Words (2021)
« Oh, my Lolita, I have only words to play with! » — Nabokov
2020 : https://www.senscritique.com/liste/Words_2020/2602249
2019 : https://www.senscritique.com/liste/Words_2019/2336816
2018 : https://www.senscritique.com/liste/Words_2018/1960673
2017 ...
20 livres
créée il y a presque 4 ans · modifiée il y a environ 3 ansLais · Testament · Poésies diverses · Ballades en jargon
(Édition bilingue)
Sortie : 1 mars 2004 (France). Poésie
livre de François Villon
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Agrégation de lettres modernes 2021
Il est difficile de comprendre la véritable originalité de Villon sans connaître la littérature de son époque, notamment les textes courtois qu'il parodie, à commencer par Le Roman de la Rose. En revanche il est aisé de mesurer sa postérité et son influence intarissable, de Rabelais à Apollinaire. L'idée de ces faux legs avant tout est géniale, elle autorise une ironie infinie, des doubles sens grivois dissimulés partout, des trouvailles poétiques par milliers. La grande modernité du Lais et du Testament vient de ce que, le nom du légataire imposant par la rime le don qui lui est destiné, le poète procède souvent par associations sonores, de sorte que la forme semble parfois primer sur le fond. Quant aux Poésies diverses, elles témoignent du caractère étonnamment ludique de ces vers, bien avant des entreprises comme l'Oulipo. Le moyen français étant déjà beaucoup plus lisible que l'ancien, il ne faut pas avoir peur de se confronter à l'original pour apprécier la profonde musicalité des ballades.
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Le début de la fameuse « Ballade des dames du temps jadis » :
« Dictes moy ou n'en quel pays
Est Flora, la belle Romaine,
Archipïadés ne Thaÿs
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quant bruyt on maine
Dessus riviere ou sus estan,
Qui beaulté ot trop plus qu'umaine.
Mais ou sont les neiges d'anten ? »
Le quatrain écrit par le poète quand il fut condamné à mort :
« Je suis François, dont il me poise,
Né de Paris emprés Pontoise,
Et de la corde d'une toise
Saura mon col que mon cul poise. »
Le Condamné à mort (1942)
et autres poèmes, suivi de Le Funambule
Sortie : septembre 1942. Poésie
livre de Jean Genet
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Le poème-titre est magnifique, le lyrisme pornographique de Genet s'exprimant paradoxalement le mieux dans le corset de ces alexandrins à la densité syntaxique, à la raideur – c'est le cas de le dire – toutes baudelairiennes. J'ai trouvé les autres pièces, qui ressemblent un peu à du sous-Apollinaire, plus obscures et quelconques. Du mal aussi avec « Le Funambule », un texte en prose plus théorique qui poursuit la réflexion du théâtre de l'auteur sur les images.
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« La chanson qui traverse un monde ténébreux
C'est le cri d'un marlou porté par ta musique,
C'est le chant d'un pendu raidi comme une trique.
C'est l'appel enchanté d'un voleur amoureux. »
« Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour. »
Correspondance (1974)
Sortie : 1974 (France). Correspondance
livre de Gustave Flaubert
Paul_ a mis 9/10 et a écrit une critique.
Les Dix Meilleurs Films de tous les temps
Sortie : 14 avril 2017 (France). Essai
livre de Luc Chomarat
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Le titre est heureusement farceur. On se balade chez Ozu, Bava et Argento avec un humour qui rappelle l'absurdité des listes et la relativité du goût. Mais doit-on nécessairement publier ce genre de « livre » sans suite dans les idées et avalé en vingt petites minutes ?
Le Rivage des Syrtes (1951)
Sortie : 25 septembre 1951. Roman
livre de Julien Gracq
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Un ami m'avait dit : « Tu verras, Gracq écrit encore mieux que Proust. » Cet ami n'était pas proustien. Tant pis pour le blasphème mais je ne trouve pas que Gracq écrive si bien que cela : outre la répétition de termes d'une page, parfois d'une phrase à l'autre (je suis peut-être tatillon en sortant de Flaubert, mais on aimerait parfois que l'auteur se saisisse d'un dictionnaire de synonymes pour éviter un nouveau « silence », une énième « immobilité »...), les doubles complémentations du nom, l'abus d'italiques, la plupart des images m'ont paru forcées dans leur volonté de faire mouche systématiquement. Gracq empile les métaphores mais touche rarement, quitte à poursuivre la comparaison, au « c'est ça » proustien, et la phrase proustienne me semble pour cela beaucoup plus naturelle. En fait je trouve cette écriture un peu naïve et adolescente, mais du coup elle va bien à son personnage principal, et c'est sans doute aussi ce qui fait son charme. Je reconnais qu'au milieu de cette surenchère perpétuelle à l'image il y a des pages où, dans une forêt de mots, un seul d'entre eux suffit à donner à la phrase la puissance magique d'une incantation. Et puis ne fallait-il pas toutes ces couches, tous ces élans mallarméens, mais élans seulement, pour épouser au mieux le projet du roman, qui est justement – dans un involontaire parfum du Désert des Tartares – de donner une forme à l'ennui et à l'inertie ? C'est donc surtout un livre admirable parce qu'il déborde de cohérence jusque dans ses défauts.
