Tandis que l'horreur était au fondement des précédentes œuvres de Franck Thilliez ici vous plongerez plutôt dans le suspens et l'audace d'un mélange de polar noir et de fantastique. Il s'agit d'un one shot, avec de tout nouveaux personnages pour une histoire des plus farfelues qui tient en haleine.


Le rythme du roman est soutenu, c'est dû à l'écriture de l'auteur que j'apprécie : ses phrases courtes et directes, sans chichi. Une description brute. Sans compter la multitude de petits chapitres qui s'accorde avec la narration découpée. L'on suit l'évolution de plus de deux personnages dont les principaux sont le flic Victor Marchal et le créateur Stéphane Kismet (S.K. hommage à Stephen King qui passe sa vie a créer des monstres). Thilliez utilise majoritairement le narrateur omniscient et pratique la multiplication des focus sur plusieurs personnages. Certains diront que c'est le choix de la facilité, moi je dirais que c'est aussi prendre le risque que le lecteur soit détaché de l'histoire et ait du mal à s'attacher aux personnages. Verdict ? Hm, je crois que mon manque d'empathie envers les protagonistes ne vient pas de la narration, mais plutôt de l'intrigue. D'habitude j'aime Sharko et Hennebelle. Mais ici, l'auteur peine tellement à nous émouvoir qu'il se sent obligé de nous dire ce qu'il faut ressentir au lieu de nous le montrer. Les ressentis sont trop balisés.


Pour ce qui est de l'intrigue, elle est originale, comme chaque fois, et toujours incroyablement travaillée dans le détail. Notons aussi l'implication personnelle des personnages, puis l'imbrication des éléments qui a priori n'ont que peu de rapport. Tout ça fait la force et la réussite d'un Thilliez planificateur qui manie la technique de la dissimulation d'indices avec brio. Ce que j'aime dans ses romans, ce sont les crimes sombres et les personnages torturés, et bien sûr les puzzles tordus. Mais à vrai dire, il m'avait habitué à mieux. Je crois que c'est à partir de ce roman qu'il a délaissé le gore (enfin on dirait), à mon plus grand regret.


Malgré tout, je dois dire que ses personnages manquent tous un peu de crédibilité. Bon, commençons par les femmes qui ne sont pas épargnées et sont toujours aussi sexualisées. Dès qu'une nana fait sont apparition, c'est sa plastique qui est décrite la première, les autres personnages sont obnubilés par son physique. Les mecs (surtout les flics) se rincent l’œil sans problème : la femme de Stéphane, celle de Victor et celle d'Hector Ariez aussi. Je vous le montre en citation :


"Elle se rua dans la salle de bain et se donna un coup de brosse à cheveux. Pantalon de jogging, pas maquillée, yeux lourds et gonflés de sa mauvaise nuit, bonjour la féminité !" (chp.44) Tout ça parce qu'un inconnu (Stéphane) sonne à sa porte à l'improviste et qu'elle ("la jolie Vietnamienne" (chp.45)) vient de passer sa matinée à faire le ménage (une tâche péjorativement féminine) dans son appartement. Depuis quand la féminité se résume au maquillage et aux vêtements ? Depuis quand faut-il être apprêtée pour recevoir quelqu'un chez soi ? Quelle angoisse.


Sans oublier que les personnages féminins sont assez passifs, ils subissent les choses, ne prennent pas vraiment de décision qui les impliquent dans l'histoire. Elles ne se mouillent pas.


Les hommes sont soit macho, soit négligeant envers les femmes. Je cite encore un flic "T'es pas à la brigade pour chômer. Ta femme on s'en cogne. Amène-toi !" (chp. 48) et ce genre de réplique foisonne dans le bouquin. Pourquoi ? Ce serait un parti pris de fabriquer un personnage cliché à souhait, un homme mysogine et détestable, mais là c'est une armée de personnages qui partagent ces comportements...


