Qôhéléth est un privilégié de la vie. C'est un sage qui a passé sa vie à étudier. C'est un propriétaire terrien aisé. En dépit de ceci, il a écrit le livre le plus nihiliste de l'Ancien Testament: rien n'a de sens, il est inutile de chercher quelque signification que ce soit à ce qui fuit et meurt sous la lumière du soleil. C'est Dieu qui règle toutes choses, et ses desseins sont incompréhensibles.
Rien ne vaut rien, et il vaudrait mieux n'être pas né.
Parfois, ce pessimisme radical s'éclaire un peu: il faut profiter de l'adolescence pour jouir de la lumière, il est heureux de pouvoir vivre à deux; "et j'ai loué la joie, car il n'y a rien de bon pour l'homme sous le soleil, si ce n'est de manger, de boire et de se réjouir".
Ces réflexions laissent entrevoir des influences de la philosophie grecque: pyrrhonisme, épicurisme. On pourra s'étonner de l'intégration d'une vision philosophique aussi profane, aussi dépourvue d'espérance, dans le corpus des écrits bibliques. De fait, les quelques références fidéistes (respecter les règles religieuses, avoir confiance en Dieu) apparaissent comme rares et surimposées après coup.
Ce livre tardif a dû certainement séduire le public juif au point que l'on y a introduit quelques notations religieusement orthodoxes afin de pouvoir l'intégrer parmi les livres saints.
La postérité de l'Ecclésiaste est matérialisée par la réputation de sévérité morale et de refus de vivre qui s'est manifestée dans les courants les plus intégristes du judéo-christianisme, et qui, par contrecoup, a pu susciter la réaction de libération de l'humanisme et des Lumières. Or, l'Ecclésiaste comporte un aspect épicurien qui, en son temps, pouvait apparaître comme une sorte de libertinage aussi bien comportemental que religieux...