Le Petit livre bleu par amandecherie
L'univers des Schtroumpfs vu sous l'angle de la science politique, pourquoi pas ? C'est le parti-pris d'Antoine Buéno dans Le Petit Livre bleu. A l'heure de la version hollywoodienne qui semble réfuter le monde créé par Peyo, on n'en finit pas de pilonner nos souvenirs d'enfance de ces espiègles farfadets bleus avides de salsepareille.
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Dans cet essai compact, Antoine Buéno définit dans une première partie la nature des Schtroumpfs (se reproduisent-ils ? Pourquoi n'y-a-t-il qu'une seule Schtroumpfette ?), avant d'analyser le mode de fonctionnement de leur société, qu'il qualifie tout simplement d'« utopie totalitaire empreinte de stalinisme et de nazisme ».
Si on peut facilement concéder que le village des schtroumpfs tient du jardin d'Éden – les habitants y sont heureux, il n'y a pas de monnaie en circulation et il est géographiquement introuvable – la suite de la lecture d'Antoine Buéno est plutôt détonante.
Il ne fait aucun doute pour l'auteur que le Grand Schtroumpf est calqué sur le personnage de Staline (position de pouvoir, paternalisme qui le confère au rôle de « petit père des Schtroumpfs »), tandis que le Schtroumpf à lunettes s'apparenterait à Trotski : binoclard, donneur de leçons, bref « l'ennemi du peuple » auquel toute la communauté est hostile. Et bien sûr, dans cette logique, Gargamel incarne le capitalisme. Outre ces grandes figures, le village de la forêt est individualiste (les Schtroumpfs sont interchangeables), prône le collectivisme (négation de la notion de propriété) et les grands travaux (entretien continuel du barrage).
Va pour le stalinisme, donc. Mais les Schtroumpfs nazis ? Antoine Buéno a de bonnes raisons de l'affirmer : la représentation des schtroumpfs noirs comme des nègres décérébrés, le prototype aryen de la Schtroumpfette, Gargamel présenté comme une caricature de juif, impression doublée par son chat Azraël, un nom proche d'Israël, misogyne puisque la Schtroumpfette – encore elle – est résolument anti-féministe (se plie aux corvées dites féminines, idiote, capricieuse, futile).
En somme, pour l'essayiste, les Schtroumpfs vivent dans un monde totalitaire, anti-démocratique avec le Grand Schtroumpf détenteur du pouvoir absolu, où la contestation est muselée – si ce n'est par l'exutoire que représente le Schtroumpf à lunettes, véritable bouc-émissaire – et les masses sont abruties par un langage contraignant.
L'étude semble quelque peu tenir de la sur-interprétation, mais elle prête à sourire et est servie par un ton assez bon enfant. Et de toute façon, on l'oublie vite.