Nous sommes en 1998. Deux ans après la sortie de Voyage et un an après celle de Titan, Stephen Baxter sort Poussière de Lune (Moonseed, en anglais) qui vient clôturer la « Trilogie de la NASA », trio de romans de science-fiction dure (ou hard-SF) dont les récits n’ont rien à voir entre eux mais sont liés par un thème commun. Mais revenons un instant à Titan, un livre très bien ficelé mais particulièrement déprimant. Hypothèse : Stephen Baxter, écrivain quarantenaire très déprimé, a décidé de se soigner en fourrant toutes ses névroses à la fois dans une sombre histoire de voyage désespéré à bord d’une boîte de conserve étroite et sale, sur fond de déliquescence de la Terre. Ambiance. La question est : cela a-t-il fonctionné ? Stephen Baxter s’est-il senti mieux après la parution de Titan ? Poussière de Lune apporte des éléments de réponses qui peuvent se résumer ainsi : pas tout à fait.
Ce roman introduit d’emblée une petite dose d’uchronie en mettant en scène la mission Apollo 18 (annulée dans la réalité véritable), au cours de laquelle un astronaute récupère une roche lunaire un peu particulière qu’il s’empresse d’étiqueter, puis d’oublier. Des décennies plus tard, à la fin des années 1990, un géologue génial mais contrarié dénommé Henry Meacher voit ses projets grandioses de sondes lunaires mis au rebut par la NASA et s’en va étudier des pierres de Lune dans la jolie ville d’Édimbourg, en Ecosse. Là-dessus, la mystérieuse pierre lunaire d’Apollo 18 refait surface et une poussière luminescente s’en échappe, se dispersant doucement sur les sommets de la ville, bâtie sur un très ancien volcan éteint. Rapidement, les premiers tremblements de terre surviennent et l’inquiétude grandit : y’a-t-il un lien entre la « poussière de Lune » et ces étranges manifestations géologiques ? Faut-il craindre un danger ? Henry Meacher est-il un salaud égoïste ou un génie ? Et surtout va-t-il sauver le monde ?
A priori, Poussière de Lune est assez différent de Voyage et de Titan. Il y est énormément question de géologie, surtout dans sa première partie, et les amateurs de volcans seront heureux d’en lire des tonnes sur le sujet. Il est d’ailleurs assez fascinant de constater que Stephen Baxter met autant de passion à décrire dans les détails des processus géologiques millénaires que les efforts d’un sous-traitant de la NASA pour concevoir un moteur de fusée. Les amoureux de l’Ecosse y trouveront également leur compte : c’est simple, on s’y croirait. Pour avoir eu la chance de me balader récemment à Édimbourg, je dois dire que la description y est très fidèle et que l’auteur n’a pas lésiné sur la documentation. Ou alors il y a vécu, ce qui expliquerait bien des choses. Bref, on passe d’abord beaucoup de temps sur Terre à causer géologie et à suivre la vie quotidienne de quantité de personnages dont tous ne sont pas forcément indispensables à la bonne marche de l’intrigue. On va dire que Stephen Baxter est comme ça : il aime que le lecteur s’attache à ses personnages (je vous laisse deviner pourquoi). Et la Lune, dans tout ça ? Que le lecteur se rassure : on finit par y arriver, mais progressivement. Poussière de Lune fait tout de même presque 800 pages et l’auteur prend tout son temps pour développer son récit, et finalement en revenir au principal point commun aux trois livres de cette trilogie : les voyages spatiaux hasardeux et bricolés.
En fait, Poussière de Lune fait parfois penser à ce que Robert C. Wilson (Spin, Les Chronolithes) écrirait s’il décidait de se lancer dans la hard-SF. Un des points de départ de l’intrigue, que je ne décrirai pas ici, fait même furieusement penser à la manière dont l’auteur canadien commence les siennes. Par rapport au reste de la trilogie, c’est peut-être aussi celui dans lequel Stephen Baxter se permet le plus de fantaisies : cette mystérieuse « poussière de Lune » vorace, par exemple, est un type de phénomène relevant bien davantage de la science-fiction classique que de sa variante « dure », et ce n’est peut-être pas plus mal. De manière générale, ce (long) roman est tout de même moins marquant que ses deux prédécesseurs mais n’en reste pas moins de bonne qualité, à condition d’aimer vraiment beaucoup ce style tout en pragmatisme à tendance apocalyptique. Enfin, il ne reste qu’à espérer que la conclusion de cette histoire a permis à Stephen Baxter de soigner sa grosse déprime de quarantenaire. Je crois qu’il en avait bien besoin.