Sans nier que le sujet traité est à la fois triste, émouvant et malheureusement banal, l'avantage des récits au style plat, c'est qu'ils sont faciles à lire, on les lit un peu comme une liste de courses.
Ce qui est surprenant, par contre, c'est que l'auteur soit écrivain, car les seuls moments stylistiquement réussi, c'est quand elle cite des passages empruntés à sa mère, Benoîte Groult.
Ce qui m'a dérangée dans le récit, c'est que la maladie de la mère semble vécue, un peu tout de même, sur un mode narcissique, on se croirait chez des grands bourgeois où règnent l'ego et les apparences.
Quand elle dit de sa mère, que c'est encore pire pour une "reine du monde" que pour une femme "ordinaire" d'être touchée par cette maladie, c'est étrange. Je comprends ce qu'elle veut dire évidemment.
Quelqu'un qui a été un intellectuel, et qui perd ses facultés au point d'avoir le QI d'un enfant, c'est triste, mais finalement ce n'est pas plus tragique que pour n'importe quel être humain.
Et nous devons faire le deuil des compétences qui ont semblé définir l'individu lorsqu'il était à l'apogée de ses capacités. Pour se mettre à aimer l'individu dans son essence, nu et dépouillé.
Si une mère a un enfant extrêmement brillant, et qui, à la suite d'un grave accident, voit ses capacités cérébrales diminuées et lui donner une pensée rudimentaire, est-ce qu'elle passera son temps à regretter la personne qu'il n'est plus, ou se concentrera-t-elle plutôt sur le fait de lui offrir un maximum de sécurité affective, et d'être dans l'acceptation dévouée, pour faire de ses derniers temps sur Terre des instants de douceur et de réconfort, témoignage de son amour (et même si la personne y semble devenue indifférente, l'amour se donne parce qu'on aime, pas parce qu'il est reçu).
Même si les compétences cognitives sont amoindries, la personne est toujours elle, elle reste présente, et l'essence des liens affectifs noués avant la maladie perdurent.
Les Alzheimer ont beau être tour à tour paranos et agressifs, mais pas en permanence, il y a aussi de grands moments de tendresse à vivre avec eux, même si la maladie les empêchent de montrer par moment qu'ils reçoivent bien cet amour, il reste qu'ils en ont soif démesurée de liens.
Comme illustration, je me souviens d'une vidéo émouvante, où on voyait un père Alzheimer, dire qu'il ne se rappelait plus que la dame qui lui parlait était sa fille, ni comment elle s'appelait, mais tout ce dont il se souvenait, disait-il, c'est qu'il l'aimait énormément et sentait un lien fort entre eux, sans savoir vraiment qui elle était précisément...
Quand elle parle du souhait que sa mère meure dans son sommeil, tant qu'il n'y a pas de douleurs physique, je n'arrive pas à trouver cette pensée légitime (possible oui parce que nous sommes humains, mais légitime, non).
Le malade d'Alzheimer souffre bien sûr de perdre de l'autonomie au début, mais passé un certain stade, il n'en a plus tellement conscience.
La vieillesse, comme la maladie, ne servent pas "à rien", puisque nous n'avons pas d'autre choix que de les subir, elles devraient nous apprendre l'humilité, et le dépouillement face à la mort qui arrive, à quoi nous sert de mourir en gardant toute sa superbe ?
Quand elle s'indigne de la chaise percée dans la chambre si raffinée et richement décorée de sa mère, pourquoi est-elle préoccupée de cela ? Est-ce que les journalistes vont faire irruption dans la chambre ? Est-ce que cela va être rendu public autour du monde (et quand bien même). Est-ce que sa mère va en souffrir puisque c'est elle-même qui l'a demandé ?
La maladie et la vieillesse nous jettent cruellement dans la figure que nous avons une finitude et que nos qualités et forces ne sont que transitoires, c'est une blessure narcissique de voir des parents ou des enfants qui pourraient être les siens diminués.
Mais en aucun cas la personne ne perd sa dignité parce qu'elle utilise une chaise percée.
Elle perdrait sa dignité si elle s'amusait à porter des couches par paresse, mais si son corps et la maladie l'exigent, il y a absolument zéro perte de dignité là-dedans.
