Années 1990 : les livres
Top des tops : les incontournables de la décennie. La littérature a droit aussi à son palmarès !
Début de siècle : http://www.senscritique.com/liste/Debut_de_siecle_les_livres/417937
Années 1910 : http://www.senscritique.com/liste/Annees_1910_les_livres/220206
Années 1920 ...
30 livres
créée il y a plus de 11 ans · modifiée il y a environ 2 heuresMoo Pak (1994)
Sortie : 2011 (France). Roman
livre de Gabriel Josipovici
bilouaustria a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Roman déguisé en long monologue, "Moo Pak" (pour Moor Park) contient tous les livres. Deux hommes marchent dans Londres et passent d'un thème à l'autre, le langage, l'art, l'Angleterre aujourd'hui, la solitude dans nos sociétés, comme on converse au coin du feu avec un vieil ami qui serait aussi notre professeur. La transition a disparu dans la phrase de Josipovici, avec sa rhythmique toute Bernhardienne, peut-être moins cahotante parce que moins obsessionnelle. La marche sert de métronome aux mots, sans saut à la ligne, sans respiration. Josipovici a pour lui la fluidité des idées qui coulent sur la forme de son texte (c'est bien entendu l'inverse, mais l'art, la maîtrise de son écriture donne cette illusion). La mort comme seul horizon, voilà un homme qui comme Swift - figure centrale du livre - se bat avec les mots pour tenter de restaurer un peu de ce qui, chaque jour, lui échappe faute de pouvoir l'écrire. Beckett est également un phare dans cette nuit noire. Sans cynisme, pose ou truc narratif post-moderne, Josipovici écrit le livre d'une vie en quelques pages denses qui dépassent le "Maîtres anciens" de Bernhard, le "Agonie d'agape" de Gaddis, et ces rares textes desquels on peut le rapprocher.
Opération Shylock (1993)
Une confession
Operation Shylock: A Confession
Sortie : 12 avril 1995 (France). Roman
livre de Philip Roth
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
Roth doit être un redoutable joueur d'échecs. Parce que lorsqu'il fait mine de nous emmener quelque part, de nous montrer son jeu, c'est pour mieux nous prendre par surprise quelques minutes plus tard ! Dans Opération Shylock, le roman le plus malin du monde, un type (un sosie) se fait passer pour Philip Roth. Ça commence tranquillement et on ne sait pas encore dans quoi on met les pieds ! Mais saurez-vous anticiper trois coups à l'avance contre un joueur du calibre de ce Roth là ?! Sur un fil ténu entre fiction et non fiction, en équilibre entre politique au moyen-orient et farce grotesque, Roth réussit tout et plus encore. Le bordel cacophonique le plus drôle de la décennie...
Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas (1997)
A Supposedly Fun Thing I'll Never Do Again
Sortie : août 2005 (France). Essai
livre de David Foster Wallace
bilouaustria a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ahahahahahah. Non mais Hunter Thompson meets Marx Brothers, quoi. DFW est payé pour faire une croisière en bateau ou aller au salon de l'agriculture de l'Illinois et devinez quoi, il y a quelques imprévus. Qu'on ait droit au Gonzo le plus hilarant du monde, à un cours sur les trajectoires et les angles au tennis ou le tournage de Lost Highway, DFW, où qu'il nous emmène, le fait avec un sens tout personnel du journalisme. Possiblement mon Wallace préféré !
La Transparence du mal (1990)
Essa sur les phénomènes extrêmes
Sortie : février 1990. Essai
livre de Jean Baudrillard
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
Baudrillard nous a sauvés, mais personne ne l'a lu (entendu ?) et nous sommes morts tout de même. Encore un concentré vertigineux d'intuitions, de paradoxes évidents, d'évidences paradoxales. Baudrillard raisonne du corps social vers le corps humain, et inversement : c'est notre pensée conventionnelle, cette manière de consensus mou vers un petit monde propre et parfait (les droits de l'homme brandis à tout-va), politiquement correcte et vide qui a progressivement tué nos anticorps jusqu'à mettre en péril notre système immunitaire. À vivre sous couveuse on attrape la mort : le sida, le terrorisme, le virus informatique... Et Jean de naviguer à vue : on rencontrera Schnitzler ou l'Hayatollah Khomeini, découvrira l'érotisme du minitel, se perdra dans un stade de foot, se mirera dans un écran de télévision. Amen.
