Diviser pour mieux regner
Comme toujours dans l'Histoire, les révolutions sont condamnées à subir les mêmes échecs et viennent confirmer l'adage de Tancrédi dans Le Guépard: « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change ».
Car on peut bien parler de révolution dans le cas de l'émancipation des Noirs aux Etats-Unis, et ce pour plusieurs raisons, la première étant la plus triste, l'esclavage, qui après avoir constitué aussi bien le pouvoir politique qu'économique des quelques familles aristocratiques du Sud, et permis le développement du capitalisme au Nord comme dans le reste du monde, n'était désormais plus rentable et devenait également une menace pour les capitalistes du Nord qui voyaient d'un mauvais œil la constitution d'une flotte indépendante afin de commercer directement avec les britanniques. Il s'agit également d'une révolution sociale, étant donné que contrairement à ce que les dernières croûtes hollywoodienne aimeraient le faire entendre, cette émancipation n'est le fait exclusif ni du législateur, ni du gentil Brad Pitt blanc compatissant, mais surtout des masses Noires qui ont joué un rôle de poids dans le courant abolitionniste radical et révolutionnaires, ainsi que dans la Guerre de Sécession.
On peut alors parler d'une révolution inachevée dans la mesure où la Guerre de Sécession ne permit pas de mettre en place un nouvel ordre économique et social mais au contraire a rétablit, sous le regard complaisant des élites du Nord, les anciennes élites blanches du Sud qui mirent en place l'arsenal politique qui opprima aussi bien les noirs nouvellement affranchis que les classes populaires blanches, en jouant sur la carte du suprématisme blanc pour mieux diviser ces deux classes qui au sortir de la Guerre de Sécession entretenaient une rancœur tenace contre les riches propriétaires d'esclaves. Cela en expliquant que le racisme avait toujours été chose naturelle aux Etats-Unis, qu'il est à l'origine aussi bien de l'esclavage que de la Ségrégation, comme si les quelques milliers de km séparant l'Amérique de l'Afrique n'étaient pas suffisant pour séparer les populations blanches des populations noires... En réalité, le racisme et le suprématisme blanc ne sont utilisés utilisés que comme une justification idéologique de l'esclavage ou de l'oppression des masses noires, mais n'en constituent aucunement le fondement.
On constate même que dès que les classes populaires blanches et noires s'allient pour faire cause commune contre l'oppression elle construit de sérieuses menaces contre les élites dirigeantes: au début de la Reconstruction, lors de la constitution du Mouvement Populiste à la fin du XIXe siècle qui échoua car il ne faisait campagne que dans le Sud et pour les agriculteurs, dans le syndicalisme révolutionnaire via l'IWW avant que les syndicats ne furent définitivement achevés par la politique sociale de FD Roosevelt, au sein du parti communiste (première organisation de masse complètement déségréguée) avant que celui-ci fut ravagé par le stalinisme dès la seconde moitié des années 30, etc. En revanche, lorsque la solidarité de classe entre Blancs et Noirs n'est plus à même de fonctionner, le séparatisme ou l'assimilationnisme réformiste sonne bien trop souvent l'échec des mouvements noirs (la politique de MLK puis celle de Malcolm X, les mouvements révolutionnaires types Black Panthers, etc. ). En effet, comment accuser les nationalistes et séparatistes noirs (mouvement extrêmement vaste, qui va de l'extrême gauche jusqu'aux partisans de la constitution d'un capitalisme noir) de ne pas participer aux organisations politique blanches lorsque la plupart d'entre elles pratiquent ouvertement la ségrégation, de façon institutionnelle ou bien informelle?
Les moments d'alliances entre Noirs et Blancs incarnent alors de vrais instants révolutionnaires, c'est pourquoi les classes dominantes utilisent le suprématisme blanc dans le but de faire s'opposer noirs contre classes populaires blanches; la question du racisme a toujours été mise en avant pour expliquer l'échec du syndicalisme interraciale or il ne faut pas accuser les travailleurs blancs lorsque toutes les institutions les plus importantes de la société œuvraient de concert pour consolider la suprématie blanche. La limitation des droits des noirs a toujours été utilisée à la fois comme concession aux classes populaires blanches, mais également pour leur limiter à eux aussi leurs propres droits: ainsi les black codes mis en place dès la Reconstruction, limitant la mobilité du travail des noirs nouvellement affranchis s'appliquait également aux blancs les plus pauvres, plus tard, les limites de droits civiques des noirs appliqués par les lois Jim Crow limitaient également les droits de certains blancs, on remarque de même que dans les villes où les différences de salaires sont les plus grandes entre travailleurs blancs et travailleurs noirs, les inégalités entre classes dirigeantes et classes populaires sont d'autant plus marquées. Cette dégradation des conditions de vies des Blancs pauvres alimente alors dans un cercle vicieux le racisme étant donné qu'ils ne peuvent accepter de vivre dans les mêmes conditions que les noirs, leur colère est encore une fois dirigés contre eux et non plus contre l'oppression.
Si les choses ont quand même beaucoup évoluées entre la fin du XVIIe siècle (date à partir de laquelle il devint plus rentable d'acheter un esclave que d'engager des travailleurs sous contrat) et aujourd'hui, la révolution reste toujours inachevée et le racisme resurgit toujours lorsqu'il devient nécessaire de diviser les classes populaires, c'est pourquoi la question noire doit être confrontée à celle de l'oppression en général, d'où l'intérêt de croiser l'histoire des mouvements de libération noirs avec celle, non moins importante, de la gauche américaine.