de son auteur : finie l’insouciance des chassés-croisés amoureux, le pessimisme est là, bien installé, malgré les quelques rares percées de bonheur trop fugace. Tout le roman est construit sur ce rythme lent et entêtant, à l’image d’une main avide qui plongerait dans l’eau froide d’une rivière sans jamais pouvoir attraper l’eau courante.
« N’étions nous pas au milieu de la vie moderne, étourdissante, avec sa confusion de bannières et de couleurs, avec ses sons entremêlés ? … Au milieu du cri perçant des jouets de la vitesse moderne jaillissant comme un âpre embrun, du grondement de l’humanité qui cherche son pain, se détachaient la rapidité des chansons, le triomphe de la joie de vivre, les hautbois rauques de la privation, les tambours tremblants de la tragédie, et l’éternel grincement des deux cordes grave du désespoir...»
La Vierge et le Gitan (1930)
The Virgin and the Gipsy
Sortie : 1934 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Quel ingrat ! au cours de la lecture de ce texte trop court pour un roman, trop long pour une nouvelle, j’avoue avoir pensé qu’il faisait un peu pâle figure auprès des chefs-d’œuvre de maitre Lawrence. Pourtant, il n’y a pas grand chose à reprocher à cette histoire de désir inassouvi et d’incandescence tue, plantée au coeur de la campagne anglaise, si on oublie à quels sommets a pu monter l’écrivain. Non, tout y est maîtrisé, les portraits sont fouillés et frappants, l’intrigue bien menée, le style merveilleusement délié, et la tension monte jusqu’à un climax bien trouvé. Après tout, c’est déjà beaucoup, mais me taraudait quand même une légère impression de paresse, enfin de retenue. Jusqu’à la phrase concluant le livre. Qui m’a fait comprendre qu’un auteur peut écrire deux cent pages juste pour les douze derniers mots.
Le Renard (1923)
The Fox
Nouvelle
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Le Renard fait partie de ces novellas que Lawrence construit autour d’une situation mystérieuse, faites d’ombres et de sentiments aussi forts qu’inexplicables. Autant il n’hésite pas à développer ses idées socio-philosophiques dans ses gros romans, autant les formes courtes sont pour lui l’occasion de se montrer plus implicite, de se poster devant des comportements brutaux ou paradoxaux non pour les expliquer mais pour simplement les observer, à distance mais obstinément, jusqu’à leur faire rendre gorge. Ici tout tourne autour d’un personnage féminin - encore ! - fascinée, obnubilée par un renard dont elle retrouve la sauvagerie et le charme au fond des yeux d’un soldat qui s’installe dans sa ferme à la fin de la guerre. La prose si particulière de Lawrence n’est jamais aussi fascinante que quand elle s’attache à mêler si finement le symbolique et le naturalisme, dans une danse tragique où le psychologisme devient un étonnant sensualisme.
L'Homme qui était mort (1930)
The man who died
Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Voilà une longue nouvelle (ou court roman) bien étonnante de la part de Lawrence. Un style à la fois très dépouillé (on est presque dans un tableau primitif italien) et incantatoire, pour une histoire à des kilomètres de ses intrigues habituelles : le Christ revient, plein de désillusions et d'amertume, du royaume des morts, bien décidé à vivre cette fois comme un homme. Entre l'allégorie mystique façon Hermann Hess (ouais, bon, en mieux hein) et le conte philosophique, c'est amusant, et assez envoutant, de suivre DH sur ces voies de traverses.
L'Homme qui aimait les îles (1926)
The Man Who Loved Islands
Recueil de nouvelles
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Le rapport de l'homme et de la nature, chez Lawrence, est toujours prépondérant, toujours problématique. Ici, un homme coupe peu à peu les liens qui le rattachaient à la société, pour s'isoler (c'est le cas de le dire) de plus en plus loin de tout et de tous.
Autant les romans de DH sont touffus, brutaux, débordant, autant lorsqu'il s'attaque à des formes courtes, il préfère aller droit au but. Ça commence comme un conte ironique, ça se termine dans une prose aussi blanche que le blanc de la neige. Et l'effet obtenu est si fort (comme d'un alcool), si pur, que le vrai livre commence après le dernier mot lu.
L'Épine dans la chair (1914)
et autres nouvelles
Recueil de nouvelles
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Le Serpent à plumes (1926)
The Plumed Serpent
Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
J’ai du mal à décider si le roman est un peu loupé, ou trop bizarre pour être jugé sur des critères traditionnels. Lawrence n’a jamais eu peur d’avoir à inventer des formes romanesques inédites lorsque ce qu’il voulait raconter n’avait jamais été tenté. Ici, ça donne un étrange récit immobile, écrasé de chaleur, essayant d’avancer sur des terrains touffus que les mots ne sauraient explorer. La partie « nouvelle religion » m’a un peu lassé à la longue, mais à coté de cela, reste un magnifique roman d’envoutement, un envoutement des sens reposant sur une répulsion d’autant plus forte qu’elle reste sans effet sur une volonté annihilée. DH, you rock !
