Chronique vidéo ; https://www.youtube.com/watch?v=-qA5S8M3XjM

Le livre se découpe en plusieurs parties, d’abord en chronologie inversée, on suit d’abord une écrivaine de nos jours, dont le couple bat de l’aile, et qui va au Mexique porter des offrandes à un rocher blanc censé lui apporter la félicité, une rockstar au bout du rouleau dans les années 60, une jeune fille amérindienne au début du 20 siècle arrachée à sa terre, et au 18ème, un lieutenant espagnol, navigateur qui va découvrir cette nouvelle terre inquiétante, puis on reprend les mêmes, on secoue, et on suit de manière chronologique cette fois-ci.


Vous suivez ? Parce que l’accumulation des personnages est l’un des problèmes du roman. A chaque fois qu’on commence un peu à se mettre dans le bain, le roman se coupe pour passer à quelqu’un d’autre. Et cette petite frustration qu’on ressent à chacune de ces coupures serait pardonnée si à côté le style était vraiment original ou recherché, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je trouve qu’Anna Hope écrit bien, je trouve qu’elle frôle l’organique dans ses images, une simplicité et une pertinence dans la manière de décrire et le concret et les affects de ses personnages, c’est une autrice talentueuse, mais je me sens obligée de nuancer car peu de phrases me donnent envie d’être retenue ou notée — ça coule un peu trop, et j’ai peur de ne pas retenir grand-chose une fois le livre refermé.

Si la construction avait permis peut-être de plus s’attacher aux personnages, n’avait pas reproduit une structure presque canonique du roman actuel, c’est-à-dire plusieurs destins qui se recoupent, une structure qui parait presque écrite pour être retranscrite dans une série, avec ses procédés comme le cliffhanger qui dans le bouquin devient prévisible et agaçant à cause de son systématisme, je ne serais pas passée à côté de ce bouquin. Je dirais même que c’est écrit pour une mini-série, ces formats de 55 minutes sur 6 à 8 épisodes. On imagine presque la date inscrite à chaque début d’épisode, les plans larges sur les paysages du Mexique, peut-être désaturé pour le contemporain, Jimi Hendrix ou Gimme shelter des Rollings stones pour la partie sur le chanteur, les sous-titres pour les passages en 1907 où la jeune fille parle en yoeme, et pourquoi pas en noir et blanc, un noir et blanc très contrasté, très propre et stylisé, qui fait carton-pâte. Autre chose qui pèche, on perçoit carrément les notes préparatoires d’Anna Hope sur les coutumes des amérindiens du début de siècle. En fait, on a envie de dire ce qu’on a l’habitude de lire pour les séries soignées et un peu ennuyeuses qu’on regarde pour s’endormir : une belle reconstruction, un soin particulier pour les accessoires et les costumes — et ce qui finalement dépasse difficilement cette notion de décor. Car le reste me parait vide, je ne me suis sentie engagée pour aucun des personnages, qui la plupart n’ont pas de nom, avec un présent de narration qui se concentre tout le temps sur l’action et empêche de se poser, de prendre le temps de faire durer une scène. L’impression que j’ai en lisant ce livre, c’est donc d’un talent gâché, d’un manque de souffle aussi. Comme si le fait de brasser beaucoup de personnages était un aveu d’échec — celui de ne pas pouvoir en invoquer un seul qui ait assez d’épaisseur pour tenir le livre sur ses seules épaules. Et je pense que pour moi aussi ça peut-être une leçon, car c’est quelque chose que j’ai déjà fait dans un de mes romans, et je pense pouvoir percevoir la manière dont Anna Hope envisage son livre : un roman, c’est plein d’angles morts qu’on ne perçoit plus à force d’écrire, c’est l’impression d’avoir tout aplani, tout mis en lumière alors qu’il reste des pages et des pages dans l’ombre, et je suis persuadée qu’elle a la sensation d’avoir suffisamment éclairé ces destins pour qu’on s’y attache, mais qu’il y a eu un hic de traduction, de transmission entre l’auteur et le lecteur à un moment donné — comme si le livre n’avait pas encore été complètement écrit. J’ai pu lire que ses autres romans étaient chouettes, donc c’est loin d’être un livre rédhibitoire pour m’intéresser à ce qu’elle a pu faire avant, mais je suis passée à côté de celui-ci.

YasminaBehagle
5
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le 17 déc. 2022

Critique lue 87 fois

YasminaBehagle

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