La Planète rebelle marque l'arrivée de Robin Waterfield derrière la machine à écrire. En réalité, ce n'était pas un parfait étranger pour les Défis Fantastiques, puisqu'il travaillait comme correcteur chez Puffin Books, l'éditeur anglais de la série, et qu'il s'est retrouvé à relire la plupart des propositions de nouveaux titres jusqu'à ce que Marc Gascoigne prenne le relais. L'une des grandes richesses de la série est d'avoir réuni des auteurs aux parcours très différents, et Waterfield est sans doute l'un des plus inattendus. Son cursus n'a pas grand-chose à voir avec le jeu de rôle ou la fantasy : c'est un spécialiste en philosophie grecque, qui a traduit Platon et Aristote, entre autres. En voyant que sa première contribution à la série est un livre de science-fiction, le lecteur frémira en repensant au cas Chapman, mais il s'en tire bien mieux que l'Australien et signe peut-être le meilleur des DF de SF.
L'introduction suffit à rassurer le lecteur craignant un nouveau Mercenaire de l'Espace : elle dure une petite dizaine de pages, suffisamment pour développer à grands traits une énième version de l'histoire du futur. Les Terriens ont percé les secrets du voyage spatial et colonisé quelques planètes, mais leur première rencontre avec une civilisation extraterrestre, celle des lézardesques Arcadiens, ne s'est pas déroulée de la meilleure façon possible. Toute l'humanité est désormais à leur botte. Toute ? Non : un petit noyau de de combattants de la liberté résiste encore et toujours à l'envahisseur, et vous en faites partie. L'ultime espoir de votre espèce repose sur l'Ordinateur central d'Arcadion, une machine prodigieuse à laquelle tous les Arcadiens sont reliés. La détruire sèmerait la confusion dans leurs rangs et permettrait aux vôtres de recouvrer leur liberté. Devinez qui va s'y coller ?
Tout ceci n'a rien de bouleversant, et on pourrait sans doute trouver à redire à certaines facilités scénaristiques. Ainsi, l'interdiction des armes à feu par les Arcadiens est bien pratique pour justifier l'absence de règles supplémentaires pour gérer les combats à distance : notre héros sera limité à une épée laser, quand il ne devra pas lutter à mains nues (le livre propose une idée sympathique, à savoir que l'entraînement en arts martiaux avancé qu'on a reçu nous permet de tuer instantanément l'ennemi en tirant un double aux dés). Le nœud de l'intrigue, à savoir la subordination des Arcadiens à une toute-puissante machine-mère, est elle aussi bien pratique pour justifier que la victoire repose sur nos seules épaules. C'est un peu bête qu'on ne ressente jamais au fil du livre l'esprit de ruche qu'ils sont censés former : ils agissent toujours de manière parfaitement indépendante les uns des autres.
Enfin, ce n'est qu'un point de départ, ce qui compte, c'est le voyage. L'aventure est structurée de manière assez linéaire : on quitte la Terre, puis on visite les trois planètes humaines conquises par les Arcadiens avant de débarquer sur Arcadion pour détruire l'Ordinateur. Sur chaque planète, il faut entrer en contact avec la cellule de résistants locale, qui nous fournit une partie du code nécessaire pour accéder à cet Ordinateur. Chaque planète possède sa propre culture : Tropos est une planète ancrée dans le passé (i.e. les années 1980), Radix se vautre dans la luxure et la paresse, Halmuris est austère et toute entière tournée vers le travail. Rien de bien subtil ici encore, mais brosser un tableau à grands traits est sans doute le meilleur moyen de leur donner des identités propres dans le cadre étroit d'un LDVH. En revanche, le livre manque clairement de PNJ mémorables : aucun ne se détache vraiment du lot, qu'il soit Arcadien ou humain, résistant ou collaborateur, à part peut-être les étudiants de Radix, et encore. Un autre illustrateur que Gary Mayes aurait peut-être pu leur donner vie ? Ce n'est pas que ses illustrations soient ratées, mais elles ne m'ont pas vraiment immergé dans le livre. Dommage.
Dommage également que l'aventure s'avère au final assez peu ouverte. On dispose d'une belle variété de choix sur Tropos, mais à partir de Radix, on sent que Waterfield commence à poser des rails, avec notamment un choix gauche-droite aléatoire mortel, ma hantise dans les livres-jeux. Sa présence choque d'autant plus que le bouquin offrait jusqu'ici des choix informés, qui exigeaient un peu de réflexion de la part du lecteur ; et même en cas d'échec, que ce soit parce qu'on n'avait pas réfléchi ou parce que Waterfield nous sortait un truc inattendu de son chapeau, ça n'était pas mortel, il y avait toujours moyen de se raccrocher aux branches. À partir de Radix, ce n'est plus le cas, et c'est aussi le moment à partir duquel les paragraphes se font plus lapidaires, moins immersifs (coïncidence ?). Halmuris est un exercice en frustration, avec des choix mortels, des tests mortels et des combats mortels comme s'il en pleuvait, et Arcadion n'a rien d'autre à offrir qu'un bel éventail de façons de perdre, l'unique moyen de remporter la victoire étant aussi alambiqué qu'impossible à deviner. Sans être d'une concision chapmanesque, le §400 aurait mérité de nous en dire un peu plus long sur les conséquences de notre réussite. C'est le problème d'avoir une introduction longue : on s'attend à ce que la conclusion apporte une résolution complète. Là, on en est vraiment loin.
Je disais plus haut que la Planète rebelle est sans conteste le meilleur DF de SF, mais ça en dit davantage sur la qualité moyenne des DF de SF que sur celle de ce livre en particulier. Il est difficile de ne pas se sentir trahi quand les promesses entrevues au début débouchent sur une aventure aussi rigide et punitive que celle-ci. Pour un coup d'essai, ça reste tout de même honorable.