Voilà longtemps que je voulais me plonger dans un livre écrit par Pierre Rabhi. Cette année est sorti au cinéma « Au nom de la terre », un documentaire qui lui est consacré (je ne l’ai pas vu). Son livre « Vers la sobriété heureuse » est un best-seller (je ne l’ai pas lu). L’association Colibris, dont il est à l’origine, multiplie les actions et l’engouement est tel que les bénévoles ont du mal à assumer. Pierre Rabhi a donc lancé un appel aux dons : http://www.colibris-lemouvement.org/agir/soutenir-le-mouvement-colibris/appel-de-pierre-rabhi (à vot’ bon cœur m’sieurs dames)

Bref, Pierre Rabhi super-star mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Non parce que personnellement, je me demande s’il n’est pas trop tard.

Parole de terre, c’est une fable. Une fable terriblement réelle bien entendu. L’histoire se passe dans un pays d’Afrique et un Blanc vient régulièrement dans un village pour ses recherches et se passionne pour les récits du vieux Tyemoro, mémoire vivante du village, témoin des changements et passeur d’histoire comme on n’en fait plus. Tyemoro se souvient du temps de ses parents et de ses grands-parents, quand la vie était rythmée par les saisons, les récoltes et les fêtes de village. Il se souvient aussi de l’époque où les Blancs sont arrivés, pour envoyer les hommes au combat, loin, au Nord. Puis, une fois la paix revenue, les Blancs sont restés et ont encouragé les habitants à travailler autrement, afin de vendre leurs récoltes plutôt que de se contenter de leur seuls besoins de subsistance. La « poudre blanche », la déforestation… ont eu raison des forces de la nature et le désert a avancé. Tyemoro est donc allé rencontrer Ousséini, dans un village voisin. Il est allé étudier chez les Blancs et en est revenu avec des méthodes pour redonner à la terre son visage initial et redonner aux habitants de quoi se nourrir. Rien de révolutionnaire dans ces méthodes. Du bon sens. De l’écoute, de l’observation, et de l’humilité.

Pierre Rabhi, par cette fable, nous renvoie une image peu flatteuse de notre société de consommation. L’agriculture intensive, les engrais, les pesticides, le gaspillage alimentaire, l’exploitation des populations du Sud pour satisfaire les besoins gargantuesques du Nord… et la perspective, à terme, de voir l’agriculture réduite à un truc abstrait géré par les multinationales de la chimie. Une longue partie du roman est consacrée aux techniques pour redonner vie à la terre : irrigation, compost, association de plantes, cultures en terrasses, insectes amis et ennemis… on est loin de l’engin agricole qui lacère la terre pour y répandre toutes sortes de produits censés faire gagner du temps.

Tout n’est que pur bon sens, Pierre Rabhi a raison, mille fois raisons. Mais c’est déprimant. Parce que je ne vois pas comment revenir en arrière. Parce que la surexploitation, la surconsommation et le gaspillage sont devenus la norme dans les pays occidentaux et les pays émergents. Parce que les boîtes comme Monsanto, les scientifiques et politiques véreux se frottent les mains à l’idée d’aliéner durablement les paysans et d’en faire d’éternels consommateurs à traire abondamment. Parce que qui ? Qui est aujourd’hui en mesure de prôner, avec Pierre Rabhi, une « sobriété heureuse » ? Qui a envie de se passer de ses équipements électroniques, de sa bagnole, de ses vacances en avion, de son hypermarché garni de fruits et légumes du bout du monde et de produits voués à l’obsolescence programmée ? Pas grand monde, soyons honnêtes. À commencer par moi. Certes je fais des efforts pour manger local et bio et ainsi encourager un retour aux bonnes pratiques mais j’ai l’impression que c’est comme vider l’océan à la petite cuillère. J’ai surtout l’impression de me donner bonne conscience après avoir acheté mes trois CD à la FNAC, pris ma douche, monté le chauffage à 21°C dans le salon et filé à bouffer à mon chat obèse.

« Car lorsque l’histoire dérive ou se fourvoie, elle a besoin des valeurs sûres, permanentes, indestructibles, celles de la vie, et non de toutes ces pacotilles avec lesquelles vous vous grisez et excitez l’envie impuissante des pauvres. Vos industries vont-elles continuer à produire aveuglément des marchandises que de moins en moins de gens pourront acheter ? Et tout le reste, vos indemnités de chômage, vos retraites, vos soins dispendieux ? Pourrez-vous survivre avec des villes surpeuplées et des campagnes désertes ? Pourrez-vous continuer à être les otages de sociétés et de monopoles gérant jusqu’à votre alimentation avec des structures monstrueuses pour la produire, vos supermarchés pour la distribuer et vos transports pour l’acheminer, vos médias pour vous inciter à l’acheter, alors que des bras, des imaginations nombreuses sont rendus oisifs au détriment de toute vraie satisfaction ? Lorsque vous en aurez compris le véritable sens et calmé les douleurs qu’elle vous aura infligées, vous verrez que votre récession aura été votre salut car elle aura libéré vos esprits d’une terrible hypnose. »

« Dans un monde du « toujours plus pour quelques-uns », où plus rien n’a de valeur mais où tout à un prix, la sobriété est libératrice »
Ghislaine_Borie
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le 2 nov. 2013

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Ghislaine Borie

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