Les Émigrants (1992)
Die Ausgewanderten
Sortie : janvier 2001 (France). Roman
livre de W.G. Sebald
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Un livre sur la mémoire, un livre de sable qui disparaît à mesure qu'il avance, et parle de gens disparus et retrouvés, pris en photo et déjà évaporés. C'est un temps qui a existé, des hommes qui ont eu une autre vie et qui ont tout perdu, qui se sont refaits ailleurs, qui existent dans les livres de Sebald. C'est un morceau d'histoire du siècle, écrit avec la modestie et la grâce des plus grands. Une enquête à la recherche du temps perdu, du temps retrouvé. Tout s'y trouve entre les lignes, comme murmuré.
Le mausolée des amants (2001)
Sortie : 2001 (France). Correspondance
livre de Hervé Guibert
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Journal très intime. Guibert est doué pour mettre des mots sur des petits riens, des détails, des sentiments inqualifiables. Pour capturer l'instant (on est photographe ou on ne l'est pas). De son regard acéré, donc, HG surprend dans ses instantanés la vie là où on ne l'attend pas. Il s'auto-analyse comme personne, se met à nu comme personne, note scrupuleusement ses rêves, mais donne toujours l'impression de parler aussi de nous. Incroyable maturité littéraire au milieu de choses pas toujours très nobles. Force d'écriture d'un homme qui ne croit plus au roman. Et Minuit (Jérôme Lindon en prend pour son grade !), et Le Monde, et encore les photos, les lotions pour cheveux, les grand-tantes Suzanne et Louise, Michel (Foucault), les aveugles de l'institut, et Gallimard, et l'étreinte des corps, et la villa Médicis, et bien sûr le sida. On voudrait tout souligner, tout stabiloter, tout post-iter, garder ces bouts de phrases dans nos propres carnets. S'y mêle la critique littéraire et cinématographique de Guibert, en dilettante. Un livre plein ras-bord de vie. Grande bouffée de liberté.
La Supplication (1997)
Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse
Tchernobylskaïa Molitva
Sortie : 1999 (France). Récit
livre de Svetlana Alexievitch
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Alexievitch a écrit le livre ultime sur Tchernobyl. Je ne sais pas si ça intéresse encore quelqu'un de discuter si c'est de la littérature ou du journalisme... Le résultat est tellement puissant, émouvant, les témoignages sidérants, on comprend qu'on pouvait mettre des mots sur la guerre parce qu'on la reconnait mais qu'est-ce que c'est Tchernobyl. Et le livre fait habilement le parallèle, en faisant parler les survivants, entre l'explosion du réacteur et celle du monde communiste, de l'ancien monde, qui a tout pourri par ses mensonges et sa propagande. Alexievitch en étant à la fois étrangère et Biélorusse elle-même inspire une telle confiance qu'elle recueille des propos à peine imaginables, les horreurs dépassent de loin celles de son livre sur la guerre en Afghanistan. C'est l'apocalypse baignée dans une sorte de douceur irréelle, de nature et de couleurs presque hypnotisantes. Je suis époustouflé par la simplicité et l'efficacité de la "méthode" Alexievitch comme on peut le dire pour Wiseman au cinéma. C'est évident et d'une grande profondeur.
