Emporté comme je l’ai été par le premier tome, je ne pouvais que tenter de transmettre mon ressenti le plus précisément possible. Dans ce second tome suivant directement le précédent, nous retrouvons Lespalettes dans son enquête pour élucider le meurtre d’Alice, avec cette fois une présentation plus approfondie des parcours de vie de Laureanne et Lawrence ainsi que le début de la relation entre Lawrence et Alice.
Je pense que cela a déjà beaucoup été dit lors de la sortie du précédent opus, mais j’aimerais d’abord parler du côté hors norme de ce livre. A mille lieux des propositions formatées et superficielles qui emplissent les rayons des librairies et ne racontent pas grand-chose, on trouve ici un tableau en tout point crédible de nombreuses trajectoires de vie d’origines sociales et de préoccupations différentes. Le livre est aux antipodes de la tendance actuelle faisant trop souvent passer la forme avant le fond pour masquer un manque de choses à dire, un manque d’exigence, un désir narcissique d’être reconnu et une ignorance des préoccupations concrètes du quotidien (au-delà d’une certaine bulle « CSP+ »).
Ce second tome conserve les nombreuses qualités du premier. C’est clair, drôle et profond à la fois. On retrouve cette France dont on se souci trop peu et qui est pourtant au cœur de l’esprit de cette époque et du déclassement de presque toutes les catégories sociales. On navigue avec plaisir dans une galerie de portraits de vie plus étoffés encore que dans le premier tome. J’ai retrouvé ces personnages que j’avais laissé il y a deux ans déjà et, après quelques pages pour reprendre le fil, j’ai constaté qu’ils attendaient tous dans un coin de ma tête leur nouvelle vie. On se reconnait souvent, des fois de façon positive et d’autres fois de manière moins flatteuse, mais c’est ce qui rend ces parcours de vie si réalistes et si vivants.
Ce livre parle également de la difficulté de la recherche de liberté et d’intégrité dans notre société. Chacun tâtonne à sa manière mais bien peu présentent la force de caractère, la ténacité et le courage de véritablement tendre vers ce but, là où la plupart se contentent de plus en plus de compromis au fil des ans. Le refus du compromis est véritablement au cœur de l’ouvrage et nous est présenté comme une quête personnelle vers laquelle chacun peut tendre à sa manière, malgré les barrières psychologiques et sociales individuelles. On découvre une relation dans toute sa beauté et sa simplicité, la plus éloignée possible des notions morales imposées ou des carcans quels qu'ils soient. Une relation animée par une recherche exigeante d'honnêteté, une confiance pleine et entière et ne s'encombrant par conséquent d'aucune retenue, d'aucun tabou dans la recherche du plaisir à deux.
On pose souvent le livre, pas par ennui ou lassitude, mais pour méditer et s’imprégner de certains passages qui sonnent juste et profond. C’est un livre qui fait ressurgir des pensées là depuis des années mais auxquelles on doit s’avouer ne plus trop avoir le temps de penser. Il nous amène à réfléchir à la notion de liberté et aux formes concrètes de l’utilisation de son corps et de son temps pour rester au plus proche de cette exigence. Il nous pousse également à réfléchir à la notion de sens, à ce qui reste et qui compte au milieu de l’infinité des trajectoires de vie. Pas seulement le bien, le « raisonnable » mais tous les autres aspects également. C’est un rappel à essayer de rester un « orpailleur du quotidien » (celle-là est de Damasio, héhé) pour ne pas laisser passer les moments rares et précieux mais au contraire les saisir et s’imposer une exigence intérieure de chaque instant.
Forcément, tout ne peut pas plaire et ne doit pas plaire dans un livre présentant une telle diversité de tons et de propos. On jubile, on s'exaspère aussi parfois, mais on se sent véritablement en face d'une proposition entière et sans concession, toute entière préoccupée par une recherche d’intégrité et de vérité. Ça fait plaisir de ne pas se sentir en face d’un produit où tout n’est pas finement calibré dans le seul but de plaire au plus grand nombre et ne surtout pas froisser qui que ce soit. J’ai par exemple regretté que l’influence grandissante du numérique dans nos vies, déjà très présente avant même la crise sanitaire avec la pornographie en ligne et l’uberisation de la prostitution, ne soit pas davantage mise en lumière. Ce changement sociétal majeur donne parfois un côté anachronique à l’ouvrage, où les bars à champagne font penser aux derniers cinémas érotiques de France.
Depuis le tome précédent, je reste aussi sceptique et légèrement agacé par les tirades de Shéhérazade (je n’ai jamais entendu personne énumérer autant d’argot en si peu de phrases) mais même son parcours et son récit restent intéressant et crédible. Je reste également peu convaincu par une tendance énumérative assez marquée des possessions matérielles. Comme si la recherche d’une reconnexion avec une volonté et une exigence ne pouvait également venir d’un bivouac en montagne ou d’une promenade dans une ruelle en pleine nuit, même si cette ville n’est pas Venise... On ressent parfois lors de ces énumérations le sentiment de volume pour le volume ce qui est à l’opposé du message il me semble.
Malgré ces points mineurs, je tiens à souligner que je trouve ce tome encore meilleur que le tome précédent, peut-être grâce à une partie « polar » beaucoup moins déconnectée du reste de l’ouvrage et d’une présentation plus approfondie et moins manichéenne de certains personnages comme Laureanne. C’est un livre qui, au-delà de tout, sonne juste, vrai et dont on ressent les mots longtemps après avoir refermé les pages. Un livre qui donne espoir dans la capacité de l’Homme à s’élever au-delà des routines abrutissantes et des compromis constants. Un rappel à ne jamais abaisser ses prétentions au niveau d’une réalité insatisfaisante.