Quand j'ai dit à un ami russe qu'en ce moment je lisais Gorki, il s'est exclamé : "Hein ! L'écrivain de la propagande !" et j'ai été assez surprise par son verdict qui semblait sans appel.
Certes, je n'avais pas encore eu l'occasion de m'intéresser à cet auteur bien qu'ayant déjà parcouru quelques belles pages de la littérature classique russe, et je me suis donc intéressée à la biographie de Maxime Gorki avant d'entamer ce récit autobiographique dont le titre semble en effet évoquer tout un programme, "En gagnant mon pain".
Ce que j'ai découvert, c'est que Gorki fut un écrivain engagé très tôt aux côtés des bolcheviques de la première heure. Proche de Lénine (puis de Staline), il connut en effet la lutte politique et l'exil, avant d'être promu archétype vivant de l'auteur soviétique, ce qui ne l'a pas empêché de mourir dans des circonstances qui posèrent question, puis d'être enterré en grande pompe aux frais de l'URSS. Mais un homme qui est né en 1868 a connu bien des expériences avant la chute des tsars...
"En gagnant mon pain" est l'un des volumes qu'il consacre entièrement à l'évocation de ses souvenirs d'enfance. Publié en 1915, on n'y trouve aucune revendication politique mais la peinture sociale du monde dont il était issu : celui des petites gens, fort nombreuses en Russie (et c'est toujours hélas d'actualité). Donc non seulement, on ne risque pas d'y lire quelque propagande que ce soit (en tout cas, moi, je n'en ai pas trouvé et j'ai rassuré Irina sur ce point), mais on y découvre avec intérêt la vie quotidienne d'un panel varié de Russes, de sa grand-mère vivant de la cueillette forestière (ce qui est encore le cas d'une partie de la population russe aujourd'hui, je peux en témoigner), à ses patrons, ses camarades, ses "petites amies", etc. Du roman d'apprentissage plus vrai que nature.
On retrouve ainsi avec sensibilité et réalisme, le tout dans un style plus qu'accessible et plaisant, le rapport particulier des Russes à la nature, à la foi, à l'alcool, au destin et... au système D (là encore je peux témoigner qu'il en est toujours de même de nos jours). Mais ce qui m'a surtout marquée, c'est l'insistance pleine de saveur de l'auteur sur sa découverte de la lecture et de la littérature, et de l'évasion qu'elles procurent. Le jeune Alexei - Gorki s'appelait en réalité Alexis Pechkov - m'a touchée par son obstination à lire malgré les obstacles de son milieu natal. J'y ai vu un appel à s'instruire et à persévérer dans la connaissance pour s'extraire de la misère. Alors, si c'est ça qu'on appelle "propagande", elle n'est certainement pas à craindre, formulée ainsi.