La Mort de Siegmund (1912)
The Trespasser
Sortie : 1934 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Pour son deuxième roman, Lawrence part sur des voies diamétralement opposées à celles ouvertes avec Le Paon blanc. S’inspirant du journal intime de son amie Helen Corke, il concentre tout son livre sur les quelques jours d’une tragédie intime, à la limite du descriptible : l’amour impossible entre un musicien marié et une jeune fille, coupés du monde, au bord de la mer. Grâce à une construction en flash back, le lecteur sait d’entrée que l’aventure se soldera par la mort du musicien (le titre français ne dévoile donc rien, même si en anglais le livre s’appelle plus simplement l’intrus - ou l’intruse ?), mort qui plane, fantomatique, sur le récit. Le ton est à l’introspection psychologique, centrée sur les sentiments ambivalents des deux protagonistes, incapables d’aller au bout de leur passion : un tableau pointilliste fait de petits grincements, de minuscules décalages, de tonalités discordantes toutes wagnériennes, détails insignifiants qui mis bout à bout finiront par une tragédie.
« Le violon de Siegmund était couché dans l’obscurité, dans son suaire de soie rouge, comme il l’avait placé pour la dernière fois de ses mains familières et fébriles. Au bout de deux mois, la première corde s’était rompue frappant avec violence le corps fragile de l’instrument. La seconde s’était rompue aux environs de Noel, mais nul n’avait entendu la faible plainte d’adieu. Le violon gisait muet dans l’ombre, une faible odeur de moisi envahissait le bois tendre et lisse. Les cordes tordues et desséchées étaient recroquevillées par l’angoisse de la rupture, étouffées sous des replis de soie. Le parfum de Siegmund dont le violon était imprégné évoluait lentement vers une odeur de moisi. Siegmund se mourait même en son violon. »
La Verge d'Aaron (1922)
Aaron's Rod
Sortie : 1935 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
La rencontre avec Frieda inaugure la longue période de voyages de Lawrence, d’abord en Allemagne et en Italie, avant l’Australie (qui sert de toile de fond à Kangourou et à Jack dans la brousse) et le Mexique (Le Serpent à plumes), et l’on retrouve dans La Verge d’Aaron, commencée en 1918, le thème de l’exil volontaire d’un héros qui se sent un paria dans son pays et dans sa vie. Flutiste, comme Siegmund était violoniste, Aaron fuit sa femme et son existence étriquée de travailleur minier, d’abord à Londres parmi des artistes velléitaires, puis à Florence dans un cercle d’aristocrates et d’oisifs. Anti-héros perdu dans un monde détruit par le conflit de 14-18, Aaron est comme enfermé dans sa volonté de solitude et son errance sans but nourrit un roman désabusé, dans lequel l’auteur délaisse quelque peu l’impressionnisme psychologique de ses débuts pour travailler plutôt un réalisme plus sec, à fleur de peau, comme écrit au fil de la plume sans réel plan ni intrigue déterminée. Là où, dans les romans précédents, tout faisait signe, tout était plein de promesses touffues et étouffantes, le lecteur soudain se trouve confronté au néant et à l’absurde, jusqu’à l’attentat anarchiste final venant symboliquement détruire le dernier lien d’Aaron avec le monde, ce bâton musical qui ne pourra plus, comme dans le texte biblique, refleurir à partir de rien.
Amants et Fils (1913)
Sons and Lovers
Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Le livre, plutôt volumineux, m’a fait l’impression de ces pâtes sablées qu’on essaye de faire avec de bons ingrédients mais qui au fur et à mesure du mélange rate complètement. Elles se délitent, rien ne tient ensemble, on essaye de remettre du beurre, ça empire, on finit le pot de farine, ça devient tout sec, on essaye de l’eau, un oeuf, c’est pire, ça colle aux doigts, ça ne cuira jamais, et la tarte est foutue. Peut-être parce que le sujet est trop autobiographique, et trop frais dans sa mémoire, peut-être parce qu’il est encore trop jeune dans le métier, en tout cas j’ai trouvé que Lawrence pour une fois avait du mal à remonter le courant. Si le début en forme de fresque minière m’a presque convaincu, ensuite les atermoiements sexuels du héros m’ont paru quand même très lassants, et l’ensemble à la fois trop long, trop répétitif, et curieusement pas assez fouillé.
L'Officier prussien (1914)
et autres nouvelles
The Prussian Officer and Other Stories
Sortie : 23 février 2011 (France). Recueil de nouvelles
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
« Le bruit du temps » a eu la bonne idée de grouper les nouvelles de Lawrence en respectant les recueils originaux. Ce volume correspond au premier qu’il a publié, fin 1914, réunissant 12 nouvelles déjà parues en revue, alors qu’il était un auteur pour le moins confidentiel. On y retrouve son talent si particulier pour peindre des psychologies torturées et des décors criants de vérité, mais force est de constater que le niveau général est néanmoins en dessous des romans à venir, et des nouvelles plus tardives. Comme s’il était encore un peu à l’étroit dans le format court : trop souvent, il semble s’interrompre au milieu de son histoire, plutôt que d’oser la pousser plus loin ou de profiter de ses zones d’ombres. Le très mauvais accueil que la critique fera au recueil lui apprendra une chose essentielle : ne plus faire de compromis.
La Princesse (1925)
Nouvelle
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Une vierge inhumaine, un guide mexicain, des chevaux fougueux, une nature sauvage, une cabane isolée, le vent froid de la nuit, autant d'éléments avec lesquels on pourrait écrire pas mal d'Arlequins croquignolets. Mais Lawrence a le don pour retourner les lieux communs, les porter à incandescence, les traiter avec humour pour soudain changer complètement le point de vue et devenir le plus sérieux et mystique du monde, et faire en sorte que son lecteur ne sache jamais avant la dernière page où toutes ces aventures vont le mener.