Les Cygnes sauvages (1991)
Wild Swans : Three Daughters of China
Sortie : 1992 (France). Essai
livre de Jung Chang
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Récit très impressionnant du vingtième siècle chinois, de l'intérieur, à travers trois générations de femmes. C'est à la fois intime et épique, la violence qui traverse le livre et invraisemblable. Et dire qu'on faisait les malins en France à brandir le petit livre rouge (Sartre revendiquait haut et fort son Maoisme), quelle tristesse ! La Chine de la révolution culturelle est un cauchemar, famine, délation, bastonnades, jalousies etc. L'écriture simple et modeste de Jung Chang (le livre est écrit en anglais) cherche avant tout à retracer les événements, une chronologie, à éclairer les enjeux politiques. On sent la vie des gens basculer, la peur, les espoirs envolés en fumée, et "Les cygnes sauvages" dégage la force des meilleurs textes de Svetlana Alexievitch. Il n'y a pas de surdramatisation, tout est déjà là, les émotions sont tenues en sourdine. Pourtant Jung Chang est une privilégiée, elle s'en sort souvent grâce au statut de son père, son éducation. On imagine seulement l'horreur traversée par des milliers de familles. Quoi qu'il en soit, la densité du récit fait tourner la tête : il y a plus d'événements contenus dans une seule des 650 pages de ce livre que dans la plupart des romans contemporains.
City of Quartz
Los Angeles, capitale du futur
City of Quartz - Excavating the Future in Los Angeles
Sortie : 1990 (France). Essai
livre de Mike Davis
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Une histoire exhaustive de Los Angeles, et même de la Californie du sud. Tout y passe, "City of Quartz" est un mammouth, Mike Davis un monstre d'érudition. En historien-sociologue, il raconte sa ville avec amour et engouement, partis-pris, et montre comment les questions d'urbanisme ont influé sur le paysage politique de L.A. Comment les associations de propriétaires ont par exemple crée une véritable Apartheid dans la période d'après-guerre. Comment le tout sécuritaire du maire Bradley et les pressions du tout puissant Los Angeles Times ont envenimé le climat social dans les années 1970 et 1980. Comment les investisseurs canadiens puis asiatiques se sont emparés de Dowtown. Le tout en gardant un oeil sur la culture et ses particularités californiennes : bonjour messieurs Thomas Pynchon, James Ellroy, Kenneth Anger, Frank Lloyd Wright, Ray Bradbury et tous ces européens prestigieux exilés à Hollywood... Riche, dense, complexe, mais rendu clair et lisible par la prose nerveuse et militante de Davis, "City of Quartz" a tout pour lui (sauf un soupçon de fun, une démarche plus littéraire et moins scientifique), y compris un sujet, cette ville unique, siège de tous les paradoxes.
Agonie d'agapè (2002)
Agapē Agape
Sortie : 2007 (France). Roman
livre de William Gaddis
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
C'est un Gaddis mourant qui écrit cette diatribe branchée sur 50000 Volts. Le New York Times a parlé de Beckett et le texte fait d'importantes références à Walter Benjamin et en particulier à "L'oeuvre d'art à l'heure de sa reproductibilité technique" mais le grand auteur convoqué par Gaddis, comme toujours et sans le nommer est bien sûr Bernhard. Il reprend, en plus d'une forme de soliloque venimeux digne de l'autrichien des thèmes chers à ce dernier et cite expressément "Le naufragé" et "Mes prix littéraires". Le tout dans une parodie grandiose du roi Lear où l'artiste et l'écriture sont au centre de toutes les questions existentielles. Si "agapē agape" se lit en une journée, les répercussions d'un tel texte n'ont pas fini de vous poursuivre !
1998
Le Grand Passage (1994)
La Trilogie des confins, tome 2
The Crossing
Sortie : mai 2000 (France). Roman
livre de Cormac McCarthy
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
La quintessence du Mc Carthy sauvage, taiseux, proche de la nature. Un livre de cowboy, mi garde forestier mi héros maudit et encore un roman impeccable de formation. Les points communs avec "De si jolis chevaux" sont nombreux mais Mc Carthy pousse le curseur un peu plus loin, dans la violence, le calme, la solitude. C'est parfois éprouvant à lire, il y a des pages et des pages d'errance à la recherche des traces d'une louve, il faut trouver le rythme et apprendre à refuser la vitesse qu'on nous sert partout aujourd'hui et à toutes les sauces. Oui, c'est un livre d'un autre temps. Mais un roman très pur, qui ne s'embarrasse pas de séduction, de dialogues spirituels, de jolies phrases. Il s'agit d'une relation au monde, d'une manière de traiter son prochain, avec des codes d'honneur qui rappellent le western. La frontière mexicaine fait une fois de plus figure de passage vers les enfers. Un grand livre qui prend son temps.
