Sommet de l’Everest, 10 mai 1996. Date meurtrière sur le toit du monde. Un groupe d’alpiniste disparaît dans la montagne, les secours sont impuissants à les secourir à si haute altitude. Le toit du monde culmine à 8840 mètres, à cette altitude l’oxygène est rare, 30% de moins que celui du niveau de la mer. L’ascension a d’abord était déclarée impossible sans masque à oxygène, même s’il elle a été réalisée par la suite.
Et pourtant, malgré ces difficultés, l’Everest continue de fasciner, d’attirer et d’hanter les rêves des alpinistes, des plus chevronnés aux plus amateurs.
C’est pour couvrir ce phénomène de commercialisation croissante que Jon Krakauer, journaliste pour Outside (que la plus part d’entre nous connaisse d’avantage pour être l’auteur du roman « Into the Wild », adapté à l’écran par Sean Penn), est envoyé dans l’équipe du guide Rob Hall. Ce dernier est une « sommité » de l’alpinisme, il a escaladé des sommets parmi les plus hauts de l’Himalaya, et est l’un des pionniers de la commercialisation des ascensions. Avec un associé, qui mort quelques temps auparavant dans la montagne des suites d’un œdème, il a créé Adventure Consultants, qui pour une somme exorbitante (65 000 dollars) s’entend emmener au sommet toute personne ayant un temps soi peut une bonne condition physique.
Conscient des dangers, Jon Krakauer ne s’imaginait pourtant pas les obstacles qu’il allait devoir surmonter.
Il narre l’organisation, l’équipe, les préparatifs, et les épreuves qui sont le lot des prétendants à l’Everest.
On appelle « zone de mort » les zones situées au delà de 8000 mètres. L’oxygène y devient tellement rare que les risques d’oedèmes pulmonaires et cérébraux sont très élevés. Pour s’acclimater à cette atmosphère, plusieurs étapes sont nécessaires et doivent impérativement être respectées.
Jon Krakauer raconte le premier camp comme un incroyable bourbier, au niveau d’hygiène des plus lamentables. Beaucoup d’aspects commerciaux nous étonnent dès lors : les bombonnes d’oxygènes sont laissés à l’abandon dès qu’elles sont vidées, des zones d’embouteillages entre les alpinistes se forment à chaque passage rétrécis, des rivalités sont apparentes entre les différents groupes et les différentes nationalités, et la couverture médiatique de certaines ascensions génère une frénésie supplémentaire. En effet l’enjeu est de taille pour les guides comme pour les clients. Les ascensions coûtent très chers (de 10 000 à 65 000 dollars environ) et la rivalité est de mise. Jon Krakauer, qui est lui même journaliste, décrit l’incroyable organisation autour d’une journaliste dans l’autre groupe qui les accompagne, autour du guide américain Scott Fisher. La reporter emporte avec elle (et les sherpas qui se dévouent à son matériel) toute une invraisemblable armada d’équipements télévisuels.
Mais ce n’est qu’un premier temps. On est ensuite très vite heurté par la difficulté et la douleur physique ressentie par les alpinistes. À 7000 mètres d’altitudes, Jon Krakauer a déjà perdu 10 kg, il perd le sommeil et l’appétit. Malgré la « commercialisation » du site il apparaît évident que la montagne, que les tibétains appellent Chomolungma qui signifie « déesse mère des mondes », n’est en rien domptée. L’homme est-il fait pour arpenter de telles altitudes ? Rien n’est moins sûr. Même si l’aptitude des sherpas, peuple des montagnes, est une évidence, l’homme ne va t-il pas trop loin en poursuivant sa conquête de toutes les démesures ? « On se croirait sur la lune » déclare une alpiniste, en respirant dans son masque, enfouie dans sa veste, en contemplant l’immensité blanche.
On ne pourra pourtant qu’être épaté par la volonté, l’endurance et la résistance de ces gens, au delà même de leurs compétences, par leur enthousiasme acéré, malgré la douleur physique et donc très vite morale, qui survient dès les premières hauteurs.
À la lecture détaillée de ces souffrances, la question qui nous vient est « pourquoi s’infliger cela ? ». La plupart ont des familles et de bonnes situations professionnelles, la prise de risque est importante, la satisfaction non garantie. Il faut souvent renoncer avant le sommet, et ceux qui l’atteignent n’y restent que quelques minutes.
Et pourtant…malgré tout cela, quelque chose dans la grandeur de l’entreprise nous fascine, et l’on ne sait plus si l’on est attiré ou révulsé…les deux sans doute.
L’écriture de Jon Krakauer est habile, impliquée et éprouvée. Écrit seulement 6 mois après la tragédie, on sent encore son émotion et son incompréhension face à une telle accumulation de malchance, et l’injustice de sa survie face à la mort des autres.
Que c’est-il passé cette nuit là sur le toit du monde ?
Rob Hall était un alpiniste aguerrit et expérimenté. Sa méthode était efficace et sûre. Trois guides entouraient le groupe avec une équipe de sherpas. L’heure d’atteinte du sommet avait été programmée pour 14h sans discussion possible, que l’on soit à 100 mètres du sommet ou à 1 km. Pourtant ce jour là, Rob Hall enfreindra sa règle. À 17h il était encore au sommet et attendait son client Doug Hansen, un américain qui tentait pour la seconde fois l’ascension qu’il avait échoué avec le même guide l’année précédente. Est-ce que Rob Hall n’a pas voulu décevoir son client une seconde fois ? Quoi qu’il en soit Doug est en difficulté, Rob Hall l’attend pour la descente, une descente dont ni l’un ni l’autre ne verront l’issue. Pourquoi autant de gens se trouvaient-ils encore sur le flanc du sommet lorsque la nuit et la tempête les a surpris ? Beaucoup de questions qui demeureront sans réponses. Rien ne semble s’être passé comme prévu. Le guide du second groupe, Scott Fisher, était en détresse également, la pression de l’altitude jouait sur sa stabilité psychologique, tout comme pour un autre guide, Andy Harris. Celui qui allait faire polémique, le guide kazhaque Anatoli Boukreev, rentre en premier au camp IV où il dort quelques heures, avant de repartir seul dans la nuit sauver un à un les clients errants qu’il arrive à localiser. Avec l’altitude, l’obscurité, le froid mordant et la tempête, un piège infernal se referme sur le sommet.
À défier la montagne, à dépasser les conditions de survie possible pour l’homme, c’est finalement à soi-même que l’on se mesure, et c’est également face à soi même que l’on échoue. Jon Krakauer insiste sur la force mentale et morale que cela demande à un grimpeur de faire demi tour à quelques mètres du sommet, parce que dans ces conditions extrêmes tout dépassement des règles peut être fatal. Parallèlement à cela, beaucoup de scandales ont entaché la blancheur immaculée du sommet, autour d’alpinistes laissés pour morts, parce que les suivants qui passaient refusaient de faire demi tour ou de compromettre une ascension si durement et chèrement acquise pour un malheureux sorti du rang.
Que devenons-nous a de telles hauteurs…. ?
Ivresse des sommets, « ubris » de l’homme qui voudrait enfin être le point le plus haut du monde ?
Le récit de Jon Krakeur laisse penseur.
S’il reste ébranlé, il déclare ne rien retirer de positif de son expérience (ce qui ne sera pas le cas de tous les membres de son expédition). Il parvient néanmoins à nous communiquer un peu de cette démesure et de cette passion, qui comme tous les rêves fous nous donnent un peu le vertige.
Emma Breton