Journal de mini-critiques (lectures)

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3 livres

créée il y a environ 7 ans · modifiée il y a environ 7 ans
L'énigme des premières phrases
7.5

L'énigme des premières phrases (2017)

Sortie : 1 mars 2017 (France). Essai

livre de Laurent Nunez

Philistine a mis 7/10.

Annotation :

Aventure analytique dans des premières phrases célèbres, qui a pour conséquence logique de rendre paranoïaque du signifiant : bonne chose. Les analyses ne sont pas égales dans leur traitement, certaines sont plus strictement littéraires (Racine), et la majorité renvoie les termes littéraires à des événements de la vie de l’auteur. Ainsi, l’ouvrage tourne souvent à l’anecdotique – pourquoi pas. On se demande comment Nunez peut consacrer autant de temps à une paranoïa sémantique et lâcher des phrases aussi prétentieuses que, par exemple (en fin d’introduction) : “Voici donc la vérité : il faut relire les chefs-d’oeuvre, parce que jamais personne n’a vraiment lu de chef d’oeuvre”. Nunez contamine progressivement l’objectivité apparente de son essai, jusqu’au point d’orgue, un long chapitre sur un poème d’Aragon, mineur et fort ennuyeux, dans lequel Nunez, très fier, a détecté un octosyllabe au milieu des heptasyllabes. L’anomalie de l’octosyllabe, il est vrai, semble consciente, mais n’est pas bien signifiante, en raison du contenu même du vers, assez pauvre : c’est une énumération, “jalouse et songeuse”, qui le rallonge. Pour moi, on dirait qu’Aragon, désespéré par la platitude de son poème, a voulu donner un peu de relief, mais il s’agit plutôt d’une blague pour les amis attentifs que d’une révolution poétique. Nunez parle d’ailleurs bien des clichés qui entourent Aragon, dont “la légendaire rapidité d’écriture” induit qu’on se demande : “pourquoi lire longuement ce qui n’est pas écrit ainsi ?” Alors pourquoi ne pas aider Aragon et montrer sa valeur ? Pourquoi s’appesantir sur un poème pareil (qui n’est même pas au début du recueil) ? Parce que Nunez a fait une découverte ! Et, dès lors, qu’importe, l’auteur Aragon ou l’auteur Nunez ? L’analyse de Jean-Benoît Puech est également bien fière, on y apprend, entre autres, et comme si cela nous intéressait, que Nunez a envoyé un mail à l’écrivain, “hier”, pour avoir plus d’informations sur un détail, et que ce dernier lui a répondu “ce matin” : il faut comprendre qu’ils se connaissent. Ce n’est pourtant pas parce que l’auteur est vantard et a un goût prononcé pour les anecdotes que l’ouvrage est mauvais. Au contraire, cela apporte une nouvelle dimension, inévitable à toute lecture de recherche, et exacerbée ici : la personnalité de l’auteur s’affirme et raconte une autre histoire ; et cette personnalité est d’autant plus décelable que l’auteur ne fait que nous parler d’indices sémantiques. Bon roman.
Lu le 05/09

Fief
7.3

Fief (2017)

Sortie : 17 août 2017. Roman

livre de David Lopez

Philistine a mis 8/10.

Annotation :

Absence d’enjeu : le roman ressemble, formellement, à ce qu’il exprime. Dans un contexte de baraques dans une banlieue campagnarde, manque total de volonté, qui ne correspond pourtant pas exactement à de la dépression. Simplement aucun élan vital, pas d’inquiétudes des lendemains, et un manque de perspectives qui semble plutôt lié à une absence de curiosité qu’à un empêchement venant de l’extérieur. Zoner toujours aux mêmes endroits, avec les mêmes personnes, depuis sa naissance, forcément, c’est réduire son monde. Il y a une claustrophobie dans ce roman qui s’installe lentement et qu’on découvre lorsque la bande de potes fait une excursion dans une ville voisine pour aller rencontrer des filles dans un bar. On s’était tellement habitués aux potos qu’on avait oublié à quel point on s’était isolés entre nous, et même à quel point on pouvait faire peur. (Cette scène me fait penser au moment de la bouche d’égout dans Le Trou de Jacques Becker, c’est le bref aperçu d’un autre monde qui n’est pas pour tout de suite.)
Fief est construit sur une succession de tableaux focalisant sur des descriptions techniques et poétiques d’événements quotidiens (ce en quoi, peut-être, il me fait penser aux films d’évasion) : rouler un joint, jouer aux cartes, s’échauffer pour le sport, faire de la boxe, voir un match de foot, faire un cunnilingus, faire un feu de forêt, etc. Les tableaux tiennent ensemble très justement, car il y a quand même un fil rouge (ce manque de volonté) et si, techniquement, on pourrait retirer un chapitre, ou en rajouter un, sans que le roman ne s’effondre, il y a une justesse dans le choix de ces scènes et de leur succession qui ne donne pas envie d’y toucher. C’est un roman qui fait la nique aux intrigues, qui affirme une autre définition : le roman comme un assemblage artificiel, construit, conscient et pesé de mots et d’observations fines, qui se distingue de l’essai en ce qu’il ne cherche pas à démontrer une idée, mais à raconter la complexité.
Lu les 04-05/09/2017.

Ravel
7.4

Ravel (2006)

Sortie : janvier 2006. Roman

livre de Jean Echenoz

Philistine a mis 5/10.

Annotation :

Le sujet est désespérément facile (je ne peux m’empêcher de lire, en ce moment, dans ma perspective : cherchant moi-même à écrire un roman). D’emblée, le lectorat est “acquis”, puisqu’il s’agit du récit des dernières années de la vie de Ravel, une célébrité de la musique. Cela fait partie de l’histoire du monde. Il y a cette garantie : plus vous lisez, plus vous apprendrez. Des événements vrais, authentiques, qui ont eu lieu dans le réel, il est évident que vous voudrez les connaître, qui serait contre en savoir un peu plus sur notre histoire ?
Anecdote sur anecdote, le personnage Ravel prend forme, aidé par Echenoz qui comble les trous. On pourrait presque aussi bien lire une entrée d’encyclopédie. Le style serait plus étouffant, certes, mais on s’en souviendrait à peu près de la même manière. A une légère différence près, qui tient du travail de l’écrivain : une atmosphère de tristesse et de dépression, qui tentent en vain d’être contenues. Tout est acquis pour Ravel, qui parcourt le monde sous les ovations, a suffisamment d’argent pour faire ce qu’il souhaite, et n’est même plus forcé d’écrire de nouvelles oeuvres, car il a déjà assez produit pour être considéré comme l’un des grands noms de la musique ; mais tout, ce n’est plus assez. Il est tellement fatigué et ennuyé qu’il n’a même plus envie de lire, or lire est notre salvation ! Et grâce à tout ce qui est écrit autour, j’ai compris pourquoi, j’ai compris que c’était possible de ne pas avoir envie de lire.
Cependant, comme de coutume, je ne vois pas bien l’intérêt de parler des choses déprimantes, je ne comprends pas ce qui peut amener un écrivain à envoyer à la face de ses lecteurs un simple coup de spleen. Je ne comprends pas le choix du sujet, ou bien au contraire, je le comprends un peu trop bien : la facilité d’un personnage, d’anecdotes, et d’un intérêt acquis. On dirait une commande. Le style est sobre, précis, tenu, mais on ne lit pas des phrases pour lire des phrases, pardieu.
Lu le 03/09/2017.

Philistine

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