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« Nous demeurions silencieux, comme roulés dans le rêve de chagrin de ce colosse perclus, de cette ruine habitée, sur laquelle ce nom, aujourd'hui dérisoire, d'Amirauté, mettait comme l'ironie d'un héritage de songe. »
Le Joueur d'échecs (1943)
(traduction Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent)
Schachnovelle
Sortie : 1944 (France). Nouvelle
livre de Stefan Zweig
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Relu.
Je me suis mis aux échecs, alors... Et puis c'est mieux que The Queen's Gambit. "Meilleur livre de confinement", et sans doute le meilleur livre à offrir à ceux qui voudraient se mettre à la lecture : Zweig me paraît être un formidable passeur entre une littérature accessible, de gare dirons-nous, et une autre un peu plus profonde et plus exigeante. Ici il y a quelque chose de Maupassant dans cette inquiétante étrangeté, cette ombre de la folie qui plane sur les personnages. Envie de lire, d'avaler tout Zweig.
L'Anomalie (2020)
Sortie : 20 août 2020 (France). Roman, Science-fiction
livre de Hervé Le Tellier
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Après une première partie plutôt intrigante et prenante qui décrit des vies minuscules à la manière de La Vie mode d'emploi, tout en instillant une inquiétante étrangeté de SF, je reste assez déçu par la tournure finalement assez attendue que prend le roman. Au bout du compte, le léger et le ludique de cette écriture m'ont semblé plus souvent résider dans une certaine posture de l'auteur que dans des formes sensibles de jubilation, de vertige, de rire même. Outre l'intrigue ingénieuse qui offre de jolis paradoxes temporels, les personnages, les effets de style, l'humour à base de blagues insérées ça et là, restent trop convenus : il manque une densité stylistique à la Perec justement, en fait une littérarité, qui ferait que l'on comparerait ce livre plus volontiers à un roman choral qu'à une série TV. À cet égard j'étais surpris d'apprendre après la lecture que les chapitres se voulaient vraiment écrits d'après des styles différents, quand ils m'ont paru si cruellement manquer d'une couleur, d'une patine distinctives. La référence constante à l'actualité hypercontemporaine, dont le coronavirus, et ce portrait moqueur de Trump qui ne peut qu'emporter facilement l'adhésion ne sont pas non plus du meilleur acabit, tout comme cette mise en abyme grossière et un brin complaisante qui fait du personnage de l'écrivain un double de l'auteur (« Il n'a retenu que onze personnages, et devine qu'hélas, onze, c'est déjà beaucoup trop. Son éditrice l'a supplié, Victor, pitié, c'est trop compliqué, tu vas perdre tes lecteurs (...) Mais Victor n'en fait qu'à sa tête. »). Cependant je m'en veux de ne jurer surtout que par le style : l'essentiel reste qu'Hervé Le Tellier se soit manifestement fait plaisir pendant l'écriture, même si ce plaisir ne se ressent pas toujours à la lecture.
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« Il sait malgré tout qu'il suffira qu'une de ses phrases soit plus intelligente que lui pour que ce miracle fasse de lui un écrivain. »
Mythologies (1957)
Sortie : 1957 (France). Essai
livre de Roland Barthes
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Ce ne sera pas mon ouvrage préféré du sémiologue, mais il y a toujours des pages très intéressantes qui, tout en déconstruisant un certain nombre de mythes (qui vont du strip-tease aux jouets, en passant par la fameuse DS – spoiler : les bourgeois en prennent pour leur grade), éclairent aussi le mythe Roland Barthes lui-même. Car finalement c'est ici que l'on retrouve le plus l'idée que l'on se fait de Barthes, en tout cas celle que la plupart des gens s'en font, celle de l'intellectuel qui abat nos idoles avec une froideur et une minutie un peu intimidantes. Ces Mythologies représentent peut-être le meilleur condensé de sa pensée pour qui veut découvrir son œuvre, reste que je préfère largement le « je » subjectif et sensible, infiniment plus touchant et plus drôle, du romancier en puissance de La Préparation du Roman.
