Le nouveau roman de Laurent Mauvigner s'ouvre sur une scène in medias res sous tension, digne d'un western où deux voyageurs, surpris et menacés par un groupe de bandits, sont sauvés de justesse par un couple de justiciers qui les accueillent au sein d'une gentille communauté d'autochtones. Une fois abreuvés, armés et reposés, nos deux voyageurs sont prêts à reprendre la route et à affronter les dangers qui les attendent en chemin, s'éloignant sur leurs montures vers l'horizon désertique du Kirghizistan...
Nous ne sommes donc pas dans le farwest américain des années 1800 mais bien en 2016, en Asie centrale où mère et fils ont entrepris un voyage de trois mois, une plongée immersive "into the wild" version kirghize.
Leur escapade sauvage devient le lieu d'un voyage initiatique pour Samuel, le fils adolescent renfrogné et timide qui glisse sur une mauvaise pente depuis le divorce de ses parents et son récent déménagement à Bordeaux. Au cours de ce voyage, il va apprendre à découvrir et à aimer sa mère, cette "autre" qu'il ne connaît pas, névrosée malheureuse qu'il préfère détester parce qu'elle l'a entrainé loin de son père, de ses amis, de son quotidien à l'autre bout du monde dans l'espoir fou et dérisoire de le sauver. C'est au même rythme que le fils que nous découvrons la mère, Sybille, dont la vie s'est interrompue le 25 juillet 1995, jour où elle a perdu tragiquement l'homme qu'elle aimait, renonçant alors à l'amour, à l'espoir, jour depuis lequel elle est devenue spectatrice de sa propre vie, la subissant jour après jour. Mais au gré des chevauchées, des aventures et des rencontres, ses souvenirs ressurgissent par bribes, dans ses rêves, où se côtoient les ombres de son passé. La beauté sauvage des paysages sert de toile de fond à son introspection, au milieu des plaines désertiques, des lacs silencieux et des chemins escarpés elle se souvient de sa carrière de chirurgienne interrompue, de son roman à jamais inachevé, de Gaël, de sa moto, de Bowie et de son amour pour Beckett, pour la littérature, pour la vie... Tout ce que son fils n'a jamais vu d'elle, tout ce qu'elle a tu durant tant de temps, tout ce qui finalement rapproche ces deux inconnus qui se ressemblent tant.
Sybille voulait sauver son fils, c'est finalement lui qui la sauvera, qui la poussera à réapprendre à vivre et à aimer, qui l'incitera à continuer.
Laurent Mauvigner sublime la banalité d'un conflit générationnel dans un hymne optimiste à l'altruisme et à la tolérance.