La tunique de glace (1990)
The Ice Shirt
Sortie : 3 janvier 2013 (France). Roman
livre de William T. Vollmann
bilouaustria a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
CRITIQUE
Outremonde (1997)
Underworld
Sortie : 1999 (France). Roman
livre de Don DeLillo
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Tout le vingtième siècle dans une balle de baseball ? L'Histoire (dont la course atomique) et l'histoire des petites gens. Avec comme nerf central une balle qui passe de mains en mains. La balle d'un match de légende. Don DeLillo, génie parano-visionnaire, décrit un monde trouble, ultra-complexe, froid comme le métal, et un roman rubiks-cube avec des faces partout et probablement un moyen de les remettre dans le bon sens. Un peu cérébral mais un des livres les plus marquants de la décennie. Terminé de le lire à NYC. #itsmyliiiiife
Ma part d'ombre (1996)
My Dark Place
Sortie : mars 1999 (France). Biographie
livre de James Ellroy
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Un des rares écrivains actuels à laisser à ce point une empreinte stylistique, Ellroy a une griffe, une sécheresse, le ton parfait pour étudier à saine distance le Los Angeles glauque des années 1950 et ses différents crimes. Au regard noir s'entremêle celui du fils qui cherche le fantôme de sa mère puisque "My Dark Places" est un très rare cas de "Non-Fiction Crime Story", l'essai de James Ellroy sur l'assassinat de sa mère Geneva en 1958 (il a alors dix ans). Sa mère qu'il appelle la Rousse devient une figure mythique, sorte de Dahlia Rouge venimeuse et irrésistible. Ellroy se jette dans l'exercice tête baissée, sans complaisance, revenant sur le meurtre assez froidement, puis sur son adolescence de délinquant avant de se lancer avec Bill Stoner, flic fraîchement retraité, sur les traces de la Rousse et de son supposé meurtrier. Les genres flirtent les uns avec les autres, la confession, le roman noir, le rapport de police dans ce qu'il a de purement administratif et déshumanisant. Ellroy réussit tous ces livres à la fois, dégageant une puissance dans l'écriture ainsi qu'une forme de vulnérabilité qu'on ne lui connaissait pas.
Les Détectives sauvages (1998)
Los detectives salvajes
Sortie : 2006 (France). Roman
livre de Roberto Bolaño
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Un club secret de poésie. Et puis un roman qui change plusieurs fois complètement de forme comme pour se réinventer (Bolaño l'avait-il d'abord pensé, comme 2666, comme plusieurs livres indépendants ?). Toujours est-il qu'on se lance pour une grande épopée et que nous voilà déjà arrivés. Le temps d'apprécier la simplicité confondante de ce style oral, coulant. Et le plus autobiographique des romans du maître. Le club très fermé des génies fin de siècle (DFW, Pynchon, Fresán) vous a réservé un fauteuil club.
Disgrâce
Sortie : 1999 (France). Roman
livre de J. M. Coetzee
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Apartheid. Des blancs et des noirs et des chiens. Et puis il y a une scène de viol et la vie après, qui est sale et violente et différente. Constamment sur le qui-vive. Une grande simplicité aussi, les sentiments à nu, la vie crue et la cruauté. L'Afrique du Sud d'aujourd'hui, la Disgrâce. Et un écrivain majeur qui avance comme une force tranquille, aussi fort que ses personnages sont fragiles.
