Après quatre livres se déroulant hors du monde naissant de Titan (un record qui ne sera jamais dépassé), Ian Livingstone nous ramène dans ses contrées chatoyantes avec cette aventure. C'est évidemment l'occasion pour lui d'empiler les clins d'œil à ses précédents opus. Alors que notre héros anonyme préféré se repose entre deux aventures au village nain de Pont-de-Pierre, le magicien Yaztromo lui confie une nouvelle mission : il doit se rendre dans la cité perdue de Vatos, au cœur du désert des Crânes, pour déjouer les plans du vil Malbordus. Ce dernier cherche à réunir cinq statuettes de dragon afin de conjurer une armée de créatures volantes qui lui permettra de conquérir Allansia, ce qui serait tout à fait intolérable.
L'autre truc qui est tout à fait intolérable, c'est ce bouquin.
Jusqu'à présent, je me suis efforcé d'être généreux avec Livingstone : la littérature interactive était encore un concept balbutiant, lui-même n'avait pas vraiment un cursus d'écrivain, et même si ses aventures n'étaient pas très élaborées en termes de scénario ou de construction, elles offraient souvent des péripéties distrayantes, des adversaires mémorables, ou au moins de bonnes illustrations. Le Temple de la Terreur n'a rien de tout cela : c'est le moment où les excuses ne suffisent plus à dissimuler l'incompétence ou le dilettantisme. Le roi est nu.
Tous les défauts des précédents Livingstone sont présents ici, mais à la puissance mille, et il trouve encore le moyen d'en ajouter de nouveaux. C'est ici qu'apparaît pour la première fois sa tactique « Ken le Survivant » qui consiste à offrir deux chemins au lecteur au début de l'aventure, sans l'informer qu'un objet indispensable à la réussite ne peut être trouvé que sur un seul de ces deux chemins. Quiconque prendrait l'autre est déjà mort sans le savoir encore. Le livre tout entier fonctionne sur le même principe, au point qu'on pourrait presque croire à l'auto-parodie par moments. Comment expliquer autrement le mécanisme épouvantable par lequel Livingstone récompense ET punit en même temps l'exploration systématique ? Il est indispensable de fouiller chaque recoin pour dénicher les cinq statuettes de dragon, mais le livre est également parsemé de lettres cachées, celles du mot FATAL, laissées là par le Messager Fatal, qui tuera instantanément le héros s'il a le malheur de récolter les cinq. Signaux contradictoires, vous avez dit ? Et comment expliquer autrement l'arbitrarité complète avec laquelle certains objets permettent de se débarrasser de certains monstres ? Pour vaincre le Fantôme, il vous faudra un bouton en argent ; pour l'Œil Porc-Épic, un œil d'onyx ; pour l'Entité Nocturne, une cloche en cuivre. Pourquoi ? Vous n'aurez jamais d'autre réponse que « parce que Livingstone en a décidé ainsi ». Ajoutez à ça les combats difficiles, les pertes de points d'Habileté, d'Endurance et de Chance en veux-tu en voilà et les claques dans la gueule pures et simples (vers la fin de l'aventure, si vous empruntez un escalier, vous avez perdu. Pourquoi ? Parce que Livingstone en a décidé ainsi) et vous obtenez une aventure qui aurait de quoi faire enrager le fils de Gandhi et du dalaï-lama.
Même ainsi, ce livre aurait pu être tolérable. L'idée d'explorer une cité perdue au milieu des sables du désert se serait bien prêté à la description de décors envoûtants dans une atmosphère orientalisante tout droit sortie des Mille et Une Nuits, avec des djinns, rocks et autres éfrits, mais c'était compter sans le je-m'en-foutisme généralisé qui a présidé à la rédaction de ce bouquin. Le bestiaire n'aura donc rien d'original, avec squelettes et hommes-lézards placés au petit bonheur la chance dans les couloirs de la cité. Avant cela, la traversée du désert n'aura guère accouché que d'un bédouin, d'un piteux basilic et d'un ver des sables tout droit sorti de Dune, la majesté en moins. Mais que dites-vous ? J'aurais commis un lapsus en parlant de « couloirs » au lieu de « rues » ? Pauvres fous, parce que vous pensiez que Vatos serait vraiment une nouvelle Kadath, une vision onirique perchée sur les dunes ? Bien sûr que non, ce sera un énième donjon avec des couloirs vides et des embranchements gauche-droite à gogo !
Et quand Livingstone s'est rendu compte que ça ne suffirait pas à remplir les 400 paragraphes, il a sorti de son trou du cul l'idée la plus débile depuis la Bat-carte de crédit : la prêtresse qui règne sur Vatos, qui devait trouver monotone d'aider Malbordus à conquérir le monde, a décidé d'organiser un concours d'art. Un concours d'art. Dans les couloirs remplis de monstres d'une ville perdue au milieu du désert. Un concours dont les perdants seront sacrifiés à son dieu et dont le gagnant repartira avec la coquette somme de 300 pièces d'or. Si vous sentez quelque chose d'humide dans votre cou, ne vous inquiétez pas, c'est juste votre cerveau qui a fondu devant tant d'imbécillité concentrée. Le bon côté des choses, c'est qu'après ça, vous ne serez même pas blasé de voir le terrible Malbordus expédié en cinq paragraphes, sans guère avoir eu l'occasion de faire quoi que ce soit d'un tant soit peu mémorable, si ce n'est son apparition, sortant d'un trou circulaire au milieu d'une pièce comme un vulgaire docteur Denfer.
En un mot comme en cent, Le Temple de la Terreur est un mauvais livre. Manque d'idées, manque d'envie, manque de talent, peu importe, le résultat pue le travail de tâcheron fini à la pisse. C'est d'autant plus dramatique qu'il a servi de modèle à tous les bouquins ultérieurs de Livingstone.