En signant ce bel ouvrage à 99 ans, ce magnifique vieillard nous rappelle que la vieillesse n’est pas qu’un naufrage.
Edgar Morin est le penseur de la complexité qui accouche, en histoire, du retour en grâce de la surprise : « Une des grandes leçons de ma vie est de cesser de croire en la pérennité du présent, en la continuité du devenir, en la prévisibilité du futur. Sans cesse, tout en étant discontinues, les irruptions soudaines de l’imprévu viennent bousculer ou transformer, parfois de façon heureuse parfois de façon malheureuse, notre vie individuelle, notre vie de citoyen, la vie de notre nation, la vie de l’humanité. » (p. 44)
L’homme ne vit pas seulement de pain et de confort. « Les hommes et les femmes traités uniquement comme objets statistiques cessent d’être reconnus comme des êtres humains. On peut même dire que le primat du quantitatif des technocrates et des éconocrates, qui dissolvent l’humanité des humains dans les chiffres, ne fait que surexciter le besoin anthropologique de reconnaissance. » (p. 67)
Se retournant sur son passé, il avoue deux graves erreurs de jeunesse, son pacifisme, puis son adhésion eu communisme. Elles lui ont « permis de comprendre que j’étais fondamentalement droitier et gauchiste, c’est-à-dire désormais résolu à ne plus jamais sacrifier l’idée de liberté. Gauchiste, c’est-à-dire désormais convaincu non plus de la nécessité de révolution, mais de la possibilité d’une métamorphose. » (p. 100)
Les aspects négatifs de notre civilisation s’aggravent : « Je tire de ces années la leçon qu’une progression économique et technique peut comporter une régression politique et civilisationnelle, ce qui à mes yeux est de plus en plus patent au xxie siècle. » (p. 106) Ainsi, il déplore la dislocation des anciens empires au profits de nations « éthno-religieuses monolithiques prônant l’épuration des minorités. » (p. 110) Plus grave encore, « le retour de la barbarie est toujours possible. Aucun acquis historique n’est irréversible. » (p. 116)
Le juif agnostique, qui se déclare appartenant à un peuple maudit, conclue sur ces mots étranges : « « L’esprit humain est devant la porte close du mystère. » (p. 147)