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"Irène se dit que si l'homme qui l'attendait dans les collines était là aujourd'hui, elle lui dirait oui. Le deuil, elle n'en veut plus depuis longtemps. Et s'il est trop tard pour lui dire, il n'est pas trop tard pour qu'elle se le dise, à elle. Elle regarde les oiseaux affairés à leur nid entre les tuiles du toit. Chaque année il est patiemment reconstruit puis il sera quitté à nouveau. Dans un autre pays, lointain, un autre nid, pour les mêmes oiseaux.
Irène pense aux mères qui n'ont pas la chance de voir revenir leurs enfants pris dans d'autres combats. Elle voudrait poser son front sur le front de chaque mère qui n'attend plus."


Depuis que j'ai refermé Otages Intimes, le dernier roman de Jeanne Benameur paru aux Actes Sud en août 2015, j'y pense en tant que pièce de théâtre. Il s'agit d'un roman intime, le titre n'est pas dû au hasard...
Etienne, photographe de guerre est enfin libéré après une période de captivité dans un pays en conflit. Il est au centre de la narration, otage. La première scène du premier acte, c'est lui, dans l'avion du retour. Tiraillé entre la joie ("libre"), le sentiment d'insécurité (et si ce n'était qu'une sombre farce?), les images de violence et de désespoir que sa rétine de photographe a gardées intactes, vivantes, Etienne est dans un entre-deux. Otage.
"Il regarde les nuages au-dessus de lui. Il voudrait voir apparaître la terre, des maisons, des champs, quelque chose qu'il reconnaisse, qui le sauve de tout ça. En même temps au fond de lui il y a une zone pétrifiée qui préfère les nuages, encore.
Tant qu'il est assis dans l'avion il n'a besoin d'être personne."
Autour d'Etienne gravitent les personnages qui constituent sa vie et leurs propres vies: Irène, la mère, Emma, l'amour passé, Enzo et Jofranka, amis d'enfance et frères de sang, leur village.


J'imagine pour la deuxième scène, Irène qui se prèpare à faire le voyage pour accueillir son fils à l'aéroport. Loin du battage médiatique, loin des interminables et mesquins discours politiques, elle a toujours su qu'Etienne lui reviendra. Un homme de perdu dans une vie suffit, elle ne perdra pas son fils en plus.
"Elle tient dans la conviction qu'elle n'a pas lâchée depuis tous ces mois: elle le reverra, vivant et elle, encore vivante. C'est comme ça. Et c'est comme ça qu'elle a tenu tous ces mois, loin des caméras et des interviews. Personne n'a réussi à forcer sa porte ni son silence."
Pour la troisième scène j'ai retenu Emma. La libération inespérée d'Etienne lui rappelle leur séparation, sa culpabilité, son impuissance devant des attentes successives. Des bras qui refusent l'étreinte. Elle aussi se prépare à aller le voir à l'aéroport.
"Il rentre. Il est vivant et elle, elle devrait retourner à sa vie, délivrée."
Il s'en suit le deuxième acte. Toute l'action se passera au village de l'enfance, là où tout avait commencé. Etienne y retrouve la maison, ses amis, la forêt, la musique. Et commence à retrouver les mots.


Il y a dans le regard de Jeanne Benameur une telle tendresse pour ses personnages que le lecteur demeure subjugué, attentif au moindre signe de tristesse ou, au contraire, au moindre sourire qui naît dans les lignes de ce roman.
Otage au sens propre du terme comme Etienne ou otages des souvenirs, des non-dits, ils tentent tous de s'en libérer, en douceur.


C'est le cheminement vers la libération personnelle, individuelle, que Jeanne Benameur raconte dans Otages Intimes, mais aussi l'importance déterminante qu'a l'Autre dans ce cheminement.
Un roman beau et profond, annonceur d'espoir.


Otages Intimes, Jeanne BENAMEUR, Actes Sud 2015

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le 6 sept. 2015

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