Tourisme désopilant dans un des mondes les mieux fichus de la Fantasy

(livre lu en anglais donc cet avis ne tient pas compte de la qualité de la traduction française)


La Huitième Couleur est le premier roman de la célèbre série du Disque-monde de feu Terry Pratchett. À la suite d'une série d'événements malheureux, Rincevent, un sorcier raté et lâche, est soumis au chantage du puissant patricien qui exige de lui qu'il protège Deuxfleurs, le tout premier touriste du Disque-monde. Le fait est que Deuxfleurs est incroyablement riche et complètement inconscient des dangers que sa richesse ostentatoire peut attirer. En tant que touriste, Deuxfleurs insiste pour voir les endroits les plus étranges, et peu lui importe qu'ils soient particulièrement mal famés. La curiosité est un vilain défaut, dit le proverbe. Dans le Disque-Monde, elle peut être fatale. Rincewind a en quelque sorte pour mission de veiller à ce que ce ne soit pas le cas.


Pour inaugurer ce qui allait devenir une série de plus de 40 livres, Pratchett a conçu une aventure humoristique se déroulant dans un monde fantastique. Peut-être devrions-nous d'abord jeter un coup d'œil sur ce Disque-monde. Il s'agit d'un monde secondaire à part entière, comme la Terre du Milieu de Tolkien ou le Westeros de George R.R. Martin. Il tire son nom de sa nature de disque plat, traversant l'espace sur le dos de quatre éléphants géants, eux-mêmes perchés sur la carapace d'une tortue titanesque. Même si le livre est avant tout une comédie, et que beaucoup plus de choses seront développées dans ses nombreuses suites, cette première histoire construit déjà bien plus que les fondations d'un univers résolument étrange mais cohérent, un monde dont les caractéristiques ne sont pas gratuites, ni juste là pour servir de prétexte à une blague, mais qui joue un rôle central dans plusieurs intrigues secondaires. La Huitième Couleur donne véritablement vie à son monde et le rend riche d'un panthéon, d'éléments d'une géographie intéressante et même de ses propres lois de la physiques (dont la magie fait partie intégrante et obéit à des règles strictes, parmi lesquelles la Loi de la Conservation de la Réalité).


La Huitième Couleur suit une structure que l'on retrouve dans de nombreuses aventures fantastiques (on pense à Bilbo le Hobbit), c'est-à-dire une succession d'épisodes épiques (enfin si l'on peut dire) qui se déroulent tout au long du voyage des personnages. La différence ici, c'est qu'il n'y a pas d'objectif global ou de quête pour servir de boussole. Rincevent ne franchit pas tant les obstacles vers une destination qu'il ne fuit un danger pour tomber sur un autre, dans le seul but d'assurer sa survie et celle de Deuxfleurs. En effet, l'ensemble du livre se lit moins comme un véritable roman que comme quatre nouvelles rattachées les unes aux autres par leurs deux personnages principaux, un problème encore accentué par l'absence totale de conclusion à la fin : La Huitième Couleur n'est pas une histoire autonome et l'épilogue est à découvrir dans sa suite : Le Huitième Sortilège. Les quatre parties sont toutes intéressantes, mais la première est probablement la meilleure. Son cadre, la ville labyrinthique d'Ankh-Morpork, est une parodie baroque du centre urbain classique de la fantasy, avec ses guildes des voleurs et des assassins, ses boutiques de magie et ses auberges, qui sont au moins autant des arènes de combat que des lieux de repos. Le fait qu'Ankh-Morpork soit si familière et pourtant si distincte et si palpable témoigne du talent de Pratchett. Les envrionnements des trois autres parties, surtout ceux de la deuxième et de la troisième, ne sont pas aussi mémorables, probablement parce que leur parodie est plus ciblée : la deuxième partie s'attaque au mythe de Cthulhu cher à Lovecraft tandis que la troisième est un pastiche de la série des dragons de Pern d'Anne McCaffrey. Cela ne veut pas dire que le lecteur doive impérativement être familier du matériaux d'origine pour s'y sentir embarqué. La force de l'humour de Pratchett réside dans sa diversité. Des personnages drôles (en particulier les personnages secondaires), des pastiches, des jeux de mots, une façon spirituelle d'enchaîner les événements... Quel que soit votre style d'humour, vous trouverez ici de quoi vous satisfaire. Les blagues sont trop nombreuses pour qu'on puisse les compter et, c'est vrai, à quelques reprises, elles se répètent curieusement, ce qui, à mon avis, est un autre signe que les épisodes étaient peut-être destinés à l'origine à être publiés séparément sous forme de nouvelles. Les rares incohérences de l'intrigue peuvent probablement s'expliquer de la même manière. Par exemple, à un moment donné, il est dit que le sort (remarquez l'absence de pluriel) logé dans l'esprit de Rincevent se prononcera de lui-même lorsqu'il mourra, un fait qui semble complètement oublié dans un épisode ultérieur. Mais ces petites imperfections ne posent guère de problème.


