Une bande de jeune rockeurs de Zagreb que la fin de la Yougoslavie va séparer. Une lycéenne qui se prend, suivant ses lectures, pour Che Guevara, Rimbaud ou Bukowski, pour fuir mentalement la monotonie des villes de province. Une petite fille de Vukovar qui livre son regard d’enfant sur l’irruption de la guerre dans son quotidien. Et un jeune homme inquiétant à la recherche d’une cause romantique dans laquelle se jeter.
Ce qui saute d’abord aux yeux dans ce récit, c’est le regard que porte le narrateur sur ses personnages. Lucide sur eux-mêmes, il ne manque jamais une occasion de les égratigner (le plus souvent à la première personne) tout en prenant soin de ne pas tomber dans la parodie, et sans amoindrir pour autant l’empathie qu’ils suscitent. Leur orgueil, leurs compromissions, leur naïveté se déploient tout au long du roman et leurs trajectoires individuelles, en se croisant, tisse le portrait d’une jeunesse qu’étouffent les frustrations, et avide d’idéaux.
J’ai été marqué par la description de Nevers qui pourrait-être n’importe laquelle de ces villes de province, avec leurs sous-préfectures, leurs chambres de commerce, leurs agences du crédit mutuel et leurs classes moyennes, dans des banlieues pavillonnaires. Dans ces maisons, des adolescents trompent leur ennui en rêvant d’une solidarité fantasmée avec les jeunes de cité, les punks britanniques, les poètes maudits ou les damnés de la terre.
« Mais malgré notre maire, ministre des Finances de la France entière, malgré la télévision, Nevers restait Nevers, l’ennui gonflait à mesure de mes rêves d’émancipation, de mes envies de liberté, à mesure que je prenais conscience que mes poèmes ne sortiraient jamais des quatre murs de ma chambre et que je n’insufflerais jamais le vent de la révolution punk sur la scène poétique française. »
La conclusion, logique, ne verse ni dans le pathos ni dans le happy end. On regrettera peut-être les trop nombreux non-dits dans la trajectoire des personnages, mais je trouve que ces flous permettent de maintenir une vision dynamique de leur parcours et a le mérite de ne pas les essentialiser, en les ramenant à des moments-clés. Au contraire, tout se passe par petites touches, par changements d’attitudes imperceptibles mais graduellement croissants, jusqu’au tableau final.