L’Argentin Eduardo Fernando Varela nous promène avec un chauffeur routier, sur les routes de l’immensité patagonienne, pour un voyage aux confins de l’Absurdie.

Au volant de son poids lourd, Parker (pas un nom spécialement argentin) parcourt les routes de la Patagonie pour réceptionner et livrer des fruits embarqués ou débarqués depuis des ports. Plus prosaïquement, Parker fait ce métier pour avoir la paix. En effet, il passe des journées entières sur des routes monotones dans des paysages plutôt désolés, sans croiser grand-monde. A vrai dire, il fuit une vie familiale terminée en queue de poisson (une femme et un enfant) et des ennuis avec des malfrats quelque part du côté de la capitale, sans compter les ennuis potentiels dus à sa situation pas vraiment régulière (les papiers du camion). Ceci dit, il affirme régulièrement à celles et ceux qu’il croise que, contrairement aux apparences (jamais précisées) non, il n’est pas portègne (originaire de Buenos-Aires) mot qui doit son origine au port de la ville. Parker se révèle un original, car il est organisé pour, à la belle saison, descendre de son bahut les meubles qui lui permettent de faire comme s’il installait son chez soi. Et puis, régulièrement, il passe des coups de fil à son patron et à des amis dont on ne saura jamais rien. D’autre part, il retrouve régulièrement un journaliste avec qui il convient de rendez-vous précis. Ceci dit, le journaliste apparaît plusieurs fois de manière inopinée à des lieux et moments ne correspondant pas au prochain rendez-vous fixé. On observe là une des caractéristiques de l’ambiance établie par l’auteur qui apporte une touche d’humour qui peut également être vue comme une touche d’un fantastique léger. Parker demande plusieurs fois son chemin.

Dans ce style, les indications qu’il obtient du journaliste valent le détour « Bon, alors prenez la 210 jusqu’à trouver un arbre abattu. Si vous dépassez les trois jours, revenez en arrière, parce que vous serez allé trop loin. Au croisement, prenez à gauche, c’est l’affaire d’un jour et demi, deux s’il pleut, mais il n’y a pas de contrôles. A Barranca Los Monos, dites que vous venez de ma part, je suis connu là-bas. »

En effet, comment le journaliste réussit-il à retrouver Parker dans l’immensité de la Patagonie, alors qu’il s’active autour de centres d’intérêt bien différents ? Le journaliste s’intéresse aux éventuelles traces laissées par d’anciens nazis venus s’établir dans la région pour se faire oublier et échapper ainsi à toute poursuite. Il considère que parmi les sous-marins de la Kriegsmarine soit disant disparus, certains ont pu servir à transporter discrètement des criminels nazis, avant éventuellement de disparaître pour de bon.

Une ambiance bien particulière

Mine de rien, ce roman enchaine les péripéties qui se rapportent aux deux caractéristiques déjà mises en évidence : l’humour absurde et un fantastique léger (à rapprocher du réalisme magique, même si Varela ne s’en réclame pas). Parmi les nombreuses rencontres de Parker, celle de la belle Mayten sera déterminante, en particulier parce que le routier en tombe amoureux.

Le souci, c’est qu’elle est mariée à Bruno, un homme violent. Ce sera néanmoins la chance de Parker, car Mayten cherche désespérément à échapper à Bruno.

Celui-ci tient une attraction très symbolique : un train fantôme (laissant entendre que les protagonistes évoluent dans l’incertitude). Et il emploie deux hommes (Eber et Freddy) que Parker confond régulièrement, alors qu’il les identifie sans peine comme des Boliviens, sans qu’on sache comment il fait : est-ce à leurs physiques (visages ?), leur accent ou un autre détail ? Dans le même ordre d’idées, dans ses pérégrinations, Parker passe par de nombreux endroits identifiés par des noms caractéristiques (Jardin Espinoso, Jardin Epineux ainsi que Mula muerta, Mule Morte ou encore Indio Malo, Indien Méchant, mais encore Puerto Hondo, Port Profond ou Santa Muerte, Sainte Morte ou bien Tambo Seco, Etable Sèche, etc.) qui en disent long sur la façon dont les autochtones perçoivent leur territoire. La traduction choisit de citer, derrière chacun de ces noms ou expressions, leur traduction en français. Cela donne un effet bizarre et particulier, qui balise l’univers mental que le lecteur se fait en cours de lecture.

Amitié et amour

Le roman se révèle d’abord constituer une illustration ou une allégorie de l’absurdité de notre monde. En effet, Parker avance sur des routes quasiment désertes et droites, dans une sorte de désert où il peut aussi bien se perdre que faire du surplace. Cela ne l’empêche pas de faire d’assez nombreuses rencontres et d’enchainer des péripéties assez improbables. En particulier, on note ses rencontres avec son ami le journaliste. Qu’est-ce qui motive leurs rendez-vous ? Qu’est-ce qui les rapproche l’un de l’autre, sachant que Parker ne s’intéresse pas spécialement aux anciens sous-marins allemands ? Bref, la personnalité de Parker n’émerge que très progressivement, au fil de ses errances. Celles et ceux qu’il rencontre servent de révélateur. Vraie question aussi : entre Parker et Mayten, n’est-ce pas avant tout une opportunité plutôt que de l’amour ? Les circonstances vont permettre d’en savoir plus.

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le 7 juil. 2024

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