Un "polar" au coeur de l'Histoire.
Pour tous ceux qui ont aimé Les trois Mousquetaires, je ne saurais trop que conseiller la lecture des romans historiques de Janine Garrisson. En particulier celui-ci, qui est son 4e, dont je parlerai exclusivement, n'ayant pas encore lu les trois qui l'ont précédé (ce qui n'est pas un problème pour la lecture, les romans étant indépendants les uns des autres).
On se retrouve, ici, plongé dans la complexité d'une époque et de ses enjeux, grâce à la plume d'une historienne qui a passé sa vie à fréquenter les archives et à perfectionner sa vision de cette époque. C'est toute cette vie reconstituée par l'esprit que nous livre Janine Garrisson, s'intéressant bien sûr au contexte de la grande Histoire, mais aussi à la vie quotidienne des anonymes, qui ici, pour l'occasion, se voient attribuer un nom (peut-être tiré des archives, il faudrait questionner Mme Garrisson à ce sujet).
L'intrigue est complexe, à la mesure du sac-de-noeud qu'est la situation d'alors. Rappelons, pour l'histoire, que Henri IV a été couronné et reconnut roi de France après sa conversion, mais que le problème qui a traversé le siècle, celui des guerres de religion entre partisans du catholicisme (les "papistes") et ceux de la religion "prétendue réformée" (les Protestants), se poursuit. Les tensions, même apaisées par la volonté du roi de mettre un terme au conflit, restent palpables.
Dès le départ, on se rend compte d'une chose récurrente quand on lit souvent ce genre de littérature ou qu'on a suivi une formation d'historien : ouvrir un manuel d'histoire, c'est comme feuilleter la rubrique Faits Divers d'un journal local, on finit toujours par trouver de la matière à romancer (ce n'est pas Gustave Flaubert qui me contredirait, j'en suis certain). Plusieurs partis s'affrontant autour d'un problème insoluble (celui de la foi), une tentative d'y remédier qui suscite à la fois beaucoup d'espoir et de crainte... voilà de quoi faire un bon livre ! C'est certainement de ce constat qu'est partie Janine Garrisson lorsqu'elle a choisi de romancer l'épisode de la conception de l'Edit de Nantes.
Autour de ce texte, les meurtres se multiplient. La Cour, installée à Angers, perd sa tranquilité. Les personnages de Janine Garrisson prennent alors leur résolution en main : le Grand Prévôt de la Maréchaussée (l'ancêtre de la Gendarmerie) et son lieutenant, sont chargés de l'affaire.
Janine Garrisson fait ici oeuvre de fiction. Il n'est pas dans son intention ici de raconter exactement ce qui s'est passé. Ses personnages sont des vecteurs pour la rencontre entre le lecteur et le contexte historique qui sert de toile de fond au récit. Que les historiens amateurs et plus avertis ne se découragent pourtant pas, l'auteure donne aux descriptions des lieux, des populations et de leurs habitudes, toute la place nécessaire à la compréhension et même à l'enrichissement de notre culture.
Mais ces personnages sont bien plus que de simples prétextes à l'illustration d'un cour d'histoire. Ils ont un caractère qui leur est propre, qu'ils mettent au service de leur mission fictive, du déroulement de l'intrigue. Le regard inquisiteur de Jacques Dagan, parfois brutal, est tempéré par l'esprit d'analyse du grand Prévot François d'Anthenac. Personnages importants, ils ne sont pourtant pas les seuls, et là, la trame du récit se complexifie.
Parfois même, il faut s'accrocher ! J'ose le dire. L'action a beau se dérouler sur quelques jours à peine, les retours en arrière, à l'aide de lignes de paratextes indiquant le lieu, la date et l'heure, sont du genre à vous faire tourner la tête. Bien sûr, ils sont placés progressivement pour que le suspense soit préservé, mais on est parfois pris de l'irrésistible envie de retourner quelques parts en arrière pour revérifier une date ou une heure, juste pour être sûr que ce que l'on lit est bien un retour en arrière qui présente un même fait à travers la vision d'un autre personnage. En fait, c'est très cinématographique comme procédé, ça serait du tonnerre à l'écran, les scénaristes et le metteur en scène n'auraient pas grand chose à retravailler sur ce récit non-linéaire (le serait-il, il faudrait certainement changer de bouquin).
Revenons en aux personnages et aux éclairages successifs qu'ils apportent à l'intrigue. Car ils sont nombreux ! Très nombreux. Trop ? Non. Mais parfois, ils n'ont pas de nom, juste une fonction. Parfois le nom n'apparaît qu'une fois. Ou réapparaît, et on se dit :"Qui c'était lui, déjà ?", puis on se rend compte que c'était le palfrenier dont on parlait juste au-dessus. En vacances, mon attention se relâche peut-être un peu trop, mais il faut quand même faire attention à mon avis en lisant ce polar historique pour ne pas perdre le fil. La preuve en est que l'épilogue est consacré à un petit rapport au roi, qui explicite l'intrigue et remet tout dans l'ordre : l'auteure a dû se rendre compte que c'était nécessaire.
La complexité, on aime ça. Tout est bien ficelé, et à la fin on se dit que tout était en germe dès le départ, rien n'était superflu, on a traversé des bribes d'histoire et de paysages qui nous ont menés jusqu'à l'ultime résolution. Même le portrait d'un personnage assez secondaire, depuis son adolescence aisée jusqu'à sa fuite du couvent, puis son passage chez les Calvinistes à Genève, sa fuite (encore) devant la discipline difficile de ces derniers, et son périple comme mercenaire qui le fait participer au massacre de la Saint-Barthélémy du côté des Catholiques, puis échouer du côté du Béarn au service de seigneurs protestants, et enfin à Angers, même ce parcours n'a rien d'inutile car, en plus d'expliquer l'action de ce personnage dans l'intrigue (je n'en dis pas plus), il montre la crise de conscience qui doit être à cette époque partagée par beaucoup d'intellectuels, incapables de faire un choix pour un camp ou un autre. De quoi faire réfléchir sur un sujet de fond, philosophique ! C'est agréable, de temps en temps. Enfin, ce n'est pas un essai, et l'intrigue reprend vite ses droits.
Janine Garrisson nous emmène donc au coeur du 16e siècle, dans un moment de la grande Histoire de France, et tisse une intrigue qui s'épanouit d'une manière magistrale, ouvrant pour nous une fenêtre sur ce qu'était la vie à cette époque, extrapolé à partir des archives fréquentées par l'historienne, qui ne fait pas d'ombre à la romancière, dont le principal talent est de parvenir à nous faire tenir en haleine.
C'est moins pour savoir si l'Edit va bien être accordé (on le sait par nos cour d'histoire) que pour connaître la solution à tous les mystères de ce monde mystique, jeu de dupes qu'est la Cour du roi de France, que le lecteur a envie de pousser la lecture jusqu'à son terme, pour partager le soulagement des personnages dont les conjectures et les hypothèses ont fait multiplier les tâtonnements et les hésitations, les découvertes d'indices.
Bref, l'histoire réelle et la fiction s'entre-croisent, mais c'est bien celle-ci qui domine. Je conclus que le roman policier ("polar") à caractère historique a ici un de ses bons représentants. A quand l'adaptation en téléfilm ? :=)
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