Un vertige réaliste
Ce livre m’a ému tant il nous plonge dans une tristesse-joyeuse. La vision qu’apporte chacun laisse place à l’installation d’une vive compassion. Des victimes devenant sources d’inspiration par...
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le 4 déc. 2023
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Le texte :
Laissez-moi vous présenter la famille Mortemer. La dynastie Mortemer devrais-je dire ! Trois générations se côtoient dans ce récit. Olivia, tout d’abord, la grand-mère, l’aïeule, la pierre angulaire de Glass, la maison de verre et d’acier qui trône sur cette île isolée du « continent », sorte de monde à part, mystérieux. Rose, la mère, pièce rapportée de la famille, mariée à Luc, le fils d’Olivia, atteinte d’un cancer en phase terminale. Et Marnie, la fille, 14 ans, digne héritière des générations précédentes.
Ici, si les figures masculines sont présentes dans le récit, elles ne le sont qu’à titre posthume. Aristide, le grand-père de Marnie est décédé un peu plus d’un an auparavant. Il frappait Olivia (on le sait très rapidement, je n’appelle pas ça du spoil). Luc, le père de Marnie, est mort quelques mois plus tôt dans un accident de voiture. Il a vécu en pêchant par les femmes du continent, l’alcool, le jeu et les voitures à grosse cylindrée, il est mort en tombant de la falaise un soir d’orage, soûl et ruiné personnellement.
Aucune des femmes Mortemer n’a donc l’opportunité de vivre dans la joie et l’épanouissement, en dehors d’un confort matériel certain, Olivia ayant pris ses précautions. Les histoires d’Olivia, Rose et Marnie sont des vies de combat contre le malheur, chacune parvenant d’une manière ou d’un autre à l’occulter en faisant taire les voies intérieures qui leur rappellent leur existence : Olivia s’invente une piscine dans laquelle elle plonge sous les coups de son mari, Rose s’étourdit littéralement les sens dans la musique et la danse et Marnie… ah Marnie… elle s’oublie dans les bras aimants de sa mère mourante et en compagnie de son amie, Jane, aveugle, qui flirte pourtant avec le vertige des falaises…
Gilles Paris construit son histoire autour de secrets de familles qui n’en sont que pour ceux qui pensent être les seuls à les connaître : ils sont de polichinelle, connus de tous, transparents aux habitants de l’île tout comme la maison des Mortemer, faite de verre, qui laisse, par sa transparence, le moindre regard pénétrer à l’intérieur. Les êtres qui peuplent Glass pensent s’abriter derrière le silence mais tout se sait parce que les êtres portent sur eux leur histoire.
Gilles Paris peut donc offrir le rôle principal à Olivia et Marnie qui se confient à nous à travers ce qui ressemble à un journal intime ou une lettre ouverte mais aussi proposer des voies différentes, des voies extérieures : Agatha, l’amie de Rose, Vincy, l’amoureux de Marnie, le coiffeur d’Olivia ou Prudence, la bonne.
Gilles Paris a écrit son livre comme un boxeur qui travaille son adversaire. Il tourne autour des faits essentiels de son histoire comme le boxeur le ferait pour fatiguer son adversaire, distillant de-ci de-là quelques éléments comme le boxeur donne des petits coups pour tester son adversaire, puis il balance tout dans un déferlement de phrases percutantes sans laisser le lecteur reprendre son souffle comme le boxeur qui se décide enfin à prendre le match à son compte pour mettre son adversaire K.O. debout.
Gilles Paris, enfin, joue avec le temps, avec les vérités énoncées, forcément subjectives, de chacun des protagonistes, pour mieux transporter le lecteur dans un univers clos, celui de l’île, celui de la famille Mortemer et à travers une histoire tragique où la lumière ne vient que des personnages féminins pourtant tout aussi torturés et tortueux que les personnages masculins mais avec une innocence issue de leurs positions de victimes et un courage provenant de leur combativité et de leur (relative ?) victoire sur leurs bourreaux. A quel prix se fait donc cette simili-victoire ? Isolement pour l’une, mort pour l’autre et folie douce pour la troisième ?
C’est un livre qu’il faut à la fois prendre le temps de lire et le temps de comprendre. On sort de la lecture suffisamment déboussolé pour ne pas rester sur cette première impression et laisser le temps à l’histoire de faire son petit bonhomme de chemin dans sa tête, pour en comprendre la subtile structure.
Créée
le 4 mai 2017
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