Si Rincevent et Deuxfleurs n'échappent jamais vraiment à leur rôles d'archétypes comiques respectifs, ils peuvent à l'occasion exprimer des sentiments ou des idées qui vont bien au-delà de la simple comédie. Je me suis rarement senti aussi proche d'un personnage que lorsque Deuxfleurs exprime sa frustration face à sa propre mortalité : "Parfois, je pense qu'un homme pourrait errer à travers le Disque toute sa vie et ne pas voir tout ce qu'il y a à voir [...] Et maintenant, il semble qu'il y ait aussi beaucoup d'autres mondes. Quand je pense que je pourrais mourir sans avoir vu un centième de tout ce qu'il y a à voir, je me sens [...] humble, je suppose. Et très en colère, bien sûr." Les six derniers mots de ce petit monologue sont drôles, mais aussi profonds.


Il est traditionnellement admis que, malgré sa première place dans l'ordre de publication, La Huitième Couleur n'est pas un bon point de départ pour découvrir la série.On trouve en effet facilement une pléthore de suggestions d'ordre de lecture sur Internet, et toutes, ou presque, proposent de commencer ailleurs. Mais je ne suis pas d'accord. La Huitième Couleur est une excellente introduction à un monde merveilleux. Si l'idée d'une comédie fantastique se déroulant dans un monde fascinant vous séduit, et si vous pouvez tolérer une intrigue moins bien ficelée que son univers et ses plaisanteries, je suis certain que vous passerez un bon moment avec ce roman.

GalaxyFolder
8
Écrit par

Créée

le 16 avr. 2024

Critique lue 10 fois

GalaxyFolder

Écrit par

Critique lue 10 fois

D'autres avis sur La Huitième Couleur

La Huitième Couleur
MarlBourreau
8

Lettre ouverte à Terry Pratchett

Cher Terry, C'est le cœur lourd que je prends ma plume pour t'écrire et si je dois nourrir un regret, c'est bien celui de ne pas l'avoir fait avant. Aujourd'hui tu n'es plus là et moi je ne peux...

le 13 mars 2015

24 j'aime

2

La Huitième Couleur
Cmd
7

De Deuxfleurs à ses parents

** En ce qui concerne des vrais informations ** Pour des informations exhaustives concernant le Disque Monde vous pouvez faire preuve d'imagination, lire ces livres magnifiques, vous cognez le genou...

Par

le 4 nov. 2013

14 j'aime

3

La Huitième Couleur
villou
10

LA BASE

La note de 10 est certainement surestimé par rapport à l'histoire en elle même, mais certainement pas par rapport au génie créateur qu'elle apporte à la Fantasy en général. Ce bouquin n'est pas le...

le 1 juil. 2012

12 j'aime

5

Du même critique

La Huitième Fille
GalaxyFolder
8

Critique de La Huitième Fille par GalaxyFolder

(critique basée sur la version originale du livre et ne prenant donc pas en compte la qualité de la traduction française)La Huitième Fille est le troisième livre de la série du Disque-Monde, mais il...

le 28 juil. 2024

Le Huitième Sortilège
GalaxyFolder
6

Une suite toujours drôle mais malgré tout décevante

*Cette critique contient de légers spoilers sur le précédent roman de la série (La huitième couleur). Notez également qu'ayant lu la version anglaise, je ne peux formuler une opinion sur la...

le 28 avr. 2024