Quant aux protagonistes, et surtout Stéphane, ils manquent de réalisme. Vous y croyez vous à un type qui laisse toute sa vie lui échapper, son couple, sa carrière et qui n'est pas fichu d'apprendre de ses erreurs tout ça pour se plaindre de son sort ? Moi, j'ai passé un nombre de fois incalculable à le critiquer à haute voix : "Mais qu'il est con, pourquoi il fait ça ? Ça parait évident qu'il ne faut pas qu'il fasse ça." Au delà du fait que je m'investi beaucoup dans un roman de Thilliez (ce qui est un bon point), je pense que ça traduit la nécessité pour l'auteur de créer des personnages légèrement... idiot pour servir son intrigue incroyablement tirée par les cheveux. Je comprends que jouer avec le temps ce soit difficile, surtout quand le lecteur ne prend pas ce qu'on lui donne à lire pour acquis. Personnellement, j'ai tout remis en question, surtout concernant la cohérence des éléments dans le temps, jusqu'à obtenir une réponse satisfaisante concernant ce mic-mac temporel.
Bien que je pense avoir relevé une erreur :


Au chapitre 68, lorsqu'on se trouve dans le passé aux côtés de Stépas, il est écrit "se glissa à travers un trou dans le grillage, ce même trou qu'il avait vu dans son rêve [La cassette vidéo]" or dans ce chapitre nous sommes le 5 mai et Stépas ne peut pas avoir déjà fait ce rêve puisqu'il est censé le faire le 6 mai


Heureusement, Thilliez avait pensé à tout et il a donc rattrapé mon intérêt. Mais, ça n'empêche que Stéphane et Victor font des choix parfois difficilement justifiables. Exemples :


On en parle du fait que Stéphane s'imagine sauver une gamine d'un enlèvement mortel en l'emmenant sur le lieu du "crime" et en lui interdisant formellement de ne jamais revenir à cet endroit, de ne jamais parler à un inconnu (alors qu'il en est un) et, au cas où elle viendrait quand même, d'utiliser un couteau pour planter son agresseur ? La gamine a moins de 10 ans ! Bien sûr qu'elle va braver l'interdiction et revenir. Enfin, si Stépas dit lui-même ne pas être capable de tuer quelqu'un (alors qu'il s'agit du meurtrier, chp 68), je ne vois pas comment une enfant pourrait se défendre. Un peu de bon sens serait bienvenu. Sans compter que juste avant d'effectuer cette action débile, Stéphane aurait pu se douter de l'échec de sa tentative puisque que son rêve l'avait averti qu'il partirait en trombe après avoir acheté une grille de loto gagnante et laissé cette grille sur place... Bref.
On en parle de Vic qui retourne seul dans le repère de Noël Siriel alors qu'il sait qu'il est armé et dangereux et qu'il est complice des meurtres sadiques ? Pourquoi ne pas prévenir la brigade alors que ses collègues sont avancés sur l'enquête et que son supérieur le suivrait sur n'importe quelle piste tellement il l'a à la bonne (chp. 75).


Enfin, le final est décevant. L'énigme était si longue, si pénible, si précise ; le meurtrier était si mystifié, si détesté, si redouté, que je m'attendais à un affrontement digne d'un boss de jeu-vidéo ! Mais Thilliez a expédié la résolution. Il a joué la carte du suspens jusqu'au bout en mode Who done it et pour nous empêcher de lâcher le livre, mais la tension tombe à plat. Cela explique sûrement qu'il rebondit sur un épilogue proche d'une fin à la Jusqu'en enfer de Sam Raimi.


Finalement, j'ai beaucoup aimé lire ce policier, j'ai activé mes méninges et je n'ai pas réussi à identifier le coupable avant la fin, alors rien que pour tout ça, je ne dénigrerais jamais le travail énorme que Thilliez a abattu, et je ne rejetterai pas non plus son imagination. Encore une fois, j'aime retrouver ses influences culturelles comme le nouveau clin d’œil à Memento de Christopher Nolan (comme c'était le cas dans La Mémoire fantôme). J'ai hâte de lire son prochain roman !

abauteure
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le 27 juil. 2020

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