Paru en novembre 2014 aux éditions Le chemin de fer, ce court roman d’Eric Pessan, illustré par des œuvres de Frédéric Khodja, évoque le retour étouffant d’Anna et de ses deux frères dans la maison de leur enfance pour régler l’héritage de leurs parents, une maison qui se délabre et d’où remontent les marques mordantes, la parole scellée et les douleurs rentrées de leur enfance.

«Des éclats remontent, vifs et colorés, d’une netteté hallucinante.»

Pour échapper à la pesanteur de cette maison et de leurs souvenirs, frères et sœur se retrouvent dans le jardin pour jouer au loup. Les gestes d’enfants leur reviennent, conservés intacts dans la mémoire du corps mais impossibles à reproduire chez ces adultes aujourd’hui contrôlés et distants les uns des autres. Le pays spontané de l’enfance, désormais perdu, affleure, en même temps que les mots rentrés des anciennes zones d’ombre.

«Peu à peu, ils perçoivent une odeur ; pas celle de la pourriture, une odeur plus difficile à saisir, une odeur qui – lentement – se déploie ; une odeur à peine perceptible tant l’air est irrespirable ; une odeur familière pourtant, qu’ils connaissent parfaitement : celle de la maison d’avant, celle de leur enfance. La puanteur lustrée de leur passé.
Cette maison – leur mémoire – est un musée qu’ils visitent comme l’on rentre dans un pays ruiné.»

Ce récit sombre s’illumine autour du personnage solaire d’Anna, enfant étrange devenue étrangère dans sa propre famille. Anna s’est rebellée, a négligé les rituels et attentes parentales, a exprimé son rejet de la violence et de la prédation dans les dessins, la musique et la mode, a multiplié les amants et les provocations.

«Anna se moque. Tu ne veux pas être le loup ? rit-elle. Tu ne veux pas endosser la peau de l’animal ? Tu te souviens du latin ? demande-t-elle essoufflée, les Romains qui appelaient louves leurs putes.»

Comme c’était le cas dans "Muette", son précédent roman paru en 2013, l’écriture subtile et maîtrisée d’Éric Pessan, sa capacité à dire les non-dits dans les blancs de la langue impressionne, dans ce roman jalonné des injonctions à double fond des comptines d’enfants .

«Parler n’a pas été, n’est pas, et ne sera pas possible. Trois loups s’accrochent aux branches d’un roman familial complexe dont le tronc se perd bien au-delà de ce qu’ils savent eux-mêmes.»
MarianneL
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 9 nov. 2014

Critique lue 226 fois

3 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 226 fois

3

D'autres avis sur La fille aux loups

La fille aux loups
zazy
9

Lourd secret

Eric Pessan met le doigt là où ça fait mal. C’était déjà le cas avec Muette. Ici, une fratrie en complète déliquescence se retrouve pour débarrasser la maison des parents disparus avant sa mise en...

Par

le 6 mai 2015

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4