Illustre inconnu lors de la publication d’Ecrits fantômes en 1999, David Mitchell s’est depuis taillé une réputation flatteuse au Royaume-Uni et bien au-delà de ses frontières. Certes, l’écrivain anglais est loin d’atteindre en France les volumes de vente d’un Ken Follett ou d’un Harlan Coben, mais chacun de ses romans est attendu avec une certaine impatience par la critique et par les fans. Deux romans auront suffi à construire et à asseoir sa réputation, Ecrits fantômes et Cartographie des nuages, deux petits bijoux qui impressionnent par leur construction narrative sophistiquée, aussi bien que par leur foisonnement d’idées et leur capacité à fusionner les genres (polar, SF, fantastique, roman historique). C’est cette capacité à intégrer et à restituer brillamment ces différentes influences, mais aussi son audace sur la forme, qui a poussé de nombreuses critiques à faire de David Mitchell l’un des fers de lance de la littérature “post-moderne”. Si le terme peut prêter à sourire tant il est vide de sens pour les lecteurs un peu familiers des mauvais genres, il n’en demeure pas moins qu’on aura rarement vu un auteur manipuler avec tant d’aisance des concepts, des procédés et des thématiques jusqu’à présent circonscrits à des genres bien délimités. Il faut bien reconnaître que David Mitchell fait partie de ces auteurs qui ont réussi à dynamiter les barrières littéraires, piochant au gré de ses envies et sans aucun complexe ce qui apparaissait de meilleur dans chaque littérature de genre. Depuis, Francis Berthelot a proposé dans son essai Bibliothèque de l’Entre Mondes le terme de “transfiction” pour tenter de regrouper cette “nouvelle forme” de littérature qui s’affranchit allègrement des étiquettes, transgresse la taxonomie littéraire et choque les papes de l’orthodoxie culturelle. Las, le terme est loin d’avoir mis tout le monde d’accord, les plus perfides faisant remarquer que Berthelot pratiquait ce qu’il tentait lui-même de dénoncer en essayant de regrouper cette nébuleuse littéraire sous une nouvelle “étiquette”. C’était mal comprendre la volonté d’ouverture de Francis Berthelot et surtout le succès d’oeuvre aussi étranges et variées que celles de Mark Z. Danielewski, de Haruki Murakami ou de Jose Carlos Somoza, preuve que le public est prêt, lui, à s’affranchir des carcans hérités du passé.


Résumer la trame d’Ecrtis fantômes a quelque chose de vain et de foncièrement bancal car le roman vaut surtout pour sa construction narrative complexe, une telle tentative de synthèse éventerait par ailleurs tout effet de surprise, rendant la construction savamment orchestrée par David Mitchell totalement caduque. Tout juste faut-il spécifier qu’il s’agit d’un roman polyphonique dans lequel chaque chapitre est consacré à un personnage, un lieu et parfois une époque différente, chaque nouvelle qui le compose est reliée par un fil ténu à l’ensemble de cette oeuvre étrange, dont le dessein se révèle avec une extrême lenteur. Qu’y a-t-il en effet de commun entre un terroriste auteur d’un attentat au gaz sarin à Tokyo, un jeune disquaire japonais fan de jazz, un avocat d’affaire de Honk-Kong en mauvaise posture, un être immatériel qui transmigre de corps en corps en Mongolie ou bien encore des professionnels du vol d’oeuvres d’art à Sain-Petersbourg ? Mitchell diffuse habilement quelques indices, des personnages se croisent, se retrouvent plus ou moins imbriqués dans des affaires parallèles, comme si le monde n’était en réalité qu’un petit village dans lequel chacun connaîtrait plus ou moins ses voisins. On comprend assez rapidement que le roman se présente sous la forme d’une errance géographique, contrairement à Cartographie des nuages, qui était une errance à travers le temps, jusque dans un futur éloigné. Mitchell mélange évidemment habilement les genres, passant avec une maîtrise peu commune d’un registre à l’autre, adaptant son style avec une facilité déconcertante, construisant au final un roman aux qualités littéraires indéniables malgré quelques passages un poil bavards ; maîtriser le soliloque est de toute façon un art difficile, mais les personnages de Mitchell le pratiquent avec un certain bonheur, pour ne pas dire un bonheur certain. Évidemment, c’est une fois la dernière page tournée que l’ensemble prend apparemment tout son sens, que les pièces de cette étrange construction s’assemblent et s’imbriquent, laissant tout de même sur le final une dernière part de mystère, qui vous poussera irrémédiablement à reprendre depuis le début votre lecture. Juste histoire de vérifier un ou deux éléments de cette étonnante mystification finale.
EmmanuelLorenzi
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le 8 nov. 2012

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