J'aimerais que la société change et le comprenne, qu'on revienne à des valeurs où la dignité de la personne est INALIÉNABLE par son essence de personne.
Est-ce qu'on termine la vie de tous les handicapés, parce qu'on estime qu'ils ne vivent pas dans le concept de "dignité" qu'on s'est fait, ou qu'en s'imaginant à leur place, on subit une blessure narcissique de notre toute puissance de personnes en santé et valides ?
Venons-en, à la thèse du livre:
Il faut se débarrasser des gens qui ont Alzheimer (et ce même s'ils ne souffrent pas physiquement), car leur existence nous fait honte, et que c'est quand même pas agréable de s'en occuper.
Supprimons les vieux qui sont dépendants (et tous les malades dépendants), le pays y gagnera beaucoup d'argent et les enfants pourront aller à la plage et obtenir les biens qui, de toute façon, ne leur servent plus !
J’ai essayé de lui dire que j’avais un lumbago : « Oui, il est beau, me répond-elle.– Non, maman, j’ai un lumbago.– Sur le pot ? »
Je croyais que Blandine était une intellectuelle ? Ce qu'elle nous présente à plusieurs reprises dans ce genre de dialogues, elle n'est pas capable de voir que ça s'appelle de la surdité, pas de la démence. Et que ce n'est pas, contrairement à ce qu'elle le dit, sa démence qui la fait piocher des sonorités voisines ? En quoi ça l'a diminue et la rend indigne ?
Pour la première fois, on en parle sérieusement, Lison et moi : sur le principe, nous savons depuis longtemps que nous sommes d’accord, mais aujourd’hui nous devons envisager de passer du principe à la réalité. On ne peut pas la regarder se dégrader encore et encore… On n’a pas le droit de lui infliger cette humiliation. Oui, nous lui devons cette ultime preuve d’amour, qui est aussi le respect de sa volonté toujours affichée. Avant qu’elle ne devienne complètement dépendante, avant qu’on ne soit obligées de la mettre dans une maison. Mais la mettre dans une maison, ce serait la trahir. On préfère être hors la loi. Donc nous ferons notre devoir, car c’est un devoir.
Au petit déjeuner, Lison me dit : « Je n’ai plus aucune empathie pour maman, c’est terrible. Je n’éprouve plus de tendresse, alors que toi oui, je le vois… Pourtant, je l’ai follement aimée…
Nous sommes parties le cœur serré à l’idée de la laisser seule dans cette non-vie qui lui ressemble si peu. D’autant que nous savons que cette tristesse et cette lucidité soudaines sont dues, aussi, à notre départ. D’habitude, on part soulagées, allégées, heureuses de nous retrouver tout à nous, loin de notre mère morte."
Voilà le mot est âché, le titre du livre ne décrit pas une mère, morte à la fin du récit, mais une mère" considérée comme morte parce qu'elle a perdu son indépendance et ses capacités logiques !
Non, je ne suis pas admirable de dévouement, mais je ne trouve pas admirable d’être admirable dans l’oblation totale, le sacrifice de soi et de sa propre vie. Maman nous a donné l’exemple avec sa mère et sa sœur, n’allant que très peu les voir pendant leur Alzheimer : « À quoi bon, elles auront oublié, 5minutes après mon départ, que j’étais là. Et puis l’égoïsme, c’est la santé ! »
C'est donc familial...
Je pars pour Chamonix, le 31 au matin, réveillonner avec Violette, Pierre et Zélie. Ça sera plus gai qu’à Hyères ! Même si ma fille me reproche de privilégier maman."
Et ça se transmet à la génération suivante !
[ Catherine s'est occupée de leur beau-père avant sa mort, et maintenant elle s'occupe tout aussi tendrement d'elle [leur mère]
Oui, oui, elle se répète, elle oublie beaucoup de choses, mais on parle… » Tu parles ! Je suis agacée par ce monde merveilleux où on fait semblant de croire que, même à 95 ans, on est toujours aussi beau et spirituel que dix ans plus tôt.
Notre souhait, à Lison et moi, pour cette nouvelle année ? Que maman meure le plus vite possible !
