*Les Choses humaines* raconte l’histoire d’une famille, les Farel pour qui tout semble avoir réussi. Jean Farel est un célèbre journaliste d’une chaîne télévisée. Claire, dont il est séparé est une femme largement médiatisée pour ses engagements féministes. Leur fils, Alexandre est un jeune homme brillant. Il excelle dans ses études de telle sorte qu’il est sur le point d’intégrer l’une des plus prestigieuses universités des Etats-Unis. Mais l’idylle bascule quand Alexandre est accusé d’avoir abusé de Mila, la fille du nouvel amant de Claire. 

De prime abord, la critique susceptible d’être adressée au roman est sans doute celle du stéréotype. Le roman fait en effet le portrait d’une famille qui connaît la gloire et le succès. Jean est le cliché de l’homme de pouvoir égocentrique qui agit au rythme de ses propres désirs. “Voilà une imagerie assez grossière”, diront certains. D’ores et déjà, il s’agit moins de stéréotypes que de types - au sens balzacien du terme - c’est-à-dire, d’individus représentatifs d’un certain niveau de classe dont la personnalité repose sur le système de valeurs correspondant. En cela, le trait est tiré pour mieux permettre de dévoiler les failles de ces êtres superficiels, d’en révéler non pas la médiocrité - l’enjeu n’est pas satirique comme chez Balzac - mais d’observer scientifiquement à quel moment les valeurs singulières de ces individus - réussir, s’enrichir, plaire - trouvent à se disloquer jusqu’à être réduites à néant.


          L’originalité et la valeur du roman - et c’est en cela que la critique du stéréotype ne tient pas - résident dans la saisie de la réalité des situations dans leur complexité. """Le viol est-il prémédité ? La jeune fille était-elle consentante ? Sinon, pourquoi aurait-elle suivi Alexandre dans ce local ? Elle avait le choix de refuser, a priori.  L’a-t-elle dénoncé pour se venger du fait qu’il l’a séduite en raison d’un pari avec ses amis ? Alexandre était-il dans un état de conscience alors qu’il était sous l’emprise d’alcool ? Autant de problématiques réelles qui se posent au cours d’un procès.

""" Au regard du contexte récent et suite aux vagues de dénonciation #MeToo ou encore #BalanceTonPorc, le livre témoigne d’une prise de recul et d’une objectivité nécessaire face aux réactions hâtives et peu réflexives qui prolifèrent sur les réseaux sociaux . L’enjeu n’est pas de déresponsabiliser l’agresseur, il n’est pas non plus de travailler la continuité de l’esprit du “girl power”, ni de dresser le portrait victimaire des femmes violées. Il ne s'agit pas d'un roman partisan. La singularité du roman est davantage d'étudier scientifiquement la complexité des comportements, des réactions, des problématiques qui se posent aux individus dans de telles situations - K. Tuil est juriste par ailleurs et a assisté à de nombreux procès pour son roman - .


             Loin d’un féminisme radical et stérile qui naît souvent de la réaction directe à la violence et qui refuse de sortir du conflit, K. Tuil propose un portrait d’êtres bouleversés par des situations qu’ils n’ont pas souhaitées. Cela se tresse au cours du roman avec subtilité et nuances, dans un hyperréalisme foudroyant au moyen d'un style épuré. L’être humain est un être complexe. Cette complexité est multifactorielle, elle doit à l’histoire singulière de chaque individu, à la structure sociale et familiale dans laquelle il évolue, causes de ses actes et pensées, etc. Les choix qu’il opère sont toujours complexes et ne peuvent être résumés par des étiquettes essentialisantes. Tous ces éléments, ce sont les choses humaines et les choses humaines ont besoin de la littérature pour être mises en lumière. Le titre se justifie de facto  dans le refus d’un positionnement facile, subjectif, unilatéral. Alexandre n’est pas un monstre, l’enjeu du roman n’est pas là. C’est un être qui a suivi son désir pulsionnel à un moment où il  était peut-être en mesure de ne pas l’écouter. Il était en situation de pouvoir. Il en a profité, et c’est tout. En aucun cas K. Tuil viendrait travailler une approche morale au regard de l’acte d’Alexandre, bien qu'évidemment la question de la morale soit posée. Le narrateur ne se fait pas juge mais témoin oculaire puisqu'il est hétérodiégétique (il est extérieur à l'intrigue). Le récit est raconté à la troisième personne, ce qui permet une plus grande mise à distance. Tout jugement de valeur est refusé ou alors il est employé pour mieux être déconstruit. L’approche est objectivante, scientifique : les points de vue divergents sont simplement posés et ne sont aucunement pris en charge par le narrateur. Ce recul est celui qui s'impose à ces problématiques actuelles et il permet à l'échelle du roman de gagner en vérité. L’idée est de révéler la faille dans le comportement d’un individu qui peut, à un certain moment faire basculer sa vie. *Les choses humaines* est un livre touchant par sa charge de réalité. 
JulesSanchez
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le 26 avr. 2020

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