L'Infinie Comédie (1996)
Infinite Jest
Sortie : 20 août 2015 (France). Roman
livre de David Foster Wallace
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Livre monstre, livre hors-norme, "Infinite Jest" est déjà, entre les éclats de rire, bien plus sombre, plus dépressif que prévu. DFW sourit parfois pour se donner le courage d'aller jusqu'au bout de cette entreprise folle. Son talent pour le story-telling et bien sûr pour le burlesque ne sont plus à démontrer. Aussi ici passe-t-on d'une histoire à l'autre, d'une école d'élite pour future star du tennis mondial (E.T.A) à un centre de réhabilitation pour drogués, Ennet House. Évidemment, pris entre ces deux maisons, on découvrira que les drogués et les jeunes talents sont les mêmes, que notre dépendance au succès, au divertissement, toutes nos différentes addictions font de nous des êtres constamment au bord du précipice, même sous le meilleur aspect. Que notre humanité, nos faiblesses ordinaires nous perdent. Mais IJ ne se résume pas, ne se laisse pas pitcher aussi simplement. C'est un roman post-moderne qui embrasse et refuse la narration traditionnelle dans un même mouvement. Il y a encore les AFR (Assassins en Fauteuils Roulants) canadiens. Cette mystérieuse cartouche qui serait le divertissement ultime (on en meurt de ne s'avoir s'en passer). Il y a encore cette homme qui reste collé à une vitre et finit en pizza quatre fromages. Cette famille décimée justement parce qu'elle avait appris les premiers secours. Ce père de famille qui termine la tête dans un micro-ondes. L'infinie comédie de Wallace nous laisse émerveillé et profondément insatisfaits, un sourire jaune barré en travers de la gueule, les yeux rougis (parce que c'est long, parce que c'est triste).
Les Cercueils de zinc (1990)
Cinkovye mal′čik
Sortie : juin 2006 (France). Roman, Document
livre de Svetlana Alexievitch
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Terrifiant. Alexievitch rend palpable à travers ces témoignages des concepts immenses et abstraits (la guerre, la patrie) et donne un visage à ces soldats sacrifiés en Afghanistan pour une guerre absurde. Ce sont surtout des mères russes qui parlent, de leur enfant parti au front et revenu dans un de ces cercueils de zinc. Ce sont les détails qui sont stupéfiants, tout ce qu'on trouve de poétique, de triste à pleurer, de vrai et simple et touchant dans ces détails qui distinguent ce texte d'un autre. Alexievitch écoute et met ses interlocuteurs dans les meilleurs dispositions. Ils ont tellement besoin de parler. Et l'on comprend bien sûr à quel point cette guerre est intime et concrète. Par les histoires des petites gens. Et puis l'âme russe (c'est peut-être un cliché oui) qui transparait dans les portraits de soldats qui tuent et citent Tsvetaeva, qui après avoir égorgé un enfant ou lancé une grenade sur un vieillard ramènent des tulipes à leur mère. Le livre inclut dans sa dernière partie des extraits du procès attenté à Alexievitch au moment de la publication de ces témoignages. Document passionnant, complexe, où l'on se renie volontiers mais où la vérité inacceptable n'en ressort que renforcée. On comprend alors aussi à quel point Alexievitch a pris des risques avec ce livre (et les autres) et la haine qu'elle déchaîne dans son pays.
Stone junction (1990)
Sortie : 12 mars 2008 (France). Roman
livre de Jim Dodge
bilouaustria a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
C'est préfacé par Pynchon et ça ne tarde pas à partir en vrille. Façon roman initiatique du grand n'importe quoi. Daniel Pearse devient membre d'une société secrète et apprend, pêle-mêle, la magie shamanique, le kung-fu, la philo, les principes essentiels d'alchimie etc. Pourquoi ? Parce que Jim Dodge nous concocte un final pas piqué des hannetons, légèrement anar'-Paulo Coelho-fantastique. Ce livre n'était pas forcément fait pour moi mais il ressemble à une de ces séries tellement cool où on laisse ses dernières réserves au placard après deux saisons pour juste foncer tête baissée vers le... Vers le ? Je dis rien.
De si jolis chevaux (1992)
La Trilogie des confins, tome 1
All the Pretty Horses
Sortie : 1 avril 1993 (France). Roman
livre de Cormac McCarthy
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
En lisant McCarthy on a le sentiment dès les premières pages de connaître le programme : un western sec et violent avec des personnages taiseux. Et c'est précisément ce que "De si jolis chevaux" propose, accompagné d'un voyage initiatique. Nos héros ont 16 et 17 ans et quand ils passent à cheval la frontière du Texas vers le Mexique, ils ont encore le coeur léger. Evidemment le pire les attend. La splendide nature offre un cadre épique au drame à venir. McCarthy dit souvent tout en peu de mots, ses dialogues se limitent au strict minimum, tout est dit dans les gestes, les corps parlent quand ce ne sont pas les armes. On sait peu du passé des personnages, on vit chez lui dans un présent continu. La vie et ses besoins semblent se réduire au plus basique, l'homme face aux éléments et face à lui-même, à ses actes, à sa morale. Une pureté se dégagent enfin des événements, avec aucun sentimentalisme, face à l'amour ou la mort.
Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas (1990)
Kaddis a meg nem született gyermekért
Sortie : 1995 (France). Roman
livre de Imre Kertész
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
J'avais lu Kertész il y a une dizaine d'années mais mes souvenirs dataient et je n'avais plus une image claire de son style. "Kaddish" a ce mérite d'immédiatement situer le prix Nobel hongrois : il fait partie des successeurs/héritiers de Bernhard, usant de longs monologues qui agissent comme des marées, pour se raconter, mais aussi pour cracher sa haine au monde - dans un état il faut bien le reconnaître de légitime défense (c'est le monde qui a commencé). Donc 140 pages d'un bloc, pas de paragraphe, pas de respiration, une vie qu'on essaie de traduire en mots, avec des hésitations, des répétitions, un bafouillage symphonique en quelque sorte. Il y a soit disant un deuxième personnage qui accompagne le narrateur, qui lui renvoie la balle, qui sert de contrepoint, mais c'est bien une affaire de solitude ce livre, la solitude d'une vie après les camps qui est une longue souffrance, et que seul le travail soulage : l'écriture, les suites de mots qui apaisent un peu, même quand ils disent l'impossibilité d'aimer, l'impossibilité d'avoir un enfant.
Ciné journal, tome 1
Sortie : 7 avril 1998 (France). Articles & chroniques, Cinéma & télévision
livre de Serge Daney
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Voyager, aimer des films, c'est un peu la même chose nous explique Daney. Puis il parle de films, et puis encore mais mieux, toujours, et puis il fait des listes, et puis il tape sur sa télévision. Et puis il analyse VGDE qui dit "au revoir". Un peu notre maître à tous. Un rêve de livre, celui qu'on voudrait oublier pour le réécrire et croire une seconde qu'on en a eu l'idée.
Nous étions les Mulvaney (1996)
We Were The Mulvaneys
Sortie : janvier 2009 (France). Roman
livre de Joyce Carol Oates
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
L'explosion en vol d'une famille américaine. Ça commence par des pages de bonheur, c'est presque la petite maison dans la prairie, on sent que l'Amérique c'est un peu le paradis sur terre, et puis cette grande ferme, pleine à craquer d'enfants et d'animaux... À la fin des années 1970, au cours d'une fête un peu trop arrosée, la fille Marianne, 17 ans et reine de beauté, se fait violer par un camarade du lycée. La suite c'est 400 pages et douze ans de déliquescence, de cauchemar absolu, de dettes, de rancoeurs, de revanche, de dépression et d'alcoolisme. Avec le président Carter en toile de fond : un homme qui déchante. La gueule de bois, JCO l'écrit admirablement, dans les détails et le soin (le temps) qu'elle met à détricoter cette famille, membre par membre, tous pris dans les tabous et le malaise que "l'événement" aura laissé entre eux. Silence terrible qu'on préfèrera toujours - la plaie n'en est que plus béante. Passionnant le parcours de chacun face au drame, les décisions, la culpabilité, les compensations absurdes. Passionnant aussi de voir comment la société (la justice) se désintéresse dans une certaine mesure de ces histoires mais comment la ville grouille de rumeurs qui salissent la famille toute entière. Le viol, une tâche indélébile sur les six Mulvaney, parents et enfants.
