Difficile de critiquer Clair de lune car les recueils de Maupassant – je parle bien des recueils, pas des contes – ressemblent aux zèbres d’une même troupeau : il faut être spécialiste pour déceler leurs différences. Or je ne suis pas spécialiste de l’auteur, je ne le serai jamais, ni même un de ses amateurs éclairés, dusse-je lire toute son œuvre. Je sais qu’il est de bon ton de considérer Maupassant comme un de ces écrivains faussement simples, plus complexes que ce que leur production laisse voir – ce qui ne signifie pas que les écrivains simples soient les moins plaisants à lire. Mais je reste persuadé qu’il est rare d’être littérairement impressionné par un texte de Maupassant – en tout cas pour ses textes dits réalistes – : on peut être surpris par une des ses chutes, marqué par tel ou tel élément de scénario, mais son écriture manque encore de richesse, d’ambiguïté, de variété pour correspondre à mon esthétique.
Je reviens à Clair de lune. Deux des textes du recueil me paraissent sortir du lot : « Le Pardon » (la vengeance d’une femme) et « Une veuve » (les regrets d’une femme), et quatre autres assez bonnes : « Clair de lune » (les regrets d’un abbé), « Le Loup » (la vengeance d’un loup), « La Reine Hortense » (la turpitude d’une famille) et « Les Bijoux » (la turpitude d’une femme). Ceci grâce à un sens de la construction, à des qualités d’observateur et à un goût immodéré – seuls Mirbeau et à la rigueur Zola le surpassent dans ce registre – pour ce que l’âme et le cœur ont de plus vil : Maupassant, le chien truffier de la bassesse humaine.
Notons tout de même que la plupart des nouvelles de Clair de lune sont relativement moins misogynes que le gros de la production de Maupassant. Ce dernier a beau voir en la femme un animal comme les autres (en l’occurrence une chienne, cf. « Mademoiselle Cocotte » – j’aimerais d’ailleurs lire un jour une étude sur les animaux chez Maupassant, si ça n’est pas été fait ça devrait l’être), ça pourrait être pire – ou mieux, selon le point de vue duquel on se place.
J’écris ces lignes alors que les Contes cruels sont une de mes lectures en cours. C’est saisissant : publié quelques mois avant la première édition de Clair de lune, le recueil de Villiers de l’Isle-Adam illustre assez bien, par contrepoint, ce qui manque à Maupassant. Conteur honnête qui maîtrise les ficelles du métier, ce dernier s’embarrasse assez peu de ce qu’il faut bien appeler grandeur d’âme, – et ne peut donc transmettre que des mouvements mécaniques à ses personnages, via d’autres ficelles trop raides.