Anne-Sophie Jacques et Maxime Guedj publient aux éditions Les Arènes un ouvrage intitulé Déclic et appelant les utilisateurs à se réapproprier les outils du numérique pour faire renaître les espoirs du début de l’Internet : la liberté, l’information, le partage…
Dans son autobiographie intitulée Mémoires vives, le lanceur d’alerte Edward Snowden écrivait ceci : « Prétendre que vous n’accordez aucune importance au concept de vie privée parce que vous n’avez rien à cacher n’est pas très différent que d’affirmer que vous n’avez que faire de la liberté d’expression parce que vous n’avez rien à dire, ou que la liberté de culte vous indiffère puisque vous ne croyez pas en Dieu, ou encore que vous vous moquez éperdument de la liberté de réunion parce que vous êtes agoraphobe, paresseux et antisocial. » À lire Anne-Sophie Jacques et Maxime Guedj, la remarque prend tout son sens. Google sait tout de nos déplacements, de nos rendez-vous professionnels ou personnels, de nos centres d’intérêt. Facebook nous maintient sous son emprise dans une relation asymétrique où la seule négociation possible consiste à quitter le réseau et renoncer à ses services. Dans ces firmes comme ailleurs, les neurosciences ont fait leur œuvre : après avoir collecté les données des utilisateurs, on cherche à prédire leurs besoins. On crée des attentes, on exploite les biais cognitifs, on met en place des outils d’analyse du Big Data. Et les auteurs de noter : « Le schéma d’extraction est donc le suivant : nous sommes conquis par un service, souvent gratuit, qui nous rend dépendants et à qui nous livrons toujours plus de données personnelles. Ces informations permettent à ce service d’anticiper nos besoins futurs, en développant de nouvelles fonctionnalités qui ne manqueront pas de nous séduire, puis de nous rendre accros, même lorsque le service devient payant – tout en continuant à récolter nos données pour anticiper nos besoins futurs, ainsi de suite… La boucle est bouclée. »
Si les GAFAM font valoir une puissance de feu tentaculaire, il est difficile d’en tempérer les excès. Anne-Sophie Jacques et Maxime Guedj rapportent par exemple que « suite à l’affaire Cambridge Analytica, Facebook a été condamnée le 12 juillet 2019 à une amende record de 5 milliards de dollars. Le chef d’accusation est clair : l’entreprise a été reconnue coupable d’avoir « trompé ses utilisateurs et compromis leur choix de protéger leurs données privées ». Même pas mal. Au lendemain de l’annonce de la sanction financière, la valorisation de l’entreprise a augmenté de 6 milliards de dollars. » Les auteurs racontent aussi comment Android, système d’exploitation mobile mis à disposition de tous par Google, permet au géant de la Silicon Valley d’installer sur nos smartphones toutes ses applications par défaut. Un krach boursier mémorable coûta au numérique 100 000 emplois et 145 milliards de dollars entre 2000 et 2001, ce qui entama à peine sa marche en avant. Elle est inexorable : « Même une application telle que Météo-France, fournie par un service public, collecte la localisation de ses utilisateurs et communique avec une dizaine de régies publicitaires, dont Facebook, Google, Twitter et Amazon pour les plus connues. » Quant à Edward Snowden et Brittany Kaiser, ils ont respectivement démontré les liens entre les organismes de renseignement et les GAFAM, et entre ces derniers et la propagande électorale. Comment, dans ces conditions, espérer revenir à l’esprit d’émancipation, de partage et de connaissance qui a présidé aux débuts de l’Internet (sur lesquels les auteurs reviennent amplement) ?
C’est ici, après avoir évoqué pêle-mêle la nomophobie, les photographies de Babycakes Romero, le travail des community managers, l’open source, la neutralité du net ou la naissance de l’interface graphique chez Xerox, qu’entre en scène un manuel d’auto-défense numérique composé de quinze fiches pratiques. Ces dernières, bien à part dans l’ouvrage, donnent des indications précieuses au lecteur sur le choix de ses mots de passe, sur l’emploi d’un VPN, sur Firefox et ses extensions, sur le navigateur Tor, sur les moteurs de recherche « alternatifs » (comprendre : à Google), sur les différents services de messagerie ou sur la manière de s’informer sur Internet. C’est par des moyens déjà disponibles mais encore méconnus, judicieusement mis en lumière dans Déclic, que l’utilisateur de services numériques pourra se réapproprier des outils que les deux auteurs estiment dévoyés.
Sur Le Mag du Ciné