A l'image de son disciple, Charles Bukowski, Fante s'essaye dans Le vin de la jeunesse à l'écriture de nouvelles... mais à l'inverse de celles de ce dernier, les nouvelles de Fante sont déconcertantes de facilité dans le style d'écriture, dans la style narratif, dans l'histoire même. Fante a ce don de vous embarquer dans des histoires on ne peut plus ordinaires, de décrire des scènes d'une banalité sans nom, mais avec un style si particulier qu'on dévore les pages de ses livres à pleines dents.
Voilà ce qu'a dit Bukowski à propos de Fante :


Un jour j’ai sorti un livre et c’était ça. Je restai planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. J’ai posé le livre sur la table, les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Chaque ligne avait son énergie et était suivie d’une semblable et la vraie substance de chaque donnait sa force à la page, une sensation de quelque chose sculpté dans le texte. Voilà enfin un homme qui n’avait pas peur de l’émotion. L’humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité.


Le début du livre était un gigantesque miracle pour moi. J’avais une carte de la Bibliothèque. Je sortis le livre et l’emportai dans ma chambre. Je me couchai sur mon lit et le lus. Et je compris bien avant de le terminer qu’il y avait là un homme qui avait changé l’écriture. Le livre était ‘‘Demande à la poussière’’ et l’auteur, John Fante. Il allait toute ma vie m’influencer dans mon travail. Je terminai ‘‘Demande à la poussière’’ et cherchai d’autres Fante à la bibliothèque. J’en trouvai ‘‘le Vin de la jeunesse’’ et ‘‘Bandini’’. Ils étaient du même calibre, écrits avec les tripes et le cœur.


Fante n'a de pareil pour conter une histoire banale au travers le regard d'un gamin de 10 ans... et c'est précisément ça qui rend ses bouquins si exceptionnels.


Quelques extraits que j'ai particulièrement apprécié :


"Je t'aime tellement', elle a dit.
Combien de fois avait-elle répété cela, et pourtant je n'avais jamais eu assez de talent pour la croire ! Je trouvais cela parfaitement invraisemblable.


Alors, tous en même temps, nous avons senti ça dans notre dos, et avant de nous retourner pour la regarder nous avons compris toute la souffrance accumulée derrière nous, qui nous submergeait, et nous nous sommes retournés en même temps, et elle était là qui nous regardait, elle semblait âgée d'un million d'années, Mamma, notre mère, et nous ses enfants avons senti son cœur brisé, elle était debout sur le seuil de la cuisine, son tablier masquant la douleur de ses mains usées, des petits ruisseaux de beauté évanouie descendant lamentablement ses joues ravagées ...


Ma grand-mère m'a appris à parler sa langue maternelle. À sept ans, je la connais plutôt bien, et avec elle je parle toujours italien. Mais quand je suis avec des copains et que j'ai douze ou treize ans, je fais semblant de ne pas comprendre ce qu'elle me dit, une grimace crispe mon visage; je ne veux surtout pas que mes copains se doutent que je parle une autre langue que l'anglais.


Je suis sorti du confessionnal. J'étais heureux, très heureux. Je me suis agenouillé devant l'autel et j'ai dit ma pénitence. Et puis j'ai retrouvé le soleil d'un après-midi serein. Je ne me suis jamais senti aussi propre. J'étais un morceau de savon. J'étais l'eau pure. J'étais un brillant papier d'argent. J'étais des vêtements neufs. J'étais une coupe de cheveux. J'étais le soir de Noël et une boîte de bonbons. Je flottais. Je sifflais. Maintenant je devais retourner en vitesse à la maison pour nourrir les poules, tondre la pelouse, rentrer du charbon et du bois, puis aller au magasin.


« Pourquoi ne nous accompagnes-tu pas à la messe ? » elle lui demandait souvent.
« Pourquoi donc ? »
« Pour adorer Dieu. Pour donner le bon exemple à tes enfants. »
« Dieu voit ma famille dans l'église. Ça suffit. Il sait que je vous y envoie. »
« Ce serait peut-être mieux si Dieu t'y voyait aussi ? »
« Dieu est partout, alors pourquoi devrais-je aller le voir dans une église ? »


Une autre atmosphère régnera autour de la table, dont nous ne saurons que faire, car nous la mépriserons, et ce sera la honte. Nous la sentirons, elle nous blessera, mais nous n'aurons plus de mains pour la cogner ou la caresser. Nous regarderons donc ailleurs en nous observant à la dérobée. Et je sais qu'il en sera toujours ainsi, et mon père le sait aussi. Mon père continuera de remplir mon verre, et ensemble nous boirons, et sans cesse nous sentirons cette parenté qui est un ravin qu'aucun de nous ne pourra franchir.


Il y avait certaines nouvelles que je pouvais annoncer à mon père, d'autres que je préférais repousser, mais il y en avait une que je n'oserais jamais lui apprendre - à savoir qu'un prêtre allait lui rendre visite.


On doit étudier longtemps avant de devenir nonne pour de bon. Alors on vous coupe les cheveux, vous portez des robes noires et vous ne pouvez plus ni vous marier ni vous marrer. Votre mari s'appelle Jésus. En tout cas, c'est ce que m'a dit Soeur Delphine.


Oh, le Dibber s'en était tiré à rudement bon compte, si je me compare à lui. Oh, mon père m'a dérouillé avec sa ceinture. Mon père porte une ceinture parce qu'il aime frimer. Je veux dire, à quoi bon porter une ceinture quand on porte déjà des bretelles ? Voilà ce que j'appelle frimer.

didizimzim
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le 22 août 2018

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Dmitri Fantski

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