Avec ce premier roman devenu un classique de la littérature internationale, Camus inaugure sa trilogie de l'absurde qui sera suivi par la pièce de théâtre : "Caligula" et l'essai philosophique : " le mythe de Sisyphe".
L'aspect absurde mais bien réel du monde et des mécaniques sociales qui entourent le protagoniste sont donc au cœur du récit. Meursault a conscience de l'absurdité de l'existence au sens où elle n'a pas de sens en soi. Mais ce qui le rend véritablement étranger, c'est le fait que les autres et toutes les institutions qui composent la société, ne sont pas parvenues à cet état de conscience réflexif.
Car pour Camus, l'absurde est une étape philosophique nécessaire. Un ressenti individuel primordial permettant de partir sur des bases plus "saines" dans le respect de l'intégrité de chacun et dans la construction de nos institutions.
En effet, il s'agit pour lui de pointer du doigt et de remettre en question les perspectives mécaniques du monde (et de la société en générale) qui écrasent l'individu.
Meursault est écrasé par une mécanique sociale aveugle qui n'a pas fait l'expérience de l'absurde et qui donc n'a pas le recul nécessaire pour interroger son fonctionnement et les limites de son fonctionnement. Dans le roman, c'est la justice institutionnelle qui se montre injuste envers Meursault ( SPOIL : même s'il a commis un crime irréparable dont il semble prêt à en assumer les conséquences en acceptant une punition, mais n'allant pas jusqu'à la condamnation à mort) car le système judiciaire se laisse porter par des mécanismes qui fabriquent des postulats et des principes absolus sortant de la complexité des contextes et des singularités en devenant des dogmes fortement enracinés.
Il me semble que pour Camus, l'idée n'est pas tant de trouver du sens. Du moins pas un sens absolu. Il faut reconnaître qu'il n'y en a pas en soi. Et surtout, lâcher prise avec l'espoir qui découle de cette recherche vaine. Si solution il peut y avoir, elle commence par la négative.
Ce qui compte c'est le processus qui amène à s'interroger sur le fonctionnement d'une chose existante. C'est la remise en question du sens qui est vecteur de changement et qui s'ouvre sur un champ composé de perspectives nouvelles, laissant un espace de " liberté" et de création à l'échelle de l'individu dont pourrait en bénéficier possiblement la société entière.
Mais pour cela, il faut d'abord être traversé par cette expérience de l'absurde, ce qui semble profondément difficile pour toutes ces structures sociales qui tentent de se pérenniser aveuglément dans le temps.
Une très belle œuvre donc qui tente courageusement de coupler une œuvre littéraire à la construction d'une philosophie pratique.
Mais aussi qui s'insurge contre toutes les mécaniques sociales qui étouffent l'élan vital, singulier, créatif
de l'individu.