No Logo (1999)
La tyrannie des marques
Sortie : 2001 (France). Essai, Culture & société
livre de Naomi Klein
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
No Logo est une enquête en 4 grandes parties sur la toute puissance des grandes marques. Dans No Space, Naomi Klein analyse des campagnes de publicité et détaille l’omniprésence des marques, le fait par exemple que Pepsi ou d’autres sponsorisent des écoles et des universités américaines et anglaises. Ensuite vient No Choice, sur les conditions de production et le traitement des employés, en particulier dans les Sweatshops asiatiques. On y fait aux Philippines ou en Indonésie des tests de grossesse à l’entrée de l’usine pour virer les coupables… Tristes tropiques. La troisième partie, No Job évoque entre autres le phénomène des stagiaires et de forces de travail pas ou peu rémunérées. Enfin No Logo qui se consacre aux mouvements altermondialistes et moyens de révoltes contre cette nouvelle hégémonie ; les marques et la corruption (en Myanmar par exemple). Klein est canadienne et prend beaucoup d’exemples tirés de son expérience à Toronto. L’essai est une somme assez colossale sur le sujet mais aussi un livre pertinent, bien écrit, où Klein voyage, va sur le terrain rencontrer les exploités pour leur donner une voix. 25 ans plus tard, rien ou presque n’a vieilli, si ce n’est la touche d’espoir qu’elle veut insuffler dans les dernières 100 pages et qui paraît bien loin aujourd’hui - les marques sont des multinationales aux budgets daignent des PIB de petits pays et qui écrasent tout sur leur passage.
Bleu éperdument (1990)
Squandering the Blue
Sortie : janvier 2015 (France). Recueil de nouvelles
livre de Kate Braverman
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Il y a des auteurs à qui on reproche parfois d'écrire toujours le même roman (mais non Patrick, ne prends pas tout personnellement !) et puis il y a Kate Braverman et son recueil si étrange et presque hypnotisant "Squandering the Blue". Braverman, à la manière d'un Hong Sang-Soo écrit des nouvelles qui se juxtaposent et semblent rimer entre elles, il y a des mots clés, la couleur bleue, Hawai et Los Angeles, certaines plantes exotiques comme le frangipanier, et des thèmes comme l'addiction (drogues mais plus souvent alcool), des femmes au bord du désespoir, des relations familiales au point mort, une langueur, une errance. L'écriture est sensuelle, venimeuse, la mélancolie très poétique. Mais c'est ce travail sur la répétition et les infimes variations, au long de onze nouvelles toutes cousines les unes aux autres, qui donne une dimension expérimentale et vertigineuse à ce "Bleu éperdument" superbement traduit. Braverman éclaire par sa démarche le travail d'écriture et ce n'est pas un hasard si ses personnages sont obsédés par la poésie et la littérature.
Pastorale américaine (1997)
American Pastoral
Sortie : 23 avril 1999 (France). Roman
livre de Philip Roth
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Je ne voudrais pas avoir l'air de faire la fine bouche. Le roman est extrêmement puissant dans sa première moitié, Roth pose ses thèmes, et surtout son personnage Swede, ce héros modèle parfait de l'accomplissement d'un American Way of Life rêvé. On est dans le mythe. Mais voilà, il y a la fille en forme d'anti-thèse, et l'attentat qui va détruire une vie (non, plusieurs vies) avec cette question qui hante tout le livre : pourquoi ? Cette partie m'a absolument passionné. Comment une famille parfaite enfante un monstre ? Dans quelle mesure est-elle un monstre ? À qui doit-on donner raison ? Surtout : est-ce qu'un trop plein de positif produit du négatif ? La perfection américaine, à vouloir toujours pousser plus loin le curseur, aurait enfanté une créature qui vient bien de là, des concours de beauté et du conservatisme ambiant. Parfait. Mais Roth semble rencontrer un mur aux deux-tiers du livre. Les enjeux peinent à se renouveler, les dialogues semblent se répéter, les parties du roman misent bout à bout ne se transcendent pas pour former quelque chose de supérieur. C'est presque pénible et difficile à accepter : qu'un livre aussi riche et prometteur ne puisse atteindre tout à fait les sommets entrevus. C'est parce que Roth est tellement bon qu'on en attend encore plus de lui !
