Dans son dernier livre Monstre, le plus célèbre et le plus controversé des acteurs français, notre Gégé national, livre ses états d'âme sur la société et ses contemporains. Inutile de préciser que si vous vouez une aversion pour Depardieu, ce livre ne représentera absolument aucun intérêt. Je précise car j'ai remarqué, notamment chez les femmes, un certain dégoût à son endroit amplifié largement par les polémiques et sa disgrâce physique. Pour ma part, sans pour autant être un fan boy car je connais au final très peu l'homme et sa carrière, j'ai commencé à éprouver de la sympathie pour Depardieu lors du lynchage politico-médiatique qu'il subit avec l'épisode que l'on connaît de la citoyenneté russe mais aussi l'histoire des impôts ou encore ces engueulades en scooter en plein cœur de Paris, où ivre, il emboutit des véhicules.
Malgré ces déboires, on s'aperçoit que Depardieu est un homme d'une richesse intérieure rare et qui est doté d'une faculté d'empathie hors du commun. En tout cas, c'est ce qu'il laisse transparaître, à la fois dans ses livres, mais aussi dans les documentaires que j'ai pu voir en particulier dans A pleines dents, un voyage gastronomique autour de la France et du monde en compagnie de Depardieu et d'un chef cuisto, son ami.
La particularité de ce livre est qu'il est écrit en prose. Oui, contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer Gégé à l'âme d'un poète et, pour être honnête, le profane s'en sort plutôt bien. Il sait très bien véhiculer ses émotions, pas qu'au cinéma, et il parvient à prendre aux tripes lorsqu'il nous évoque ses regrets en tant que père, son désir de vivre, d'aimer, de voyager ou de rencontrer des gens dont on sent qu'il les aime vraiment, les gens. Il a une bonhomie qui laisse sans voix. Le pire, c'est que ce livre plein de bons sentiments, dégageant même une certaine sagesse, terre à terre certes, mais sagesse quand même, apparaît comme profondément sincère. Car l'homme est authentique, il n'a pas besoin de publier des livres pour renforcer sa notoriété ou son capital.
Alors pourquoi 6/10 ? Bah pour être honnête son amour de l'autre, cette passion du présent qu'il exprime à merveille à tendance à me pomper l'air car Gégé est un homme de cœur et non un homme de raison. Le monde pourrait être en proie aux flammes qu'il agirait toujours de la même manière, sans réfléchir aux conséquences d'une vie basée uniquement sur son petit plaisir et son bien-être personnel. Si je devais choisir une famille philosophique, je suivrai les stoïciens plutôt que les hédonistes. C'est une certitude absolue. Depardieu est un épicurien, ce n'est pas un scoop, qui aime très fort l'autre mais d'abord parce qu'il s'aime très fort lui. Par conséquent, hors de question de se priver. Hors de question de se limiter. Puis pourquoi se priver quand on est millionnaire ? Ce que Gégé a tendance à oublier, c'est que l'amour du prochain, le voyage, le plaisir culinaire, l'écoute du désir, la rencontre de l'autre et d'une culture différente, c'est tout de suite plus facile quand on a du pognon. De plus, ce livre est baigné de considérations politiques et religieuses un peu naïves. Contrairement à ce que beaucoup pourrait s'imaginer, Depardieu n'est pas "ami ami" avec la pensée conservatrice et la droite réactionnaire (normal vu le monde auquel il appartient), il les fustige même. On aura donc droit à la petite morale anti Lepen pour faire bien, la suspicion de racisme qu'il dit ressentir dans le regard de certains paysans français, la mise en garde au retour du fascisme en occident etc. Bref, toute la merde habituelle des progressistes méprisant le passé, vivant bien au présent sans se préoccuper du futur.
Enfin, il faut savoir que Depardieu, tout en étant athée, voue un amour immodéré pour les religions du monde entier (l'Islam surtout) notamment en terme d'apports culturels, de gastronomie, d'architecture etc. mais par contre, il hait de toutes les pores de sa peau le christianisme. Un classique. Je ne le jugerai pas sur ces affects ou sur ses opinions, après tout chacun est libre de penser ce qu'il veut sur ces sujets. D'autant plus que Depardieu ne se prend pas pour un intellectuel, il parle avec son cœur et son vécu alors même si l'on grince des dents devant tant de naïveté (et parfois de bêtise), on se garde de l'insulter ou de le mépriser.
Très touchant, honnête et sincère, Depardieu nous livre son opinion sur notre monde et sur une société devenue folle. Même si globalement nous avons les mêmes conclusions, Depardieu m'a parfois agacé avec ses vues politiques complètement biaisées de par sa position sociale et économique. Facile de vivre du désir, d'amour et de voyage lorsqu'on est riche à million et qu'on mène une vie d'artiste. Loin d'être un navet, Monstre reste un témoignage vivant et poétique de l'immense Gérard Depardieu, sans aucun doute l'un des plus grands acteurs français du XXème siècle et de ce début de XXIème siècle.
Un cœur qui bat
On est tellement abasourdi, sans arrêt, par toutes les choses qui sont contre la vie. Si on les laisse nous envahir, on se ferme, il ne nous arrive plus rien. On ne fait plus qu'un avec toutes ses saloperies, on devient chiant pour les autres comme pour soi-même. Ces jours où l'âme se fait lourde, ces soirs où l'on est fatigué de vivre et effrayé de mourir. On en oublierait presque qu'on a un cœur qui bat, du sang chaud dans les veines, qu'on est fait pour être et désirer. C'est dans ces moments-là qu'il faut savoir faire le vide, le propre. Ne pas se réduire à ses refus, mais au contraire se faire le plus large possible, retrouver cette innocence qui, seule, peut nous donner la grâce. Cela n'a rien à voir avec la volonté. La volonté m'emmerde, elle m'enraye. C'est juste une question de désir. Ce désir qu'il faut aller chercher au-delà de tout ce qui nous pèse et nous encombre. Lui seul peut nous ramener à la vie.