Ce pamphlet de Bégaudeau, visant un profil sociologique bien précis (bourgeois parisien progressiste, mondialiste, macroniste et à la pensée creuse comme du bois mort), s'acharne tout au long de ses 250 pages à moquer sa cible, la mépriser, lui dévoiler ses incohérences et pointer ses inconsistances, sans faire l'économie d'une certaine auto-dérision. Lorsqu'on a déjà côtoyé des êtres se rapprochant de cet archétype (voire l'incarnant), ce texte devient délicieusement drôle, voire roboratif. Bégaudeau parvient à mettre des mots sur du ressentiment instinctif. Avec une certaine satisfaction, teintée de vanité, je ne me suis pas reconnu dans le "tu" employé par l'auteur pour désigner sa malheureuse proie. Distance qui n'a fait que décupler mon plaisir sadique, prise de recul utile pour mieux cerner le personnage réceptacle du propos et l'identifier au sein de mes fréquentations.
Par ailleurs, Bégaudeau ne s'arrête pas au plaisir qu'il livre à son lecteur par ses attaques sarcastiques. Il offre aussi une certaine vision du monde, un mode d'emploi pour mieux exercer son esprit critique, des réflexes à épouser pour moins mal penser. Il rappelle la nécessité du matérialisme (au sens philosophique), de l'auto-critique, du point de vue macroscopique, de la remise en question permanentes des vérités morales, mais aussi la futilité de postulats comme "les valeurs", "les extrêmes", "l'ouverture" vs "la fermeture" etc...
J'ai beaucoup apprécié, enfin, le courage de l'auteur à interroger voire critiquer certains axiomes et postures presque sacrés à "gauche" (au centre), comme une vision totalitaire et morale du féminisme, la cécité à l'égard des différences, la fermeture hermétique aux sympathisants de la droite radicale - dans la vie comme dans les livres - etc... Bégaudeau fait ainsi montre d'une pensée complexe, d'une philosophie du doute à géométrie invariable, et d'une congruence intellectuelle appréciable.