Loin d'eux
Sortie : 1999 (France). Récit
livre de Laurent Mauvignier
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
À travers une suite de monologues intérieurs au rythme heurté, Mauvignier écrit un premier roman très littéraire, plein de béances et de non-dits. Le lecteur devra activement combler les trous pour comprendre peu à peu ce qui a mené ce jeune homme à un suicide qui n’est jamais explicitement nommé. Il étouffait dans cette famille ordinaire, dans ses silences, dans son quotidien peut-être un peu médiocre. Il y a de l’amour sûrement mais lui se sentirait mieux loin d’eux. Et puis non : à Paris, c’est une autre forme de solitude, la vie nocturne des bars, il marche, évite les regards des autres, collectionne les affiches de cinéma. Déjà, la vie n’existe plus que sur papier glacé, quelque chose s’est perdu en route. Bientôt elle ne fera plus de sens. Il y a eu l’accident de Jaïmé aussi. La douleur des autres. Sa colère. Il n’était pas à l’enterrement. Les gestes bienveillants le blessent. Et ces voix côte à côte sont comme imperméables, l’amour ne passe plus, chacun vit dans une bulle, incapable d’aider son prochain. La beauté du roman tient sûrement aussi dans la part de mystère qui perdure : Mauvignier a le bon goût de ne pas vouloir absolument tout résoudre.
Ermites dans la taïga
Sortie : mars 1992 (France). Récit
livre de Vassili Peskov
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Une histoire de Robinson Crusoé ou presque. Lors d’une expédition en Sibérie, des scientifiques découvrent une famille qui vit dans la taïga, isolée du monde depuis près de quarante ans ! Religieux, ils se sont volontairement mis à l’écart d‘un monde corrompu et survivent en péchant dans la rivière, croisant des ours et marchant pieds nus dans la neige par -20 degrés. Les parents ont quitté la civilisation dans les années 1940 mais les enfants sont carrément nés dans la forêt et n‘ont jamais vu un humain de leur vie… Dingue ! Peskov est journaliste à Moscou et publie les aventures de cette famille hors du commun en feuilleton dans un journal, à mesure qu’il apprend à les connaître et s’attache à eux et à leur langue et leurs habitudes étranges. La Russie se passionne pour leur vie marginale. La petite dernière qui a quasiment quarante ans et est la plus attachante et surprenante. Le livre n’est pas hors du commun dans son écriture (sobre) ou son traitement (respectueux, cherchant la juste distance) mais évidemment de par son thème. On s’attache et chaque détail a une saveur particulière parce qu’on voit les choses avec leurs yeux et notre monde comme pour la première fois.
Les Dépossédés (1992)
Sortie : mai 2007 (France). Roman
livre de Robert McLiam Wilson
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Les dépossédés ce sont eux, les oubliés, les pauvres, les démunis d'Irlande, du pays de Galles etc. Photos à l'appui, on les suit, le temps de portraits au près des rides au coin des yeux, des chaussures sales et des haleines plus très fraîches. La Non-Fiction dans ce qu'elle a de plus fort, de plus direct et efficace. Probablement un livre qui a plu à Volmann.
Le Journaliste et l'Assassin (1990)
The Journalist and the Murderer
Sortie : 2013 (France). Récit
livre de Janet Malcolm
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Où il est question d’éthique et de déontologie. Le fait d‘hiver est stupéfiant : Jeffrey Mac Donald est accusé du meurtre de sa femme enceinte et de ses deux filles. Le célèbre écrivain et journaliste entend parler de cette histoire et contacte Joe Mc Ginnis pour rejoindre son camp et préparer un livre pour le défendre. Ou du moins présente-t-il le projet ainsi. Après 4 ans auprès de Mac Donald, de nombreuses lettres, des larmes, Mc Ginnis sort son best-seller. Il avait joué la comédie tout du long. Son seul but étant de manipuler l’accusé pour obtenir de lui de juteuses confidences. Mais l’incroyable arrive alors : depuis sa prison, Mac Donald intente un procès à Mc Ginnis ! L’arroseur arrosé. Et les faits parlent vite pour lui. Mc Ginnis a fait preuve d‘un profond cynisme et personne ne peut plus le défendre. Janet Malcolm retrace en détails le procès, les lettres, et analyse ce cas à la loupe et avec beaucoup d’intelligence. À partir de quand un journaliste séduit ou manipule ? N’est-ce pas le propre de la plupart des relations ? Rappelant par moments la relation ambigüe qui avait lié Capote à Perry Smith, The Journalist and the Murderer est court mais passionnant du début à la fin.