Mireille m’annonce qu’elle porte des couches jour et nuit maintenant. (...) Tout ça me fout un cafard noir. Envie de pleurer dès qu’on me parle d’elle. Et maintenant qu’elle est sauvée – pour cette fois – je me mets à souhaiter sa mort plus que je ne la redoute.
Je lis, avec horreur, qu’on a dénombré vingt et un mille centenaires en France, dont 84 % de femmes. C’est le chiffre le plus élevé d'Europe.
Les médecins, les plus grands tortionnaires qui soit...
J’éprouve un sentiment très désagréable à fouiller dans ses affaires, comme si elle était déjà morte. Mais n’est-elle pas déjà morte ?
J'étais presque heureuse. Même si affronter le terrible déclin de ma mère m’oblige à affronter le mien, à venir. Elle est ma vieillesse."
Je me suis occupée de ma grand-mère, qui était devenue parano et violente (brandissait des couteaux car elle pensait qu'on essayait de l'empoisonner), ça a été extrêmement difficile, mais jamais je n'ai pensé elle est déjà morte", au contraire, j'ai culpabilisé de ne pas pouvoir faire plus pour elle. Et j'ai rencontré beaucoup de familles comme cela, qui savaient qu'il leur restait très peu de temps avec la personne aimée, et qui n'associaient pas la personne avec la maladie, ou prétendaient que cela venait prendre la place de moments passés agréables.
Si elle a envie de coller des gommettes (comme dans le livre), où est le problème ? Elle prend plaisir à une activité, et contrairement à ce qui est asséné, à longueur de pages, tant qu'elle éprouve du plaisir, c'est qu'elle est loin d'être morte, et sa fille n'a aucun droit de porter un jugement sur la nature de ses plaisirs ou capacités, comme on ne le ferait pas non plus pour quelqu'un venant de subir un accident de la route.
Ce qui serait grave, c'est qu'elle ne prenne plus plaisir à rien (dépression gériatrique).
Si elle aimait vraiment sa mère, elle se réjouirait de ce qu'elle puisse d'absorber dans des activités en en retirant du plaisir.
Mais non, Benoîte Groult est morte. Reste sa dépouille, et quelques éclairs qui font illusion.
C'est violent ! Je ne vois pas tellement d'amour filial dans ces lignes. Si elle voulait exprimer du mépris et du dégoût envers le corps amoindri de sa mère, elle ne pourrait pas mieux écrire.
Qualifier ce corps ainsi, le désignant comme n'habritant pas un être aimé, qui a de plus en plus de mal à communiquer, mais de "dépouille", c'est tellement méprisant que si tout le monde prenait cela comme vrai, on ferait des géronticides massifs, gazage de vieux pour tout le monde, ils ne sont après tout que des coquilles vides qui doivent disparaître au plus vite.
Ce livre (et ses semblables) sont plus que le témoignage d'une histoire vraie, il faut avoir une vue qui porte plus loin. Examiner les conséquences jusqu'au bout - toutes les conséquences - de ce genre de livres et de changement de paradigme dans la société.
La société est schizophrène..
On ne peut pas prôner l'inclusion d'un côté, et considérer qu'il est absolument nécessaire d'éliminer une personne de 96 ans (!!!), qui de toute façon va partir très bientôt (ses forces ont tellement décliné que ça ne peut en aucun cas s'éterniser), seule, sans qu'il ne soit besoin d'injection...
C'est une banalisation de la pensée qu'on n'est pas dignes quand on est dépendant (et donc que les handicapés physiques ou mentaux méritent aussi bien la mort, puisqu'ils l'auraient voulu s'ils avaient eu tout leur raisonnement), contraire de l'inclusion.
Il y a aussi une très grande, abyssale, contradiction à s'offusquer que la veille dame ait besoin d'une chaise percée, ou fasse de petits accidents de nuit (ce ne sont pas elles qui nettoient mais leurs nombreuses employées !), de dire que ce manque de dignité est insoutenable, mais en même temps, d'en exposer les moindres détails dans toute leur crudité, dans un livre, sans l'accord de la principale intéressée, qui doit mourir, justement, parce que c'est insupportable que le monde connaisse à quel point elle est devenue "indigne".
Quel hommage ? C'est un hommage ?
Il est vrai qu'on abat bien les chevaux quand ils ne servent plus à rien...