L'Heptaméron (1558)
Sortie : 1558 (France). Recueil de nouvelles
livre de Marguerite de Navarre
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Agrégation de lettres modernes 2021
Soixante-douze contes à rire ou « piteux » sur le modèle du Décaméron et aux sujets divers : amours adultères entre nobles gens, crimes effroyables de moines, histoires scatologiques ou de couvent. L'originalité décisive par rapport à Boccace réside dans l'ajout des « devis », ces débats après chaque histoire qui vont rendre toute relative ou parfois même caduque la morale de la nouvelle qui vient d'être racontée, la seule vérité valable étant laissée à Dieu. Plus que ce que l'on considère comme le premier recueil de nouvelles en langue française, L'Heptaméron est donc aussi le roman de ses devisants, ces cinq hommes et cinq femmes modelés dans une écriture polyphonique qui, d'une façon étonnamment moderne, cherche à rendre l'illusion du naturel de la conversation à la cour de François Ier. Car Marguerite, comme Rabelais, est marquée par un idéal évangélique, celui d'une vie active en société, qui ne sacrifie pas le divertissement à la foi.
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« Mais nous, qui n’avons esté appellez au conseil privé de Dieu, ignorans les premieres causes, trouvons toutes choses nouvelles »
Odelettes (1853)
Sortie : 1853 (France). Poésie
livre de Gérard de Nerval
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Petites pièces mignonnes et mélancoliques. Un plaisir de retrouver « Une allée au Luxembourg », qui préfigure « À une passante » de Baudelaire, et de découvrir la merveille presque proustienne qu'est « Fantaisie » :
« Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens ! »
Les Chimères (1854)
Sortie : 1854 (France). Poésie
livre de Gérard de Nerval
Paul_ a mis 9/10.
Annotation :
On voudrait en inscrire chaque vers au fronton de nos vies. Le plaisir d'amalgamer les mythologies grecque, égyptienne, chrétienne où chaque nom étranger, dans ses contours, est porteur d'une couleur ou d'un parfum. Nerval parvient à rester érudit sans être gratuit, mystérieux sans être hermétique. Ses formules, d'une simplicité parfaite – c'est à peine si l'on ressent la contrainte métrique de l'alexandrin – évoquent des images mentales puissantes (par exemple « les citrons amers où s'imprimaient tes dents ») et résonnent comme des échos prophétiques. Un court recueil qui paraît inépuisable.
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Le premier sonnet du « Christ aux Oliviers » :
« Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras,
Sous les arbres sacrés, comme font les poëtes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats ;
Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas
Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes…
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier : « Non, Dieu n’existe pas ! »
Ils dormaient. « Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J’ai touché de mon front à la voûte éternelle ;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours !
Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme !
Le dieu manque à l’autel où je suis la victime…
Dieu n’est pas ! Dieu n’est plus ! » Mais ils dormaient toujours ! »
Cyrano de Bergerac (1897)
Sortie : 1897 (France). Théâtre
livre de Edmond Rostand
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
On ne nous ment pas sur le panache. La force de la pièce vient de ce qu'on a l'illusion que ses vers sont directement composés par Cyrano sous nos yeux ébahis, ce qui donne envie d'écrire les siens propres sur-le-champ. Au passage j'ai remarqué que les vers de Rostand étaient enjambés, disloqués, sciés comme ceux de Corbière – est-ce la petite musique fin de siècle ? Mais la reconstitution, tous ces personnages, toutes ces didascalies me barbent un peu, et les deux derniers actes sont clairement moins mémorables que le reste.
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« Et si fraîche/Qu'on pourrait, l'approchant, prendre un rhume de cœur ! »
Marelle (1963)
Rayuela
Sortie : 1966 (France). Roman
livre de Julio Cortázar
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Peut-être n'ai-je pas eu une lecture assez active, en tout cas beaucoup de choses m'ont échappé au cours de cette ballade (sic) littéraire. J'adhère évidemment au projet de mêler la fiction et l'essai, et de proposer une narration sur laquelle les différentes interprétations achoppent. Mais j'ai aussi ressenti comme une pointe d'affectation dans cette volonté de proposer une histoire qui ne va nulle part et qui fait tout pour le montrer, à l'image de son personnage principal qui semble se plaire à être antipathique. Il y a un côté « regardez comme je dynamite le récit traditionnel » qui peut agacer. Ceci étant, Marelle reste un roman passionnant et je reviendrai visiter le pays de Cortázar.
