Un couple décide à la cinquantaine de faire un pacte pour mettre fin à leur vie, à deux, arrivé à 80 ans.
Pour éviter la maladie, pour éviter le poids sur le moral, pour éviter le poids sur l'entourage, pour éviter le poids sur le corps, pour éviter la misère, pour éviter la décrépitude, pour éviter la dépendance, pour éviter qu'un inconnu te torche le cul...
Et de là le bouquin s'éclate en plusieurs chapitres comme autant de scénarios possibles sur ce qu'il adviendra de ce pacte : l'un met fin à ses jours, l'autre non, pourquoi ; les deux font marche arrière directement ou le moment venu ; les deux se font cryogéniser ; les deux entrent en maison de retraite prématurément pour accompagner au mieux la dégénérescence ; etc.
J'aime bien la vision désabusée qu'a souvent Shriver sur un sujet donné. Et sans m'offrir de solution j'ai encore apprécié voir toutes ces possibilités, des plus pessimistes, des plus décevantes, des plus gratuites, aux plus dystopiques, aux plus optimistes (ok y en avait pas TANT que ça d'optimistes, mais tout de même).
Très honnêtement j'aurais pu le lire à n'importe quel moment mais là ça tombait à pic avec le cap que passait mon grand-père. Non pas qu'il faille avoir un vieux croulant dans l'entourage pour apprécier les réflexions sur le sujet mais ça permet d'en avoir de manière plus crue un écho en soi et se faire une idée de ce qui est exagéré ou non. Quelque part je crois que ce que j'aime dans les livres de l'auteure c'est de moins m'en vouloir d'avoir des pensées égoïstes. Donc : j'ai vu les discordes entre ses enfants, le poids que ça pouvait être de s'en occuper/le suivre, sa vie qui lui échappait inexorablement, son monde bousculé le jour où il ne pouvait plus marcher et assumer sa vie par lui-même, lui qui était pourtant si autoritaire, décideur, meneur.
À deux doigts de refourguer le livre à ma mère qui a l'âge auquel on suit le couple lors de son pacte mais j'aurais eu peur qu'elle le prenne comme une invitation à mettre ses affaires en ordre pour ne pas m'encombrer. Avec potentiellement tellement d'années d'avance que la préoccupation maintenant en aurait été insultante.
Il y a la question de ce qu'on fait de ses parents, ce qu'on fera de nous-mêmes mais aussi ce qu'on fera de la belle-famille. C'est évoqué de manière plus anecdotique quand le couple évoque la fin de vie de leurs parents respectifs mais c'est peut-être la question la plus délicate. Dans mon entourage je n'ai pas d'exemples fonctionnels avant même que qui que ce soit en arrive à ce stade. Donc le jour où... ! Si en plus ça reste pour toi quelqu'un que tu n'as pas choisi et qui est greffé de fait, ça peut être délicat selon l'entente existante.
Je vais faire une comparaison sur la fin de vie horrible pour certains mais légitime pour moi : entre mon chien qui m'a déchiré le cœur le jour où j'ai accepté de le faire euthanasier dans mes bras quand il ne pouvait plus marcher sur ses deux pattes arrière, se pissait/chiait dessus H24 et couinait en luttant pour essayer de se lever sans y parvenir et mon grand-père qui est resté cloué dans un lit dans un état végétatif pour supporter la douleur quand il ne marchait plus et qui se faisait torcher le cul aussi... Bah pour moi c'est la même situation sauf qu'il y en a un qui n'a pas eu à connaître l'enragement de devenir spectateur de sa vie pendant des mois en attendant que son corps finisse par lâcher, sans même pouvoir prévoir le moment pour réunir ses proches qui ne l'ont fait qu'au moment d'assister à l'enterrement.
Et parallèlement j'ai un père que j'aurais fait souffrir égoïstement plus longtemps pour ne pas qu'il me lâche. Malgré ma vingtaine j'étais trop peu responsable pour avoir eu la pleine mesure du poids que ça représentait donc je dis ça avec légèreté.
Donc ces réflexions sont tellement légitimes et pourtant l'instant venu, est-ce que c'est si simple de dire stop ?
D'un côté je suis ressortie ravie de ma lecture de ne pas avoir encore l'âge de me poser concrètement ces questions sur ce qui vaudrait le mieux pour mon entourage et moi-même pour ma fin de vie et EN MÊME TEMPS, une part de moi a sincèrement trouvé que c'était quand même une chance d'en arriver à cet âge pour se les poser. (j'espère me rappeler que j'ai un jour pensé ça quand l'angoisse me gagnera le moment venu, j'espère accepter avoir fait mon temps)
À noter : Ce que j'ai trouvé intéressant aussi a été le fait que dans tous les scénarios envisagés, à aucun moment il n'y a eu celui que les parents soient pris en charge par les enfants pour leur fin de vie. Récemment j'ai entendu un serbe comparer sa culture serbe à sa culture française et expliquer que sur la fin de vie des proches il y avait un gap car pour beaucoup en France la maison de retraite sera envisagée alors que chez beaucoup de serbes la famille évolue/se construit dans cette idée d'un jour reprendre les parents âgés à leur charge complète dans la vie quotidienne.
Je m'en suis rendue compte qu'après avoir entendu ça que ça n'était pas quelque chose d'envisagé dans le bouquin. Pas vraiment d'avis sur le sujet, je pose ça là.