Pourquoi se contenter d'une seule vie ?
Alain Monnier fait plus que nous faire visiter le simple monde virtuel comme il en existe tant de nos jours, en s'appuyant du jeu Second Life, l'auteur nous livre Notre Seconde Vie. Il s'immerge dans la vie, ou plutôt les vies, de plusieurs personnages qu'un journaliste médiocre qualifierait de façon lisse de personnages hauts en couleurs ! L'on s'attache aux différents protagonistes, en ayant véritablement la sensation de suivre leurs faits et gestes dans le monde virtuel comme si nous étions nous même connectés à ces personnages pour suivre leurs tribulations et évolution dans le 'jeu'. Mais l'exercice qu'Alain Monnier réussi est dans le fait de créer deux vies pour chaque personnage, aussi différentes soient-elles mais aussi complémentaires.
Les cent premières pages auront tout de même été ponctuée lors de ma lecture, de retour au tout début du livre pour consulter le tableau de correspondance de chaque personnage, pour savoir qui est qui et qui joue qui entre le monde réel et Notre Seconde Vie. De façon intuitive, sans même nous en rendre compte, nous savons quel monde nous sommes en train d'observer. Bien sûr les noms des personnages sont différents, mais aussi, la police d'écriture du livre change. Permettant efficacement de savoir quand nous entrons et sortons de l'écran. Écran par lequel un peu plus de six milliards d'utilisateurs passent pour se connecter.
Le point intéressant de l'œuvre et ce que Alain Monnier fait de notre futur proche, en y dépeignant un monde en ruine, à l'abandon. Et donne ainsi une dimension très structurée a Notre Seconde Vie, ce jeu est institutionnalisé par les sociétés pour 'occuper' ses citoyens. Et finalement, les tenir éloignés des problème du monde réel. On ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec le film Matrix dans lequel les humains sont emprisonnés dans ce monde virtuel pour y vivre une autre vie. Dans Notre Seconde Vie, les humains sont aliénés, déshumanisés et s'enferment volontairement dans ce monde virtuel, tant le monde réel leurs est désagréable, et est fait pour leurs être désagréable.
Ce livre ne se contente pas seulement de parler de la vie de joueurs, on suit leurs parcours, on les voit évoluer au sein du jeu pour évoluer au sein de leurs première vie. Et seulement à travers quelques personnages, on se fait une idée globale de l'état des mentalités. Par exemple les personnes de l'époque du bouquin, qui semble être pourtant dans un futur relativement proche, ignorent qui était Adolf Hitler, pour ne citer que lui parmi les 'oubliés' de l'histoire du livre.
Cette oeuvre mèle habilement humour, références culturelles, historiques, romance, absurde et une écriture d'anticipation en se situant donc à la croisée de Second Life, de Matrix et de la télé-réalité.
Au fil de notre lecture, nous observons la création et l'évolution des liens qui existent entre les personnages que nous suivons. L'amour nait, l'amour meurt, des liens inatendus surviennent...
Xenakis se voyant octroyer à Delphes par l'oracle un destin qu'il arborera comme une médaille sur son nom en devenant Xenakis ***. Un destin qui rappelle étrangement celui d'un certain Œdipe, mais contrairement à cet illustre héros de tragédie, le jeune berger grec Xenakis *** veut rester maître de lui même face au dénouement de la destinée qu'il lui a été attribuée en soirée mondaine. Les liens entre les personnages ont l'avantage de toujours nous surprendre, comme le destin de Xenakis ***, la tête mise à prix de Isidro, la relation entre Karine/Carmen et Yuzo/Wu Li qui existe dans les deux mondes, le rapprochement entre Eva et Isidro.
On remarquera au fil du bouquin, que chaque lien et événement dans la seconde vie de nos héros, aura des répercutions sur la première vie, et vice versa. Les liens existent donc aussi pour un seul personnage, puis qu'il y a un peu d'Isidore dans Isidro et aussi un peu d'Isidro dans Isidore. On peut donc affirmer qu'il existe des liens entre Isidore et Isidro au travers de l'écran. Ainsi, les liens entre les personnages sont démultipliés, Isidore au travers d'Isidro aime l'image d'Eva qui est Edwige, et inversement. L'avatar d'une personne est une partie de cette personne, mais aussi un prolongement de l'esprit qui ne vit que dans 'NSV' avec son caractère, ses spécificités, tout en faisant partie de cette personne.
Cette partie inconnue de chaque personnage du livre qui était intériorisée, ignorée, a présent existe grâce à ce monde virtuel. Ils ne peuvent plus l'ignorer ou vivre sans elles. Leurs identités se sont agrandies; la perception d'eux-même également. Pour les personnages de Alain Monnier , NSV représente bien plus qu'une ouverture sur un autre monde, c'est avant tout une découverte de soi, au détriment de la vie première, laissée de côté et abandonnée. Et malgré cet abandon de la première vie, des liens se créent, mais par avatars interposés. Isidore et Edwige semblent s'aimer profondément. On notera aussi que par la seconde vie, les liens entre les personnages de la première vie se détériorent, comme Isidore et Fernando ou Carmen et Wu Li.
Il existe aussi un lien entre Suzan/Marylin Monroe et Xenakis *** qui évolue de façon très singulière, à la manière d'Œdipe comme vu précédemment. Suzan étant la mère biologique de Xenakis *** dont nous ignoreront la véritable identité tout au long du bouquin. Au passage, évoquant encore Œdipe, Xenakis *** en tuant d'un coup de tromblon le tueur à gages lancé à la poursuite de son ami tuera l'avatar de ton père biologique. Les liens donc avec Œdipe et son histoire dépassent la frontière de l'écran et notre Œdipe virtuel n'aura au final 'que' couché avec l'avatar de sa mère et 'juste' tué l'avatar de son père.
Les liens entre générations sont tout au long du bouquin conflictuelles et chaotique, entre Xenakis *** et Marylin qui ignoreront leurs tragique destinée dans le monde virtuel, mais aussi entre Edwige et sa fille, entre qui demeure un gouffre béant de souffrance qui ne rétrécira pas, au grand dam d'Edwige qui pensait avoir retrouvée et sauvée sa fille dans Notre Seconde Vie. Le monde futuriste imaginé par Alain Monnier serait donc un monde impropice aux bons échanges entre générations, en grande partie par l'aliénation provoquée par le jeu Notre Seconde Vie, dans lequel les générations n'apparaissent pas, les avatars ont tous le même âge, les générations sont faites pour s'effacer à l'écran. D'autant plus qu'il est très mal vu de parler de sa prime vie dans la seconde, les liens entre générations ne pourront se nouer aussi facilement que dans le monde réel.
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