J'aime profondément Mona Chollet. J'ai lu Sorcières, puis Chez soi. Ses livres m'accompagnent depuis quelques mois déjà.
Des copines me disent depuis longtemps " Il FAUT lire Beauté fatale !!" alors je l'ai lu, fini hier soir.
Il en ressort :
- beaucoup de douleur : de me rendre compte, toujours un peu plus, de la façon dont les diktats féminins qui se sont imposés à moi depuis toute petite ont forgé ma personnalité voire mon identité. Pour le dire plus simplement, avec Beauté fatale je prends conscience de mon besoin de validation par l'ordre dominant de la normalité de ma féminité. Ça explique ma tendance dépressive quand je me suis coupé les cheveux : j'avais l'impression d'avoir perdu une partie de moi, or j'avais juste perdu l'attribut féminin par excellence, sensuel, parfumé, envoûtant, blabla. Beauté fatale : tout est dans le titre. Comme si je ne pouvais pas échapper à ce destin de femme qui ne peut se sentir bien, safe, apaisée que lorsqu'elle a l'accord des hommes et des femmes qui relèvent de ces normes de beauté, et de leurs institutions.
- beaucoup de dégoût : pour ces hommes et ces femmes qui entretiennent le système de domination des femmes par leur objectivisation. Comme l'écrit Chollet, on est tous et toutes des objets sexuels à un moment ou un autre. Le problème avec les femmes c'est qu'on leur demande de n'être que ça : un corps impeccable à la plastique lisse, avec des seins parfaits mais faux qui diminuent le plaisir sensoriel. Beaucoup de dégoût pour Polanski, pour Hollywood, pour le monde de la mode, pour la chirurgie plastique, pour le peu d'estime de soi qui ressort de ces existences conformes aux normes tristes, tristes, tristes.
- une grande volonté de m'aimer en tant que corps. Chollet rappelle qu'avec le temps (comprendre : avec l'apogée de l'ère chrétienne et ses dérivés désincarnants), on a dissocié le corps de l'esprit. Alors que nous ne sommes qu'un corps : nous n'avons pas un corps, nous sommes un corps. Tout communique, le cerveau se nourrit des autres cellules, et tout circule dans notre corps en harmonie ; y'a que notre petite tête étriquée pour penser qu'on est autre chose que notre corps. Ça me donne envie de prendre soin de mon corps, mais pas d'en prendre soin en allant à la salle où je pourrais trop facilement glisser vers la comparaison. D'en prendre soin en le faisant respirer en allant courir ou nager, sans me comparer aux autres, en ressentant la grande joie de sentir mon corps s'épanouir dehors, mes muscles se contracter, mon pouls s'apaiser au bout de quelques minutes, et toute la fabuleuse machine de moi-même entrer en endurance pour un peu ou plus de temps.
- de la tristesse parce que Chollet, à l'inverse de Chez soi, dénonce beaucoup beaucoup, avec plus de mépris que d'habitude (et elle me fait rire, mais je comprends que ça puisse blesser), en laissant peu d'alternatives à cette féminité contrôlée et ces diktats sur les corps féminins. J'ai l'impression que si je ne me mets pas à faire des choses incroyables, du style écrire un roman très stylé, je ne pourrai jamais sortir de ces diktats. Comme si le prix à payer pour ne pas passer sa vie à essayer d'être une femme parfaite était d'être une femme géniale, incroyable, fantastique. Quelle place pour les femmes banales, sans génie ? Le livre en parle peu, et Mona Chollet elle-même semble se servir de son génie pour barrer le passage aux diktats qui l'étoufferaient sinon. Elle y arrive très bien parce qu'elle est vraiment géniale, mais je ne suis pas sûre qu'on soit toutes des Mona Chollet, même en herbe.