Sociologie de l'Algérie par Noèse
Premier ouvrage de Pierre Bourdieu, Sociologie de l'Algérie se présente comme un portrait. Portrait nuancé d'une société profondément complexe et dont le principe de l'organisation sociale oscille entre les conditions économiques et les valeurs. En effet, et c'est à mon sens l'apport principal de Bourdieu, le principe d'explication économique est nuancé ici par l'introduction d'une considération sur la conscience et les sentiments des multiples couches de la population algérienne. Si ce type d'explication peut être efficace, c'est parce qu'au sein même de cette société "les rapports économiques ne sont jamais saisis dans leur réalité brutale ; ils sont toujours dissimulés derrière le voile des rapports de prestige et tempérés par le sentiment de fraternité" (p.56). C'est donc en suivant le schéma de la conscience des algériens que Bourdieu entreprend d'analyser cette société aux multiples facettes.
Pas encore de capital symbolique mais du prestige ; pas encore d'habitus mais des sentiments, cette oeuvre de Pierre Bourdieu est une oeuvre qui porte en germe ses futurs concepts sans qu'ils soient encore explicités. Elle oscille déjà entre objectivité et subjectivité ; entre capital économique et symbolique ; entre la matière et l'esprit, oscillation plus tard explicitée aux moyens des concepts clés de la sociologie bourdieusienne.
Par ailleurs, la rupture qui s'opère entre les 5 premiers chapitres et le dernier provoque un bouleversement chez le lecteur qui voit l'analyse passer de la calme description de la société traditionnelle algérienne et de son équilibre à l'analyse de la terrible dynamique d'aliénation engendrée par la colonisation.