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« (le génie c'est se parier génial et tomber juste) »
Aux champs (1882)
Sortie : 1882 (France). Nouvelle
livre de Guy de Maupassant
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Pour mes élèves.
Une sélection de nouvelles qui ont souvent en commun d'avoir pour cadre la campagne normande et de mettre en scène des enfants, toujours avec la cruauté douce-amère caractéristique de Maupassant, mais aussi avec son humour. « Ma femme », qui raconte comment une soirée arrosée a déterminé la situation conjugale du conteur, est ainsi particulièrement drôle. Figurent aussi des tableaux corses déjà lus dans un recueil précédent, « Une vendetta » (la préférée de mes élèves, évidemment) et la très belle « Le Bonheur ».
Le Misanthrope (1666)
Sortie : 1666 (France). Théâtre
livre de Molière
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Relu – pour mes élèves.
C'est toujours ma pièce préférée de Molière. Il y a des vers sublimes et l'idée du personnage – résumée dans ce sous-titre, « L'Atrabilaire amoureux » – demeure géniale quatre siècles plus tard. Cette fois-ci j'ai été particulièrement sensible, notamment dans la scène des portraits, aux belles tranches de satire à la Boileau (ses Satires paraissent la même année), qui s'est d'ailleurs revendiqué comme le modèle d'Alceste. Molière invente une comédie qui n'en est pas vraiment une. Pourtant il me manque toujours quelque chose, j'ai à la fois l'impression que l'intrigue fait du surplace, et qu'elle est un peu expédiée.
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« Je veux voir, jusqu'au bout, quel sera votre cœur,
Et si de me trahir il aura la noirceur. »
Réinventer l'amour (2021)
Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles
Sortie : 16 septembre 2021 (France). Essai, Culture & société
livre de Mona Chollet
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Mona Chollet se sabote aussi un peu elle-même avec un titre si ambitieux, qui annonce d'emblée un programme impossible à tenir... Son livre n'est pas dépourvu de remarques intéressantes, sur les violences conjugales ou l'ambiguïté des fantasmes par exemple, et reste toujours plus accessible que les essais de Butler, mais qu'y perd-on en densité réflexive ! L'autrice a un talent de compilation et de synthèse, pas celui d'une penseuse à proprement parler : son analyse est thématique, sans véritable articulation, de sorte que l'on perd souvent de vue la problématique de l'ouvrage. On dirait un peu un travail universitaire, où l'accumulation des références empêche de faire naître une pensée propre. Et ce ne sont pas les embardées à la première personne qui vont changer la donne, où l'on tombe régulièrement dans un récit d'introspection voire d'anecdote niais et gênant, le pire restant les conclusions de chapitres en forme de maximes de développement personnel (exemple : « Je veux bien courir le risque d'être blessée, mais il faut que ce soit pour quelqu'un qui en vaille la peine. »). En fait l'écriture même de Chollet, lâche et alambiquée, trahit d'emblée un raisonnement laborieux (sur un sujet certes extrêmement compliqué), et j'ai souvent pensé aux fameux vers de Boileau pendant la lecture : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,/Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Le Tour du monde en 80 jours (1873)
Sortie : 1873 (France). Roman, Science-fiction, Voyage
livre de Jules Verne
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
C'est un voyage sans surprise très linéaire, raconté avec une plume assez scolaire et distante, qui manque un peu d'expressivité et de variété, à l'image du running gag sur le flegme de Fogg. Ceci dit Verne invente en quelque sorte le roman à contrainte, le roman mathématique (je n'ai pas vérifié mais j'imagine que les distances sont à peu près couvertes proportionnellement par les pages du livre), refusant, presque à la manière du Nouveau Roman, de donner une psychologie à ses personnages. Son Tour du monde annonce déjà le voyage comme performance, comme consommation : on voyage pour dire qu'on a voyagé (« Ils n'avaient rien vu d'Omaha, mais Passepartout s'avoua à lui-même qu'il n'y avait pas lieu de le regretter, et que ce n'était pas de voir qu'il s'agissait. »), et il s'agit bien sûr d'être riche pour le faire, Fogg soudoyant allègrement chacun de ses passeurs. Mais Verne s'est creusé la tête pour trouver les plus belles idées d'obstacles (les bisons) ou d'accélérations (le bateau devenu son propre combustible), et la fin réserve un magnifique twist.
