Wuthering Heights, caverne des démons et de la mort

Wuthering Heights
Et dire que je m'attendais à lire une belle histoire d'amour !
Et dire que je pensais me trouver dans un texte romantique à souhait, avec exaltation de la nature et tout le toutim !
Et dire que je pensais être devant un livre classique !
Autant dire que je suis tombé de haut en lisant ce roman...


Wuthering Heights est un des livres les plus violents qu'il m'ait été donné de lire. C'est aussi un des livres les moins romantiques et les plus originaux que je connaisse.
En effet, je crois pouvoir affirmer que ce roman ne ressemble à rien de connu. Même si je ne connais pas la biographie de son auteur, l'unique roman d'Emily Brontë me paraît empreint de sa personnalité.
Il est unique par son ambiance sombre, glauque, où la violence est exacerbée.
Il est unique par ses personnages, qui n'arrêtent pas ou de mourir, ou de faire mourir les autres autour d'eux.
Il est unique en particulier par ce Heathcliff, personnage monstrueux mais dans lequel on devine une souffrance infinie.


On place habituellement Wuthering Heights parmi les classiques, mais rien n'est moins classique que ce roman passionné. Son construction, par exemple, est d'une incroyable modernité. Le roman est construit sur l'imbrication de narrations. Je crois avoir dénombré pas moins de quatre narrateurs différents intervenant au fil du livre pour des passages plus ou moins longs. Et comme tous disent "je", il devient parfois très compliqué de se repérer dans cet imbroglio narratif que l'on pourrait facilement prendre pour une remise en cause de la littérature romanesque, à l'instar d'un Lawrence Sterne.
Car Wuthering Heights est aussi (entre autres) un roman sur les livres, un roman sur la littérature. Les livres sont partout, ils constituent l'unique distraction de certains, dans cette lande isolée du monde et qui semble même oubliée de Dieu ; ils sont source de vérité parfois, comme lorsque Lockwood (le narrateur "encadrant", pourrait-on dire) trouve un livre qui servait de "journal" à Catherine ; les livres sont aussi un symbole de richesse, pas forcément financière, mais intellectuelle. Ils permettent de s'élever, de se cultiver, de tenter de sortir de la bestialité qui règnent à Hurlevent (comme Hareton, qui apprend difficilement à lire et à compter pour impressionner Cathy).
Et là, à nouveau, nous arrivons à un thème essentiel : le duel entre bestialité et civilisation. Autre modernité du roman : ses personnages parviennent à la fois à être de véritables caractères et aussi des symboles. Heathcliff contre Linton, c'est l'animal contre l'humain, le barbare contre le civilisé, la brute archaïque contre le faible homme moderne. Tout, dans le décor sauvage, est fait pour ramener l'homme à ses instincts primitifs, jusqu'aux Hauts de Hurlevent eux-mêmes qui sont plus décrits comme une caverne que comme une habitation.
Preuve de cette régression : la quasi absence de religion, qui semble ici remplacée par des croyances paganistes ancestrales. Si Heathcliff est sans cesse qualifié de "démon", il n'apparaît pas comme un mauvais démon et on ne mentionne jamais la possibilité d'une quelconque punition divine à son égard. C'est un démon dans un monde où les revenants, les créatures magiques et même les sorciers semblent être à leur place. Dans ce monde étrange et troublant, le final arrive d'une façon presque logique, et c'est une des grandes forces de l'auteur d'avoir su implanter cette ambiance mystérieuse et surnaturelle.
Surnaturelle, en effet, tant le roman semble se situer dans un entre-deux-mondes, à la frontière entre rêve et réalité. Les rêves, nombreux, ont parfois plus de consistance que la vie réelle, au point que la séparation des deux est pour le moins floue.


Là où, une fois de plus, Wuthering Heights pourrait être un roman contemporain, c'est dans son aspect désagréable. Je ne sais pas si ça vient de moi, mais la lecture du livre me fut difficile. Sa qualité est indéniable, mais Emily Brontë l'a rendu si désagréable que, plusieurs fois, je me suis demandé si j'allais l'abandonner ou pas...
Car Wuthering Heights est un roman où tout est exacerbé. Ultra-violent, tant dans les actes que dans les paroles, il décrit un monde si horrible que j'ai saturé. Les derniers chapitres ont été difficiles.
tout cela, et tant d'autres choses encore, contribuent à faire de Wuthering Heights un roman incroyable, surprenant, déconcertant, agaçant; un roman certes imparfait, mais un roman unique, ne ressemblant à aucun autre, et, je pense, un roman inoubliable.

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le 9 mai 2015

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SanFelice

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