Les Irlandais ont un rapport très particulier aux mots et aux histoires: ils savent raconter. Écoutez n'importe quel Fils ou Fille d'Erin vous conter une anecdote, fût-ce anodine, vous ne tarderez pas à être transporté dans une histoire absolument incroyable, rocambolesque ou aux échos mythologiques. Car un Irlandais ne laissera tout simplement jamais les faits se mettre en travers d'une bonne histoire...
La tradition orale est encore bien vivante en Irlande; elle y est notamment maintenue par les seanchaithe, les conteurs traditionnels dont certains sont encore actifs de nos jours en l'Île d'Émeraude: ils récoltent, préservent et transmettent oralement contes, légendes, savoirs et histoires à la prochaine génération. Leur métier tourne autour des mots.
George Carlin n'est pas né en Irlande: il est né et il a grandi à New York, dans cette bouche du continent américain qui de nos jours encore avale tant d'immigrants. Il est né et il a grandi dans une famille irlandaise, mais au sein d'un de ces quartiers comme on les trouve que dans la Grande Pomme: noirs, porto-ricains, juifs, irlandais, pompiers, ouvriers, professeurs, étudiants... Toutes sortes de New-Yorkais réunis dans ce fameux melting pot américain.
Mais Carlin a su garder quelque-chose de ses origines irlandaises: il adorait les mots. Bien sûr, on pense tout de suite à ses "Sept mots sales que l'on ne peut pas prononcer à la télévision", mais s'il utilisait avec largesse de gros mots sur scène (avec ce franc-parler tellement new-yorkais), il utilisait surtout très bien tous ses mots, un point c'est tout.
Carlin savait aligner juste les paroles qu'il fallait, prononcées de la manière qu'il fallait, afin de non seulement nous faire rire, (ce que chaque comédien connaissant son boulot sait faire), mais nous faire rire de nous-mêmes (ce qui est beaucoup plus rare). Et nous faire réfléchir (ce qui devient un cas exceptionnel). Carlin aimait les mots, car il savait que les mots ont du pouvoir; et il ne craignait pas de les utiliser comme de vraies armes, oh non!
George Carlin ne pouvait pas écrire une autobiographie au sens traditionnel du terme. Il a donc demandé en 1993 à son collègue comédien Tony Hendra de l'enregistrer, et ce livre, cette "apeuprèographie" est le résultat de presque quinze ans d'interviews, de conversations, de notes et d'échanges sur la vie de Carlin, son évolution artistique, le demi-siècle d'activité qu'il aura vécu sur scène.
Sous le vernis d'un humour vitriolé, George Carlin pratiquait le slam avant l'heure, était un poète engagé et une vraie bête de scène. Somme toute, George Carlin était à sa manière, rugueuse et new-yorkaise, un seanchaí qui transmettait des histoires par les mots.
Well done, New York boy!
PS: en parlant du poids des mots, c'est très douloureux de devoir écrire à propos de Carlin au passé. Si son humour ne pouvait pas plaire à tout le monde, il nous manquera cruellement.