Iliade
(traduction Mario Meunier)
Ἰλιάς
Sortie : 1943 (France). Mythes & épopée
livre de Homère
Paul_ a mis 9/10.
Annotation :
Une cure de jouvence, comme tous ces classiques qui remettent en jeu notre rapport intime au langage. Dans le travail de traduction particulièrement fidèle de Jean-Louis Backès, les mots d'Homère semblent lourds, chargés d'un poids qui a résisté au temps, et on est souvent ému d'apprendre que certaines expressions, « sur le fil du rasoir » par exemple, sont littérales. Le texte est d'une précision poétique prodigieuse, avec ses épithètes fameuses et ses comparaisons sur le point de fleurir en métaphores, qui n'ont rien à envier à celles de la plupart des auteurs d'aujourd'hui. Humains, trop humains, les dieux voient parfois leur personnage, Arès ou Discorde, se confondre avec leur allégorie. La guerre se joue au milieu de tout cela dans un fracas presque encore audible, où les innombrables biographies, sous forme de digressions, deviennent bientôt de fraîches nécrologies. Et puisque l'Iliade est d'abord un choix de montage narratif, c'est surtout le récit d'un renoncement incompréhensible et sublime, presque « vingtièmiste », celui d'Achille qui finit malgré tout par se jeter dans la bataille pour obéir à son destin. Sa mort, la chute de Troie resteront hors champ. Le livre est fini, mais on en redemande encore.
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« Et des chevaux à large encolure
Traînaient des chars vides sur les chemins de la guerre,
Regrettant leurs cochers sans reproche, qui sur terre
Gisaient, plus doux à voir pour les vautours que pour leurs femmes. »
« Il m'est difficile de montrer tout cela comme si j'étais un dieu. »
Un homme qui dort (1967)
Sortie : 1967 (France). Roman
livre de Georges Perec
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Si on évalue un livre à la hauteur de notre regret de ne pas l'avoir écrit avant, alors celui-là est encore bien placé... Naïvement je ne pensais pas que Perec puisse sortir un tel sujet, et cette longue phrase, volontiers hallucinatoire, de son éventail. Mais j'aurais dû me douter, depuis La Vie mode d'emploi, que le bonhomme est capable de tout. L'adresse à la deuxième personne est formidablement efficace, on se sent pris à partie, on ne fait plus qu'un avec le personnage dans un renoncement où c’est finalement l’écriture, par sa contingence même, qui fait figure de salut. Car le style de Perec, un peu comme un Chevillard avant l’heure, trouve un équilibre fragile entre la langue quotidienne et un langage plus « littéraire », et c’est bien lui qui donne sa force réflexive au livre, sa touche de philosophie zen.
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« Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien : c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger ; qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est un si grand mot : tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomètres des façades, des devantures, des parcs et des quais. L'indifférence est inutile. »
La Septième Fonction du langage
Sortie : 19 août 2015 (France). Roman
livre de Laurent Binet
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
On ne peut qu'être admiratif face au sacré travail de reconstitution qu'a dû mener Binet pour aboutir à ce livre-musée, qui ressuscite devant nos yeux ébahis tout un pan du milieu intellectuel et politique français du début des années 1980. L'effervescence de l'époque est fascinante, et si c'était un pari audacieux que de mettre en scène et de donner voix à autant de personnages historiques (certains étant toujours vivants !), l'auteur s'en sort avec les honneurs. Alors certes, couplée à un certain goût pour la vulgarité, son érudition impressionnante peut agacer par son côté intello m'as-tu-vu, mais à mes yeux la limite de son ouvrage ne réside pas là. Car la fantaisie de l'intrigue policière, la précision des pastiches et ces personnages plus brillants que nature qui joutent à coups de citations dans un Fight Club pour littéraires, s'ils donnent parfois au livre l'allure d'un roman post-moderne, le rapprochent aussi d'un super page-turner, où l'éclat de la surface masque difficilement le manque de profondeur. Le roman se dévore non sans plaisir mais laisse finalement peu de part à l'implicite, et le final, en filant artificiellement une réflexion sur les frontières entre le réel et la fiction très peu convaincante, confirme cette impression que derrière les clins d'œil et la vulgarisation, l'auteur n'a finalement pas grand-chose à dire. Le geste littéraire demeure enthousiasmant, et réserve un moment de lecture aussi jouissif qu'il peut être frustrant.